Le chemin des âmes de Joseph Boyden
(Three day road)
Catégorie(s) : Littérature => Anglophone
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Oh, Elijah, quelle saloperie la guerre!
Près d’Arras, la crête de Vimy est, depuis 1922, territoire du Canada, en souvenir tant de la bataille du 9 avril 1917 que des soixante mille morts canadiens de « la grande guerre ». Sur un monument, la litanie des 11285 noms manquant à l’appel et présumés morts en France, s’élève vers le ciel. Cette montagne du souvenir est devenue un terrain de jeux pour les enfants, un lieu de promenade. Mais qui sait encore les abominations de la guerre que recèle cette terre meurtrie par les obus, les tranchées et les souterrains ?
C’est à tous ces morts qu’a pensé Joseph Boyden en écrivant ce premier roman dont la puissance, la dureté, la précision dans l’horreur mais aussi la qualité narrative et la poésie des descriptions de la nature sont hors du commun et en font un grand livre.
1919. Niska, une vieille indienne Cree, attend le retour de la guerre d’Elijah, le meilleur ami de son neveu qui est mort en France. En fait c’est Xavier, le neveu, qui débarque, croyant lui aussi sa tante morte. Elle le ramène en canoë dans leur réserve au nord de l’Ontario. Il est brûlant de fièvre, amputé d’une jambe. Pendant trois jours, ils vont ensemble retourner au pays tout en se racontant leurs vies. Car Niska sait bien qu’elle n’a que les mots et les histoires de sa vie pour le garder vivant.
Xavier est un jeune Cree que sa tante a soustrait au pensionnat catholique à qui il avait été confié et dont la cruauté éducative l’emporte sur la charité et l’espérance. Eduqué par sa tante, il va vivre dans la tradition de son peuple, rejoint chaque été par Elijah qui sera son seul ami. Ils deviennent des chasseurs expérimentés, vivant au rythme des saisons, au gré de la nature. En 1914, ils s’engagent pour aller combattre en Europe en espérant peut-être retrouver leur dignité et la considération des autres canadiens plus impliqués dans l’intégration que dans le respect des diversités culturelles.
Ils sont vite remarqués pour leurs exploits de tireurs d’élite et sont chargés des reconnaissances les plus périlleuses pour préparer des attaques et faire bouger les lignes d’une guerre si longtemps immobile. Elijah, coupé de sa culture, se fond vite dans l’ambiance de la guerre et la vie militaire, devenant « le bon indien », c’est à dire celui qui nie toute différence, Xavier, peu familier à la langue anglaise, reste un « sauvage », un silencieux. Leur amitié, pourtant si fusionnelle au début, va se déliter tant l’un est reconnu, fêté, décoré, promu alors que l’autre est ignoré, oublié. Mais surtout, Xavier comprend qu’Elijah est en train de devenir fou, prisonnier de la morphine qui lui nécessaire pour oublier ses douleurs, obsédé par un besoin physique de tuer, La jalousie et la rivalité auront raison de leur amitié, de leur complicité. « Elijah s’est pris à aimer tuer au lieu de seulement tuer pour survivre » dit Xavier après la bataille de Vimy.
Ce récit est entrecoupé, tout au long de leur retour au pays, des superbes récits de Niska sur sa famille, sa jeunesse, l’enfance de son neveu dans un monde dont on comprend bien qu’il va, lui aussi, mourir.
Joseph Boyden raconte avec un immense talent cette histoire inspirée de celle, véridique, d’un Amérindien. Le style est parfois celui du reportage d’un correspondant de guerre tant les descriptions des reconnaissances, des attaques sont précises, d’une écriture très factuelle. Mais ce reportage est vite parsemé des pensées, des doutes, des sentiments, des angoisses de Xavier, montrant bien que l’auteur n’est pas un journaliste mais un artiste. Histoire de destins brisés qui ne laisse pas le lecteur intact tant certains passages sont d’une horreur abominable, d’une violence inimaginable, d’une cruauté inhumaine. L’écharnage, « les yeux surpris des jeunes allemands distraits », cet instant où Elijah veut regarder dans leurs yeux blancs et morts ses victimes, le scalp sont des monstruosités de notre humanité que la guerre ou plutôt la folie guerrière met à nu chez certains. « Ils ont vu des choses que les hommes ne devraient jamais voir. » Ils les ont vues et ils les ont faites.
