Victoire, les saveurs et les mots de Maryse Condé

Victoire, les saveurs et les mots de Maryse Condé

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par StellaMaris, le 29 août 2006 (Inscrite le 7 juin 2006, 63 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (12 046ème position).
Visites : 5 731  (depuis Novembre 2007)

La saveur douce du passé

En une exergue, la romancière guadeloupéenne Maryse Condé donne le ton de son dernier livre, Victoire, les saveurs et les mots : « Il devient indifférent que je me souvienne ou que j’invente, que j’emprunte ou que j’imagine ». Cette phrase extraite de l’œuvre de Bernard Pingaud, écrivain français injustement mal connu, grand commis de l’Etat et signataire, en son temps, de l’Appel des 121, illustre magnifiquement le récit, mélange d’enquête, d’imagination et de reconstitution sociale dans lequel l’auteure entraîne son lecteur subjugué.
Sous la plume tendre de Maryse Condé, Victoire prend vie et âme. Un lien filial, presque charnel, se dessine et unit comme un pont jeté au-dessus des siècles, la petite-fille écrivain à la grand-mère cuisinière qu’elle n’a jamais connue. Celle-ci, née dans les années 1870 à Marie-Galante, îlot plat de l’archipel des Caraïbes, était le fruit d’une brève rencontre entre un soldat blanc de passage et l’une des filles de la famille Quidal, des « nouveaux citoyens », comme on appelait encore les descendants des esclaves, une vingtaine d’années après l’abolition. Servante analphabète, ballottée par la vie et par un destin souvent contraire, Victoire trouve dans la cuisine un moyen merveilleux pour exprimer ce qu’elle est incapable de mettre en mots, elle qui ne parle que le kreyol et n’aime que la musique. Marieuse de saveurs, ingénieuse créatrice de recettes sans cesse renouvelées dont ne subsistent, dans les archives de la famille, que des noms tracés à l’encre pâlie sur des menus souvenirs, Victoire exprime ainsi ses joies et ses amours cachées, ses amitiés indéfectibles et sa résistance au malheur.
Dans une langue mâtinée de créole, dont le profane regrettera de n’avoir pas toujours la traduction, Maryse Condé nous livre une page d’émotion, une vie trop tôt conclue brossée par touches colorées, reflet d’une époque bouillonnante à jamais révolue. Elle croque à grands traits, parfois acides et acérés mais jamais cyniques, le portrait de sa propre mère, Jeanne, tout aussi incapable de faire partager ses sentiments que ne l’avait été Victoire et ce, malgré des études brillantes et une carrière irréprochable d’enseignante. Heureux sommes-nous, nous lecteurs, qui avons aujourd’hui les mots de Maryse Condé pour traduire la saveur incomparable de ce passé qui, par le poids de la souffrance, appartient à l’histoire de tous les descendants caraïbes des Africains.

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Les éditions

  • Victoire, les saveurs et les mots [Texte imprimé], récit Maryse Condé
    de Condé, Maryse
    Mercure de France / LITTER GENERALE
    ISBN : 9782715225701 ; 16,80 € ; 11/05/2006 ; 254 p. ; Broché
  • Victoire, les saveurs et les mots [Texte imprimé] Maryse Condé
    de Condé, Maryse
    Gallimard / Folio
    ISBN : 9782070355259 ; 4,88 € ; 15/05/2008 ; 318 p. ; Poche
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la race, dans tous ses états…

10 étoiles

Critique de Jfp (La Selle en Hermoy (Loiret), Inscrit le 21 juin 2009, 76 ans) - 15 mai 2020

Victoire, cette grand-mère maternelle à la peau blanche et aux yeux clairs, que l’auteure n’a pas connue, qui était-elle vraiment ? Sa mère lui en a peu parlé, mais les légendes sur son compte courent vite dans cette Guadeloupe métissée où les différences de couleur de peau ont longtemps servi de référence aux haines sociales. Comme dans une enquête policière, Maryse Condé va recouper les témoignages, consulter les archives locales, et combler les vides avec son imagination pour nos livrer ce magnifique portrait de femme, loin, très loin des légendes qui ont circulé sur son compte. Certains la prenaient pour un démon maléfique à cause de sa beauté si étrange, d’autres lui tressaient des lauriers en raison de ses talents extraordinaires de cuisinière. Mais qui était-elle réellement lorsqu’on se débarrasse des on-dit et des a priori ? Et au-delà de cette quête de la vérité sur une femme qui a vécu en silence le passage du dix-neuvième au vingtième siècle, l’auteure dresse un réquisitoire sans faille d’un racisme ordinaire qui est loin d’être l’apanage des seuls blancs de peau…

Saveurs antillaises

8 étoiles

Critique de Falgo (Lentilly, Inscrit le 30 mai 2008, 85 ans) - 30 décembre 2013

Maryse Condé a tenté de reconstituer la vie de sa grand mère, Victoire, à partir de dires de tiers, de fragments de documents, de recherches personnelles. Il en résulte un récit curieux où l'imagination, parfois, supplée le manque de sources fiables. L'écriture est fluide, simple, enrichie d'expressions guadeloupéennes et de citations en créole.
Deux points de vue ont retenu mon attention. L'un, psychologique, essaie d'établir l'itinéraire, les sentiments, les amours, les haines de cette grand mère inconnue et, pour le moins, originale. La même ligne s'intéresse à Jeanne, mère de la conteuse et fille de Victoire. Les relations mère-fille sont décrites selon les rares confidences faites à Maryse et ce que celle-ci en pense. L'autre, sociologique, permet de rendre compte de la vie antillaise au tournant du 20° siècle, celle de noirs, celle des blancs, celle des relations entre les deux communautés ainsi que des évolutions que connaît cette société si particulière.
Il en ressort un texte prenant, plein de réflexions sur la vie, la mort, les amours, les haines, qui ne laisse pas indifférent dans le contexte antillais de l'époque.

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