Lumière pâle sur les collines de Kazuo Ishiguro

Lumière pâle sur les collines de Kazuo Ishiguro
( A Pale view of hills)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Tistou, le 7 février 2007 (Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (24 562ème position).
Visites : 8 056  (depuis Novembre 2007)

Flou persistant

« Lumière pâle sur les collines » date de 1982. C’est le premier roman de Kazuo Ishiguro, au patronyme indubitablement japonais mais à l’éducation résolument anglaise puisque débarqué avec ses parents au Royaume Uni (parlons en de l’unité du royaume !) à l’âge de cinq ans.
Cela dit, dans ce premier roman, Kazuo Ishiguro unifie les deux mondes : l’anglais et le japonais, puisque Etsuko, l’héroïne ( ?) raconte l’histoire depuis l’Angleterre où elle vit, histoire qui se déroule pour l’essentiel au Japon, où elle a été élevée, et a vécue, longtemps, pas comme Kazuo Ishiguro ! (n’empêche)
Je n’ai pas honte d’avouer n’être pas certain d’avoir compris ce roman. Il y a une histoire, qui est abordée de plusieurs bords à la fois, et qui laisse une fin, que dis-je ?, des fins !, ouvertes. Et quand je dis ouvertes … !
L’abysse se trouve là, à la fin du 10ème chapitre (je suis désolé, ça ne va pas aider beaucoup le lecteur de la critique qui n’aura pas lu « Lumière pâle dans les collines », mais ça lui donnera toujours un aperçu de l’écriture, et moi ça m’apportera peut-être une réponse aux interprétations qu’on peut faire !) :

« Les insectes se massaient autour de la lanterne. Je la posai sur le pont, devant moi, éclairant ainsi plus nettement le visage de l’enfant. Au bout d’un long silence, elle dit : « Je ne veux pas m’en aller. Je ne veux pas partir demain. »
Je poussai un soupir. « Mais ça va te plaire. Les choses nouvelles font un peu peur à tout le monde. Ca te plaira, là-bas.
- Je ne veux pas m’en aller. Et je ne l’aime pas. Il a l’air d’un cochon.
- Il ne faut pas parler comme ça », dis-je d’une voix coléreuse. Nous échangeâmes un long regard, puis, à nouveau, elle baissa les yeux sur ses mains.
« Tu ne dois pas parler ainsi, répétai-je plus calmement. Il t’aime beaucoup, et ce sera un nouveau père pour toi. Tout ira bien, je te le promets. »
L’enfant resta muette. Je soupirai à nouveau.
« De toute façon, continuai-je, si ça ne te plait pas là-bas, nous pourrons toujours rentrer. »
Cette fois-là, elle leva vers moi des yeux interrogateurs.
« Oui, je te le promets. Si ça ne te plaît pas, nous repartirons immédiatement. Mais il faut essayer, pour voir si nous nous plairons là-bas. Je suis sûre que nous nous y plairons. »

Je me souviens avoir relu, incrédule, plusieurs fois ces passages. Non, je n’avais pas rêvé. Il était bien écrit :
si ça ne te plait pas là-bas, nous pourrons toujours rentrer,
et, Mais il faut essayer, pour voir si nous nous plairons là-bas, .
Oui c’était bien écrit et la faille était ouverte. Pas trente-six interprétations possibles. Et pourtant, jusqu’à la fin, jamais Kazuo Ishiguro ne reviendra sur cette faille béante, ni ne donnera les éléments permettant de corroborer la seule interprétation possible …
Pour un premier roman, il faisait fort le camarade Ishiguro ! Et la suite montre que ça ne lui a pas trop mal réussi !
Ca reste un excellent roman. Avec une histoire, non pas « sans queue ni tête » mais plutôt avec beaucoup de queues et de têtes ! Et beaucoup de profondeur. Ishiguro est un écrivain qui ne se contente pas de raconter mais qui se sert de l’histoire pour développer des tenants et aboutissants innombrables qui dénote d’un esprit foisonnant.

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Les éditions

  • Lumière pâle sur les collines [Texte imprimé] Kazuo Ishiguro traduit de l'anglais par Sophie Mayoux
    de Ishiguro, Kazuo Mayoux, Sophie (Traducteur)
    Gallimard / Collection Folio
    ISBN : 9782070389841 ; 8,10 € ; 04/06/2009 ; 296 p. ; Poche
  • Lumière pâle sur les collines [Texte imprimé], roman Kazuo Ishiguro traduit de l'anglais par Sophie Mayoux
    de Ishiguro, Kazuo Mayoux, Sophie (Autre)
    10-18
    ISBN : 9782264034960 ; 7,00 € ; 05/09/2002 ; 248 p. ; Poche
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Subtile et délicat

8 étoiles

Critique de Romur (Viroflay, Inscrit le 9 février 2008, 51 ans) - 2 janvier 2018

Etsuko, japonaise installée au Royaume Uni, accueille sa fille cadette Nikki. La sœur ainée Keiko, née au Japon d’un premier mariage, s’est suicidée quelques temps avant. Les moments d’échange entre la mère et la fille, éloignées l’une de l’autre aujourd’hui, alternent avec les souvenirs d’un été à Nakasaki où Etsuko s’était liée d’amitié avec sa voisine Sachiko et sa curieuse fille Mariko.
Mes premières tentatives avec des auteurs japonais comme Kawabara ou Murakami n’avaient guère été convaincantes, mais là j’ai aimé la langue simple mais délicate, l’évocation du choc des cultures occidentales et japonaises, la résilience d’un peuple face à la défaite et l’occupation, la subtilité des relations, auxquelles la culture japonaise apporte une touche particulière.
Subtile, presque indétectable, l’apparition d’un « nous » à la fin du chapitre X sème le trouble : Sachiko et Mariko sont-elles bien une amie et sa fille ou bien la narratrice qui par pudeur n’a pas osé relater à la première personne sa propre histoire ?

Clair-obscur

9 étoiles

Critique de Maria-rosa (Liège, Inscrite le 18 mai 2004, 69 ans) - 12 février 2007

Je connaissais l'Ishiguro des "Vestiges du jour", un livre magnifique.
"Lumière pâle sur les collines" dans ses premiers chapitres aborde les thèmes les plus variés, comme les relations père-fils, le déchirement entre un monde qui s'en va et l'avènement d'un monde nouveau, les rapports mère-fille, l'incommunicabilité entre les êtres, l'amour et son absence surtout.
C'est peu de dire que j'apprécie tout particulièrement l'écriture d'Ishiguro qui est comme un souffle léger mais dévastateur.
Jusqu'au chapitre 10, je me délectais de son écriture. Ishiguro est un magicien des mots, du sens derrière les mots, du non-dit, du suggéré, du flou. Il remue énormément de sensations en nous. Il nous renvoie toujours à nous-mêmes.
Au chapitre 10, c'est-à-dire presqu'à la fin viennent les quelques phrases citées par Tistou et là une faille est ouverte, un sentiment étrange ne vous quitte plus une fois le livre refermé. On croit avoir compris, on est sûr d'avoir compris, on revient en arrière et on se dit que le livre devrait être relu sous un autre éclairage totalement différent, un éclairage qui fait des personnages des êtres autres que ceux que l'on croyait avoir accompagnés tout au long de la lecture.
Etrange et merveilleux livre, baigné d'ombre et de lumière.
C'est l'histoire claire-obscure d'une mise à distance pour continuer à vivre.
Livre d'une indéfinissable cruauté aussi pour tout ce que le comportement et les mots banals des personnages sous-tend.
Etrange et merveilleux livre.

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