Je comprends pourquoi Jim Harrison a aimé ce livre où on retrouve la beauté de la nature, la passion de la chasse, la fragilité et la force des hommes, le temps qui fuit, le poids et le rôle des traditions, la persistance des croyances, les personnages atypiques qui sont damnés par un destin tragique. Mais aussi parce qu’au-delà il y a une renaissance.
Pour les Cree, un voyage de trois jours est nécessaire pour que l’âme rejoigne « le Grand Manitou. » C’est ce voyage que font Niska et Xavier en rentrant chez eux même s’ils savent bien que « de là où tu es allé, on ne revient jamais. »
Un roman tout à fait remarquable, dans une traduction de Hugues Leroy, une histoire rare qui ne se résume pas, elle se lit.
PS : je lis, en parallèle à ce roman, le livre d’histoire de Pierre Renouvin sur l’armistice de 1918. Si vous avez la possibilité de le faire, je vous le recommande pour voir une autre face de la guerre, celle où les hommes comptent moins que les intérêts. Et vous comprendrez que la folie guerrière n’est pas toujours où on pense.
Les éditions
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Le chemin des âmes [Texte imprimé], roman Joseph Boyden traduit de l'anglais (Canada) par Hugues Leroy
de Boyden, Joseph Leroy, Hugues (Traducteur)
Albin Michel / Terres d'Amérique
ISBN : 9782226173201 ; 5,92 € ; 03/05/2006 ; 391 p. ; Broché -
Le chemin des âmes [Texte imprimé], roman Joseph Boyden traduit de l'anglais (Canada) par Hugues Leroy
de Boyden, Joseph Leroy, Hugues (Traducteur)
le Livre de poche / Le Livre de poche
ISBN : 9782253119845 ; 7,90 € ; 12/03/2008 ; 480 p. ; Poche
Les livres liés
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Les critiques éclairs (18)
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Les sauvages
Critique de Romur (Viroflay, Inscrit le 9 février 2008, 51 ans) - 23 mai 2021
Les chapitres se succèdent en alternant les flash backs : Xavier et son enfance conforme aux traditions ancestrales, Xavier et Elijah sur le front où leur endurance et leurs talents de chasseurs font merveille, Xavier luttant avec les démons ramenés d’Europe.
Un roman et un document : une autre façon de voir la Grande guerre et sa violence, de découvrir les exploits de l’armée canadienne (crète de Vimy…) et aussi le devenir des « native americans », entre réserve, inclusion forcée dans la modernité et préservation des traditions centenaires. C’est bouleversant d’humanité, de sauvagerie, de magie.
Puissant autant que bouleversant
Critique de Bettyzorg (PALAISEAU, Inscrit le 21 décembre 2009, 64 ans) - 13 septembre 2019
Les allers-retours entre la guerre sur le front européen et la terre ancestrale de Xavier et Elijah, les correspondances entre les péripéties d'enfance et les épisodes dramatiques et sanglants du présent, les souvenirs de la vieille tante, .... La construction de ce livre est magnifique.
Au fil de la lecture, le récit nous prend aux tripes (parfois au sens propre). A l'échelle du livre, c'est comme une spirale qui qui nous amène au centre, à l'essence de chaque être, et qui nous rapproche toujours un peu plus de la vérité de chaque personnage, de son histoire, de ce qui l'a modelé. Et l'intensité du bonheur de lecture va aller croissant tout au long de cette spirale.
L'évocation du rapport du peuple Cree aux éléments et aux animaux est passionnante, dénuée de toute idéalisme, faisant apparaître à la fois sa brutale crudité et sa profonde poésie. Tuer pour manger mais respecter la bête abattue. Lorsqu'ils seront confrontés jour après jour à l'animalité des hommes sur le front, les deux amis d'enfance y réagiront d'une manière qui les éloignera.
Un talent de conteur à couper le souffle (quiproquo sur l'identité du survivant, la lettre de la tante envoyée à son neveu, la traversée de l’atlantique dans la cale du bateau, avec les chevaux, .....).
La souffrance est quasiment présente à chaque page. Mais une profonde humanité l'y accompagne également.
