L'absolue perfection du crime de Tanguy Viel

L'absolue perfection du crime de Tanguy Viel

Catégorie(s) : Littérature => Policiers et thrillers

Critiqué par Jurassic, le 28 janvier 2007 (Fraisans (Jura), Inscrit le 18 décembre 2005, 69 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (14 894ème position).
Visites : 5 687  (depuis Novembre 2007)

Le crime comme forme d'art?

Une ville grise et pluvieuse sert de territoire de chasse à une « famille » de malfrats de province qui s’enkystent au tabac et à l’alcool fort en rêvant du « grand coup », du crime absolu et parfait, apothéose qui (re)soudera l’avenir incertain du clan et qui le remettra à flots financièrement.
Et ça tombe sur le casino : six lettres au néon rouge, fascinant et vénéneux comme une robe de vamp, blindé comme la banque de France, et… là n’est plus le sujet. C’est le décor. D’une pièce de théâtre au scénario suicidaire qui cristallise les frustrations, les tensions entre les « frères ». C’est le décor de la fin d’un rêve de gloire du père, relayé aveuglément par le fils préféré. C’est la descente aux enfers du père malgré ses derniers efforts de pauvre rédemption. Et celle de tout le clan vers la médiocrité.
Les acteurs sont peu loquaces. Le dit et le non-dit se télescopent. L’action est cafardeuse, violente sans ostentation, et sent le poissard. Elle l’est. No future pour personne.
Un bon thriller psychologique à la française. Pas de mots pour ne rien dire. C’est tendu et difficile à lâcher avant la dernière page.

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Tout est dans la manière

9 étoiles

Critique de Monocle (tournai, Inscrit le 19 février 2010, 64 ans) - 21 février 2020

Tout est dans la manière !

Qui se souvient de Jim Sullivan ? Un chanteur de folk mystérieusement disparu dans les années 70 au bord d’une route de Santa Rosa, au Nouveau-Mexique. Les mélomanes sans doute... et encore !
Qui se souviendra de Dwayne Koster ? Ce personnage nébuleux, issu de l'esprit d'un auteur qui nous livre ici une histoire banale et sans suspense.
Mais... tout est dans la manière et je salue l'idée de génie de Tanguy Viel de présenter sa copie en nous faisant presque croire qu'il l'écrit devant vous.
Donc voilà comment un écrivain français va fabriquer en direct un roman qui se déroule au pays de l'oncle Sam.
J'ai trouvé le style particulièrement réussi qui donne ce quelque chose en plus qui fait d'une lecture un délice.

L'absolue perfection du style

8 étoiles

Critique de Kinbote (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans) - 18 avril 2009

De la préparation du casse d’un casino jusqu’à la vengeance finale après la trahison d’un des protagonistes qui a fait capoter le hold-up, rien ne nous est épargné de ce qui fait un vieux bon thriller. Sauf que ce n’est pas écrit comme n’importe quel roman policier : c’est édité chez Minuit et ça se sent dans l’écriture maîtrisée, référencée, avec ses répétitions (on pense à Beckett), dans le jeu avec le genre du polar (on pense à Echenoz)… Un beau plaisir de lecture à côté duquel celui du suspense, bien mené, est subalterne.

Et un redoutable écrivain à découvrir (comme ce fut le cas pour moi).

Un extrait, en forme d’hommage au poème de Verlaine (« Le ciel est par-dessus le toit ») à l’écriture plus apaisée que le reste du roman (Viel a le goût des phrases longues).

« Il suffisait de tirer la chaise jusqu’au mur, de se hisser dessus et de regarder. Les barreaux n’y faisaient rien, on y voyait loin. Rien d’autre n’a jamais compté là que de voir loin, la région alentour si maritime, la terre qui n’en finit jamais de se jeter à l’eau. Les roches, les granits, les pointes, le sable, tout s’avance, se retire, s’use et comme on suppose chaque pas sur l’extrême pointe de la côte, un autre se profile qui défait l’impression d’aboutir. Mais de beaucoup d’endroits pour celui qui regarde, de beaucoup de fenêtres de la prison, le soleil n’atteint pas l’horizon, disparaît dans un angle ou derrière une façade, parce que la ville fait écran à la mer lointaine. Et de la ville elle-même, on oublie vite l’ombre marine qui la baigne, on retient plus facilement la construction à l’américaine, les rues droites et peu soucieuses de déjouer les vents, l’arsenal aux longs murs supportant son déclin, le port rouillé, et la campagne alentour, verte, qui surélève d’autant la grisaille humide des toits. Ni basilique, ni grand-place, ni maison à colombages, ni fontaine bienfaitrice dans cette ville, mais des enseignes lumineuses, du vent, une gare, un pont sur la mer, une prison, On ne vient pas ici, on y passe. Ou on y est. »

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