Le quai des brumes de Pierre Mac Orlan
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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T'as de beaux yeux?
C'est au Lapin Agile, sur la Butte, que cette nuit là se croisent cinq destins. Nelly la paumée, le soldat de la Coloniale qui n'a pas de nom, Jean Rabe le bohème bourlingueur, Isabel le boucher-soldeur dit Zabel et Michel Kraus le peintre, des cabossés de la vie, de ces personnages qu'on rencontre dans les chansons d'Aristide Bruant, au coin de la rue Saint Vincent. Des qui n'ont pas eu de pot, qui ont comme Jean Rabe (comme Mac Orlan) bourlingué et sont venus atterrir ici, ce soir dans ce cabaret où officie le patron Frédéric au foulard rouge noué sur la tête, comme un corsaire.
L'univers de Mac Orlan est un univers de ports, de quais et de brumes mais de quais et de brumes il n'y en a pas au Lapin Agile. Tout juste une tempête qui fera s'y échouer le boucher Zabel poursuivi par des marlous qui en veulent à son portefeuille dans lequel il serre les dix mille francs qu'il a volés à son copain Norbert. La tempête, elle est dans la tête de Michel Kraus l'Allemand, le peintre qui lacèrera ses toiles avant de se pendre avec une corde à sauter. Le silence "passait sous(sa) porte en insinuant d'abord (son) passé et par logique le passé de sa race et le passé du monde". L'avenir il l'a pressenti: on est trois ans avant le début du carnage général, on est en 1911 ou 1910. " Je verrais un crime dans une rose" ne cessait-il de gémir. Isabel le boucher, dit Zabel dont la boutique est signalée "par ces mots dessinés au blanc d'Espagne: Boucherie de choix- Occasions en tous genres. Soldes" mourra sur la guillotine "de mort violente, en avance de quelques mois sur une grande partie de ses contemporains".
Le soldat de la Coloniale, déserteur, trouve plus tard un nom d'emprunt et vit une méchante vie à décharger des bateaux au Quai des Brumes, quelque part vers le Point du Jour. Et il finira par s'engager dans la Légion, à Marseille; "Et les deux bouts de sa vie se rejoignirent pour former un cercle parfait". Ce n'est que dans le film de Prévert et Carné qu'il rencontre Michèle Morgan (t'as d'beaux yeux tu sais..)Rabe finira de traîner sa misère au cours d'une période militaire effectuée à Toul, en y finissant sa vie... pour toujours. De ces destins croisés il ne restera plus que Nelly qui entamera une carrière dans la prostitution, qu'elle exercera sans la protection de quiconque. D'ailleurs pour être sure de conserver cette liberté née de la misère, elle fera zigouiller son mac "homme qui n'appartenait pas à la race humaine" par un Corse. Liberté...liberté.
Nous sommes, dans ce roman dense comme un film, de plein pied dans le réalisme poétique, celui de Prévert et Carné des Portes de la Nuit, ou de Quai des Brumes justement. "L'orchestre nègre ordonne le déroulement de ce film" dans le bastringue où Nelly revoit cette nuit au cours de laquelle cinq destins se sont croisés. " Ils sont tous morts pour ma santé physique et morale", songe-t-elle. Cette mort qui transforme la vie en destin.
Les éditions
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Le Quai des brumes [Texte imprimé] Pierre Mac Orlan,...
de Mac Orlan, Pierre
Gallimard / Collection Folio.
ISBN : 9782070361540 ; 5,00 € ; 26/07/1972 ; 148 p. ; Poche
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Les critiques éclairs (2)
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Une ambiance de glace.
Critique de Hexagone (, Inscrit le 22 juillet 2006, 53 ans) - 14 juin 2011
L'action se déroule sur la butte Montmartre, avec comme épicentre le " Lapin Agile ", cabaret des gens de peu.
Même si ce n'en n'est pas un, j'ai tout de suite pensé à un polar. L'ambiance morne, froide, grise presque minérale y contribue pour beaucoup.
Les êtres sont sur le fil du rasoir et ce " Lapin Agile " semble être un havre de paix au milieu de la tourmente.
L'écriture de Mac Orlan qui porte les traces de son époque est très agréable. Les mots sonnent juste pour raconter la vie des faubourgs au début de l'autre siècle, la misère, le destin des uns et des autres.
Cela m'a un peu fait penser à Léo Mallet et son Nestor Burma.
D'ailleurs Malet figurerait en tant que soldat dans le film.
Une belle découverte, après avoir vu le film qui est lui aussi une réussite.
Avertissement, la célèbre phrase " T'as de beaux yeux tu sais " ne figure absolument pas dans le livre.
Le livre du désespoir
Critique de Noir de Polars (PARIS, Inscrit le 28 mai 2011, 56 ans) - 29 mai 2011
Nul livre n'a pu jusqu'ici nous épouvanter autant sur le sentiment de vide profond de l'existence.
Le style est particulièrement dépouillé sans qu'il soit pour autant brut de fonderie.
Un très grand, très noir, Mac Orlan
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