Puissant, passionnant, bouleversant !
"Le seul remède, c'est le temps ! "
Critique de Frunny (PARIS, Inscrit le 28 décembre 2009, 59 ans) - 6 novembre 2017
"Through Black Spruce" ("Le chemin des âmes" parait en 2006 en France), son deuxième roman, a remporté le Prix Giller.
Ses ouvrages sont consacrés au destin des Premières nations du nord de l’Ontario.
1919. Nord de l'Ontario (Canada). Niska, une vieille indienne Cree attend sur un quai de gare le retour d'Elijah, un soldat qui a survécu à la Grande Guerre.
A sa grande surprise, l'homme qui descend du train est son neveu Xavier Bird, qu'elle croyait mort.
Mais Xavier n'est plus que l'ombre de lui-même, un homme brisé physiquement et psychologiquement.
Une béquille pour pallier sa jambe amputée, de la morphine pour calmer les douleurs du corps et de l'âme.
Pendant 3 jours, à bord du canoë qui les ramène chez eux, Niska va tout tenter pour le ramener à la vie.
La "médecine du conte" pour lui faire revivre son passé de jeune indien Cree.
Xavier revit les heures sombres des années de guerre, de l'engagement dans l'armée canadienne avec Elijah -son meilleur ami- et l'enfer des champs de bataille en France.
Des hommes qui ont tué pour survivre, à la lisière de la folie où le "plaisir de tuer" n'est jamais très loin.
Une oeuvre remarquable qui salue la mémoire des soldats amérindiens qui ont combattu pendant la Grande Guerre en Europe (1914-1918)
Des indiens qui se sont engagés pour échapper aux réserves qui les attendaient et pour "devenir quelqu'un".
Un moment de lecture particulièrement fort. Les atrocités de la Guerre et les ravages sur les hommes devenus des fantômes.
Un incontournable !
Bouleversant
Critique de Lejak (Metz, Inscrit le 24 septembre 2007, 49 ans) - 8 décembre 2014
Xavier est abîmé, de corps et d'esprit. Niska va tout faire pour le sauver, de lui-même. La morphine le dévore de l'intérieur et l'entraîne dans des abîmes de cauchemar.
Xavier nous raconte la guerre, aux côtés de son ami d'enfance Elijah. Jeunes adultes intrépides, ils partent se battre en France comme pour une simple partie de chasse, sans savoir ...
De son côté, Niska raconte son clan, comment les Blancs ont emmené de force les enfants indiens comme Elijah dans un pensionnat de bonnes sœurs. Elle nous dit son dur apprentissage à vivre seule dans la forêt, les visions sous la tente de sudation, la chasse au Windigo.
Voyage magique en pays Cree, histoires terribles des guerres de tranchée, un grand moment de littérature
Elijah et Xavier s'en vont en guerre
Critique de Heyrike (Eure, Inscrit le 19 septembre 2002, 57 ans) - 30 octobre 2014
Chaque nuit, Elijah et Xavier se glissent silencieusement entre les fils barbelés, plongent dans les cratères d'obus et contournent les cadavres en putréfaction, patiemment ils cherchent l'endroit idéal pour y exercer leurs talents de tireur d'élite. Une fois installés, ils attendent que des soldats Allemands se manifestent et soient ainsi éligibles aux balles qu'ils leur destinent. En général une balle suffit pour rayer le nom d'un Allemand du monde des vivants.
Très vite la renommée de tireur d'élite d'Elijah, que par ailleurs il entretient habilement, se répand au sein du corps expéditionnaire Canadien. Xavier n'est pas dupe, il sait que tout cela n'est qu'un concours de circonstance, qui tient au fait qu'Elijah maîtrise parfaitement la langue anglaise ce qui lui permet de discourir sans fin sur ses exploits, alors que lui même demeure la plupart du temps muet. Xavier pense et s'exprime uniquement en Cree, la langue de son peuple. A défaut de pouvoir s'exprimer clairement dans une langue qu'il ne maîtrise pas, il observe attentivement tout les faits et gestes de ses camarades et plus que tout la métamorphose de son ami Elijah. Celui-ci devient de plus en plus secret, n'étalant que rarement ses sentiments, la guerre est devenue pour lui l'occasion d'exercer au mieux son talent, celui de tuer des hommes.
