Stiller de Max Frisch

Stiller de Max Frisch
( Stiller)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Mae West, le 16 octobre 2006 (Grenoble, Inscrite le 26 décembre 2004, 73 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 268ème position).
Visites : 5 444  (depuis Novembre 2007)

Inclassable

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Qui est ce Stiller parti sans laisser d’adresse ? Est-il cet ancien de la guerre d’Espagne soupçonné d’avoir assassiné un certain Smyrnow au cours d’une affaire d’espionnage le 18.1.1946 ? Est-il cet époux inconsistant et égocentrique qui a abandonné la belle et frigide Julika, sous la véranda Jugendstill d’un sanatorium Suisse ?
Pourquoi le procureur, qui bientôt deviendra son ami, tient-il tant à lui transmettre les amitiés de sa femme ?

Arrêté à la frontière allemande en possession d’un faux passeport américain, un homme nie farouchement être celui qu’on croit. Il refuse d’être ce dénommé Stiller, citoyen Suisse, disparu il y a sept ans, sculpteur, domicilié à Zürich et marié à la célèbre danseuse étoile Mme Julika Stiller-Tschudy. Dans le cahier que lui a fourni son avocat avec l’espoir d’en apprendre un peu plus, le détenu consigne par écrit les circonstances de sa détention, les interrogatoires, les confrontations, les sorties surveillées et sous caution.
Au long cours de son récit capricieux, il entremêle ses voyages en Amérique et au Mexique, magnifiques tableaux d’un réalisme minutieux auquel son avocat ne croit qu’à moitié, et ses amours imaginaires et faux assassinats exotiques, que son gardien écoute bouche bée, et auxquels il croit dur comme fer.

On le suit, étranger aux autres, étranger à lui-même, pendant ses pénibles séances de confrontation avec des personnages qui sont censés avoir marqué sa vie « d’avant » ( sa femme, ses amis, son frère ) où tous, invariablement, le reconnaissent pour Stiller.

Mais lui, invariablement, ne se reconnaît pas dans « ce Stiller parti sans laisser d’adresse »

Fable d’actualité à propos du long chemin qui mène à soi-même, de la difficulté de s’accepter tel qu’on est, sans se référer à tel qu’on voudrait être. Affaire qui est compliquée par l’image renvoyée par les autres, tels qu’ils nous voient en référence à tel qu’on voudrait qu’ils nous voient. Réflexion politique sur la complexité des rapports humains dans l’étouffoir d’une société trop policée, réflexion psychologique sur les interactions de la bien pensance rigide et des jeux de culpabilité qui génèrent et entretiennent, comme dans le « Mars » de Fritz Zorn, la maladie mortelle. (Ainsi Stiller, face à la tuberculose de sa femme, qui préfère l’oblitérer pour privilégier sa carrière , finit par conclure qu’au fond cette maladie arrange bien son épouse, puiqu’elle lui permet d’ exercer une sorte de tyrannie de la culpabilité ).

Récit authentique du déchirement dans le mariage émancipé, de la fausse liberté qui crée le vide entre les êtres. Conte décalé qui n’est pas sans rappeler parfois « L’insoutenable légèreté de l’être » de Kundera, pour les égarements de ses personnages, en cependant beaucoup plus humain et lumineux.
Car en définitive, du personnage brouillon et inconsistant de Stiller, de ce héros anti-sartrien qui se désengage, tergiverse, puis s’avère en fin de compte « récupérable » *, sortira comme d’un négatif sortant du bain, la profondeur de champ et la lumière.
Et de ce prisonnier qui n’a rien de modèle surgira au bout du tunnel, la liberté.

« Stiller » est un grand roman, déroutant, exceptionnellement riche et complexe, autant par sa finesse et sa profondeur psychologique que par ses qualités descriptives. Max Frisch a écrit dans une langue superbe, fluide, à la fois évocatrice et précise, et a veillé personnellement au travail de traduction, remarquable, de Eliane Kaufholz-Messmer

Donc, attention, chef-d’œuvre !
Mais méconnu ! Max Frisch est plus connu pour une autre roman « Homo faber » (qui parle de l’impossibilité de se fuir soi-même, même en changeant d’identité et de destin )
Il faudra sûrement que, comme moi, vous le commandiez à votre libraire. Pas encore paru en poche, mais vraiment là, ça vaut la peine de débourser quelques sous de plus.

* à la différence d’Hugo, dans « Les mains sales »

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Un récit intéressant sur l'identité

8 étoiles

Critique de Vince92 (Zürich, Inscrit le 20 octobre 2008, 47 ans) - 13 juillet 2012

Je ne suis pas Stiller!
C'est ainsi que tout au long du roman, le personnage-titre déclame son "innocence". Détenu, il s'obstine à ne pas reconnaître son identité, alors que sa femme, son frère, son père, ses anciens amis, tous en somme reconnaissent en lui cet homme, qui, un jour a décidé de couper les liens avec son histoire, ses connaissances... pourquoi?
Au fond, peu importe, l'important ici est que le personnage a franchi le pas, il s'est volontairement retranché de la réalité de son existence et a décidé de vivre une autre vie, celle de ce citoyen américain, plusieurs fois meurtrier, voyageur et marginal. Qu'est-ce qui pousse un homme à faire une chose pareille?
Nous apprenons au cours du récit la nature de Stiller au travers de sa propre vision des choses: égoïste, mythomane, dédaigneux des souffrance d'autrui... on comprend au travers de ce prisme, cette mise en abîme, les motivations de ce Stiller... haine de soi, frustration...
si la question de l'identité est au centre du roman, les relations hommes-femmes, l'art et l'impossibilité de créer, Zürich et la Suisse, la Montagne magique the Thomans Mann sont autant de thèmes développés dans ce livre très riche, parfois un peu long. La qualité d'écriture et de traduction est remarquable.
A noter dans l'édition donnée par Grasset dans la collections des cahiers rouges une postface de Michel Tournier (que j'adore pourtant) dont je n'ai pas compris un traître mot...

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