Xavier assiste atterré à toute l'immensité de ce drame humain qui se déroule sous ses yeux, cette négation absolue de la vie anéantie par la haine et l'orage d'acier qui s'abat continuellement de part et d'autre, tout comme il perçoit que ce qui permet à Elijah de tenir c'est "la médecine blanche" qu'il a connue pour la première fois lors de leur traversée de l'Atlantique pour rejoindre l'Angleterre.
Cet océan les sépare tous les deux de la tante de Xavier qui attend leur retour. Niska se souvient des temps lointains où son peuple vivait encore libre, du temps où son père était le guide spirituel de son clan qu'il maintenait à distance des Wemistikoshiw afin de préserver leur indépendance. Après la mort de ce dernier, elle est devenue à son tour la gardienne des esprits, depuis elle veille seule sur ce qui reste du peuple Cree broyé par les Wemistikoshiw, mais pas entièrement vaincu. Niska a soustrait Xavier, alors qu'il était encore jeune, des griffes des blancs prompts à brandir la croix rédemptrice, misérable représentation d'une profession de foi avortée, pour mieux dissimuler les massacres perpétrés au nom de l'amour du prochain. Petit à petit, elle lui indiqua la voie à suivre, celle qui le conduisit à renouer avec les coutumes de son peuple.
Chaque été, s'échappant du pensionnat pour indiens de Moose Factory (la ville des blancs), Elijah partagea avec Xavier des aventures extraordinaires au cœur de la forêt au cours desquelles ils apprendront à traquer le gibier. C'est Xavier qui initia Elijah à l'art de la chasse en lui montrant toutes les techniques d'approche et la maîtrise du tir au fusil. Xavier était le plus habile des deux dans l'art d'approcher la cible sans se faire repérer et de l'abattre d'une seule balle.
Un très grand roman qui, tout au long de ces trois jours de remontée de la rivière vers la terre des ancêtres, mêle le récit de Niska sur le destin du peuple Cree à travers ses souvenirs de jeunesse à celui de Xavier plongé dans l'horreur d'une guerre qui n'est pas la sienne. Une guerre durant laquelle Xavier tenta désespérément de se préserver de l'apocalypse qui menaçait chaque jour de l'engloutir, alors qu'Elijah était parfaitement à l'aise dans cette immense œuvre de destruction massive, au point d'y voir comme une révélation sur son destin. Une histoire tragique magnifiquement écrite, qui alterne intelligemment les passages entre la vie brisée du peuple Cree et l'existence sacrifiée de deux jeunes hommes dans la première boucherie mondiale.
Poignant...
Critique de Nathafi (SAINT-SOUPLET, Inscrite le 20 avril 2011, 57 ans) - 6 septembre 2014
Poignant, c'est peut-être le seul mot qui me soit venu, car ce livre apporte une douleur, un malaise, et en tout cas ne laisse pas indifférent. Nombre de livres sont parus pour évoquer le guerre 14-18 en ces temps de triste commémoration, à défaut de les avoir lus tous, je crois que "Le chemin des âmes" a une place de choix dans la liste d'ouvrages.
Quelle force!
Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 66 ans) - 6 juillet 2012
Je me décide enfin et je me retrouve « happée » par cette histoire.
Magnifique est un mot réducteur pour un tel roman.
Un livre superbe, d'une force incroyable, où j'ai découvert la vie et les coutumes des indiens, re-découvert la vie quotidienne des tranchées et leur lots d'aberrations, de décisions accablantes, découvert l'importance et la dépendance installée dans l'utilisation de la morphine sur le front, découvert une magnifique histoire d'amitié, de responsabilité, de devoir, de folie, d'amour.
« Chacun se bat sur deux fronts à la fois, l'un contre l'ennemi, l'autre contre ce que nous faisons à l'ennemi. »
Un livre inoubliable par son sujet, la force de ses mots. Et c'est en le refermant que je comprends tous les mots de la quatrième de couverture:
« Un roman brillant et sombre à la fois ;il vous fera peut-être souffrir, mais ça en vaut véritablement la peine. Irrésistible » Jim Harrison
Authentique et déchirant, un récit magistral de l'enfer comme de la façon d'en guérir; un livre grave, imposant et passionné » Louise Erdrich
Superbe
Critique de Zgili (Metz, Inscrit le 26 novembre 2009, 39 ans) - 25 novembre 2011
Humain, sensible, violent, attachant, réaliste, mystique... Toutes les composantes d'un grand livre y sont, l'auteur aborde toutes les situations de la meilleure des façons et, en plus, avec une écriture des plus fluides et agréables.
On apprend énormément sur l'horreur de la guerre, sur la nation Cree, sur l'inhumanité de la société blanche et l'hypocrisie de la religion chrétienne.
Un roman, trop court car trop bon, comme on aimerait en lire plus souvent.
Le mythe du windigo
Critique de BMR & MAM (Paris, Inscrit le 27 avril 2007, 64 ans) - 8 septembre 2010
On avait lu le plus grand bien du roman du canadien Joseph Boyden : Le chemin des âmes, et on n'a pas été déçus. Avis unanime et partagé : un très beau roman qui finira très certainement sur notre podium 2010.
Une écriture simple mais ample, à l'américaine, avec une puissance d'évocation peu commune.
Un roman fort autour de trois personnages riches et complexes : deux indiens crees d'Amérique du nord, enrôlés dans l'armée canadienne venue lutter dans la Somme et l'Artois contre les teutons pendant la Grande Boucherie Guerre, celle de 14-18. Deux amis inséparables. Et la tante de l'un deux, une vieille sorcière cree.
Un récit admirablement construit autour de trois récits qui s'entrecroisent avec une surprenante fluidité pour mieux nous faire découvrir les multiples facettes des trois personnages. Le livre s'ouvre sur un quiproquo : de nos deux jeunes indiens partis au front, seul l'un d'eux revient au pays, une jambe en moins et la tête en vrac, alors que sa vieille tante Niska n'était venue à Toronto que pour ramener son ami au pays.
[...] « On m'avait dit que étais morte, ma tante.
- On m'avait dit la même chose. »
Ils quittent Toronto en canoé pour un long voyage de trois jours (et trois longues nuits) vers leurs terres, au cours duquel la vieille Niska ressort ses secrets, ses pratiques et ses médecines pour tenter d'apaiser l'âme brisée de son neveu. Un voyage au cours duquel vont ressurgir les deux autres récits.
Tout d'abord, la jeunesse de nos trois indiens, au début du siècle sur ces terres convoitées où certains se rebellent encore contre la christianisation forcée ou la ghettoïsation dans les réserves.
Les crees tentent encore de préserver leurs traditions comme par exemple le mythe du windigo destiné à maintenir le tabou sur le cannibalisme : pour ce peuple de chasseurs, l'hiver enneigé est parfois trop long pour joindre les deux bouts et il n'est pas rare de devoir mettre les mocassins à bouillir dans la soupe. Aussi lorsque la saison de chasse est vraiment trop mauvaise, la tentation est parfois trop forte et l'innommable est commis, souvent entre proches, par exemple lorsqu'une mère tente de sauver ses petits.
[...] Savoir qu'on a attenté à la dignité d'un être cher ; que l'on a, poussé par le désir féroce de survivre, commis un acte qui vous met à jamais au ban des vôtres, c'est un métal très dur à avaler, bien d'avantage que la première bouchée de chair humaine.
Le père de Niska possèdait les talents requis pour chasser ces êtres devenus des windigos, une sorte de loup-garou local. Niska a hérité du don de son père : elle est devenu tueuse de windigos.
Le troisième récit, c'est bien entendu l'épouvantable épopée des deux jeunes indiens sur nos terres à nous, jusqu'à la terrible Crête de Vimy près de Lens, où périrent 60.000 canadiens (oui, vous avez bien lu : soixante-mille canadiens !).
[...] « Tu veux que je te dise, ma tante ? » Et je reprends un peu d'eau. « Il y a tellement de morts enterrés là-bas que si les arbres repoussent, les branches porteront des crânes. »
Nos deux indiens sont d'habiles chasseurs, on l'a vu. Des recrues de choix pour crapahuter entre les tranchées et les barbelés, s'embusquer silencieusement, patienter toute une nuit et au petit jour dégommer quelques officiers ennemis avant de revenir en évitant les obus. Des snipers au tableau de chasse impressionnant.
Les rares qui reviendront de cette Horreur, ne rentreront pas indemnes.
Beaucoup y perdront leur intégrité physique.
[...] Un obus est tombé trop près. Il m'a lancé dans les airs et, soudain, j'étais un oiseau. Quand je suis redescendu, je n'avais plus de jambe gauche. J'ai toujours su que les hommes ne sont pas faits pour voler.
Tout comme leur intégrité mentale : beaucoup deviendront accros à la morphine.
[...] Chaque fois que les brancardiers arrivent en sens inverse, il faut se tasser contre le parapet. J'essaie de ne pas regarder les blessés qu'on emporte ; mais à l'occasion, je baisse les yeux et je découvre un visage ou bien convulsé de douleur, ou bien marqué du M jaune indiquant qu'on lui a donné la médecine et qu'il rêve, maintenant, de l'autre monde.
[...] Le seul fait de prendre une seringue dans ma trousse, et de tendre le bras, me soulage presque autant que la morphine elle-même.
Mais le roman de Joseph Boyden n'est pas qu'un récit de guerre de plus, loin s'en faut, et malgré l'horreur des tranchées on devient très vite accro à l'histoire qu'il nous conte. Sans doute parce que ses trois personnages (tout comme son écriture) sont lumineux et que, malgré les terribles souvenirs qui remontent, on se sent étonnamment bien aux côtés de la vieille sorcière cree au fond du canoé. Et l'on voudrait que le voyage de retour dure.
On ne vous en dit pas plus sur ces histoires de windigos ni comment les légendes indiennes croiseront l'épouvantable réalité des tranchées ...
Three-day road : c'est le titre original.
[...] Tu m'as enseigné, Niska, que tôt ou tard, chacun de nous devra descendre, trois jours durant, le chemin des âmes.
Puisque dans les mythes crees, ce chemin des âmes (évident allusion du titre français au terrible Chemin des Dames) c'est un peu le Styx de nos anciens.
Le chemin des âmes...la réalité des Amérindiens de la Baie de James
Critique de Archaos (, Inscrit le 28 novembre 2009, 79 ans) - 10 août 2010
Je ne connais pas beaucoup de romans dont les personnages principaux sont des héros Amérindiens de la Baie de James du Canada. J’aime cette intrusion dans la vie des Amérindiens à travers plusieurs générations et particulièrement y découvrir le rôle capital qu’ils ont pu jouer dans l’armée canadienne durant la guerre de 1914-19. À lire si l’histoire et l’humain vous intéressent. GiL
Des indiens dans les tranchées
Critique de Saule (Bruxelles, Inscrit le 13 avril 2001, 59 ans) - 13 juin 2010
L'auteur raconte le destin terrible de deux jeunes indiens Cree, une tribu du grand nord canadien. Ces deux jeunes gens s'engagent dans l'armée et se retrouvent plongés dans l'enfer des tranchées de Belgique et du nord de la France. Ce sont des chasseurs hors-pairs, et ils deviennent célèbres grâce à leur talent de tireur d'élite et à leur aptitude à devenir invisible et débusquer l'ennemi. Ils multiplient les missions périlleuses et les exploits, mais la guerre et les horreurs vont les transformer et les détruire.
Cette histoire est incroyable. L'auteur décrit très bien cette guerre affreuse et le calvaire des hommes obligés de participer à des combats d'une barbarie incroyable. Le récit des tranchées est alterné avec le récit d'une vieille indienne, qui décrit la vie des indiens Cree dans la forêt, leur relation difficile avec la civilisation.
C'est un très grand roman sur la guerre des tranchées, un des meilleurs sur ce sujet. Il y a des évocations très prenantes des bagarres dans les tranchées, des tueurs embusqués dans les cratères dans le no man's land (espace entre les tranchées ennemies), de tireur d'élites qui se mettent à l'affut parmi les cadavres pour toucher les tireurs adverses. Et il parle aussi du grand nord Canadien, de l'amitié, de la mort. Un livre à lire
Le bouleversant dernier voyage
Critique de Paofaia (Moorea, Inscrite le 14 mai 2010, - ans) - 15 mai 2010
traduit de l'anglais ( Canada) ) par Hugues Leroy
Editions Terre d'Amérique Albin Michel
1919. Xavier Bird rentre au Canada. Ce n'est plus qu'une ombre, gorgée de morphine. Dans les tranchées,il a laissé une jambe, l'ouïe, toute envie de vivre et même son nom car il est renvoyé au pays sous une fausse identité, celle de son ami d'enfance Elijah, avec lequel il s'était engagé , et qui, lui, n'est pas revenu.
Sa tante, la vieille indienne Niska, va faire tout ce qui est en son pouvoir pour l'empêcher de prendre le chemin des âmes, chemin de trois jours, selon la croyance indienne, qui mène à la mort. Et son pouvoir passe par les mots.
Alors, dans le canoë qui les ramène tous deux chez eux, elle va lui raconter son enfance dans les forêts. Et, en parallèle, Xavier revivra des épisodes de la guerre , de cette guerre au cours de laquelle de nombreux Indiens s'étaient volontairement engagés.
Joseph Boyden invité par le festival America, littératures et cultures d'Amérique du Nord en 2006, disait:
"J'ai cherché à comprendre pourquoi tant de jeunes Indiens ,si maltraités par leur pays, se sont engagés dans cette tuerie. Je crois qu'ils ont été émasculés par le gouvernement. En partant combattre en Europe, eux qui n'avaient jamais quitté les grands espaces du nord de l'Ontario pensaient retrouver leur virilité, l'esprit d'aventure, la tradition guerrière de leurs ancêtres, la dignité."
Ce n'est pas l'aventure qu'ils vont trouver, mais l'horreur. Chasseurs depuis toujours, les deux Indiens s'avèrent être des tireurs d'élite. Et si Xavier jamais ne se fait à la mort , Elijah devient un vrai barbare et retrouve des rites ancestraux...
C'est un très beau et très dur roman, mais également une réflexion très poussée sur la possibilité de rester humain quand plus rien ne l'est alentour.
Bouleversant
Critique de Clara33 (, Inscrite le 29 septembre 2008, 77 ans) - 14 mai 2010
La guerre qui tue les hommes, anéantit les survivants et l'on assiste tout au long de ce récit à la lente destruction psychologique de nos deux héros qui conduira au bord de la folie Elijah et détruira une solide amitié.
Parallèlement, le récit de la vieille indienne, Niska, nous plonge dans la vie des indiens crees et décrit un mode de vie menacé par le modernisme. Cette vie, pourtant âpre, dans une nature sauvage, apparait comme un havre de paix loin de la guerre qui se déroule à des milliers de kilomètres.
Joseph Boyden a su, avec une force rare, décrire la réalité quotidienne de la guerre et le courage de ces soldats lors de ces innombrables assauts meurtriers hors des tranchées.
Ce livre nous permet d'évoquer la mémoire de tous ses soldats, proches ou inconnus, partis, au front et qui ne sont jamais revenus. C'est un livre remarquable, bouleversant qui se lit avec émotion, un vrai coup de coeur.
Un ouvrage puissant.
Critique de Ellcrys (Marseille, Inscrite le 24 décembre 2009, 40 ans) - 14 janvier 2010
Parlons d'abord des moments se déroulant au Canada, en compagnie de Niska, la tante de Xavier, Elijah et Xavier lui-même. J'ai été éblouie par la manière de vivre de Niska, par son courage, sa force, sa gentillesse. Niska vit comme le faisaient ses ancêtres, au contact de la nature, en total respect avec elle. Beaucoup de scènes m'ont touchée et certaines m'ont mise mal à l'aise, notamment le racisme des "blancs" envers les amérindiens... Je n'arrive pas à comprendre le mépris de ces personnes urbanisées, pour un peuple passionnant. Ensuite viennent les épisodes se passant en France, en compagnie de Xavier et d'Elijah. Ces passages sont horriblement difficiles car l'auteur colle au plus près de l'horreur que vivaient les soldats dans les tranchées. J'entendais dans mes oreilles siffler les balles, les obus, je sentais l'odeur de la mort, de la souffrance, la morsure des poux. J'ai découvert que beaucoup de soldats, pour supporter l'enfer dans lequel ils étaient plongés, étaient devenus morphinomanes. Certains malgré cela, ne pouvaient échapper à une certaine folie, qui nous guette, nous aussi, dans ces pages.
Ce qui m'a beaucoup intéressée dans ce roman magnifique, c'est le fait de voir, de sentir, de vivre la première guerre mondiale, les tranchées du regard d'amérindiens et aussi de connaitre un peu plus la culture de ce peuple passionnant. J'ai été émue par la vie de Niska. Et la scène dans l'internat, quand elle est jeune fille, avec le moment où elle se coupe les cheveux m'a vraiment touchée, j'en ai pleuré, j'ai été écoeurée de la manière dont ces femmes traitaient les jeunes amérindiens... Joseph Boyden nous montre effectivement les choses, sans montrer de jugement, c'est important. Son roman est tout simplement passionnant.
Le chemin des âmes est donc un livre difficile mais magnifiquement écrit. Passionnant pour ce qu'il nous montre ou nous apprend. Je peux vous assurer que ce livre est beau, très beau. Je vous en supplie, lisez-le, vous ne regretterez pas !
Puissances !
Critique de Monito (, Inscrit le 22 juin 2004, 52 ans) - 10 mai 2009
Est-ce parce que je vis à quelques kilomètres de Vimy, ce lieu magique où sont tombés des dizaines de milliers de canadiens lors du premier conflit mondial ?
Sans doute que connaître ce site tel qu’il est aujourd’hui, conservé mais où la nature a repris ses droits et où les cratères d’obus figurent un paysage lunaire verdoyant, renvoie à la lecture l’horreur des combats et le charnier organisé par la folie humaine.
Ce roman est un roman de guerre, c’est une évidence. La peur, l’horreur des combats, leur bêtise aussi, sont quasi vécues.
Ce roman c’est aussi l’histoire de deux amis, inséparables, si proches et si différents. Des indiens du Canada qu’on a voulu assimiler comme l’ont fait les blancs du pays voisin.
Ce livre c’est l’évolution des coutumes, des croyances qui, par-delà le temps donne sa force à un peuple.
C’est une histoire poignante qu’on a du mal à délaisser ne serait-ce qu’une minute. C’est simplement puissant.
Une plume de grand Manitou!
Critique de Comhel (Sainte-Ursule, Inscrite le 27 novembre 2008, 69 ans) - 19 décembre 2008
c'est tellement dur et beau!
De belles âmes
Critique de Aliénor (, Inscrite le 14 avril 2005, 56 ans) - 18 septembre 2006
Le sujet est difficile, puisque l’action se déroule durant la 1ère guerre mondiale. Et rien ne nous est épargné des combats, des morts violentes et de l’horreur des tranchées.
Dans cette guerre sont plongés deux amis d’enfance, canadiens d’origine indienne, qui ont voulu s’enrôler ensemble et se retrouvent en plein enfer dans le Nord de la France. Loin de leur pays, de leur culture et de la passion commune qui jusqu’alors rythmait leur quotidien : la chasse.
Cette passion va d’ailleurs faire d’eux des soldats d’élite, et leur réputation va aller s’amplifiant, l’un des deux devenant même un véritable héros aux yeux des autres et de sa hiérarchie.
Mais comme toute médaille a son revers, cette gloire grandissante va aussi creuser un fossé entre les deux amis, et les mener inexorablement au drame. Une tragédie personnelle ajoutée à cette tragédie collective dont bien sûr on ne peut sortir indemne.
Le chemin des âmes est un roman bouleversant, remarquablement écrit. Les trois personnages principaux sont tout bonnement inoubliables, tant ils sont pleins de bonté, de pureté, de failles et de blessures qui nous prennent au cœur.
Rien qu’à écrire ces quelques lignes l’émotion remonte, intacte.
Un grand roman, un grand auteur.
un pur chef d'oeuvre
Critique de Antic 80 (, Inscrit le 28 août 2006, 59 ans) - 7 septembre 2006
Il s'agit là du premier roman d 'un jeune Canadien des plus talentueux. La plume est aussi personnelle qu' intéressante. Il y a assurément du génie littéraire, et ce roman m'a parfois rappelé celui de Frazier (cold mountain).
Boyden nous raconte avec autant de talent les horreurs de la grande guerre et les parties de chasse dans la nature canadienne.
Certainement un des meilleurs romans de ces derniers temps. J'adore!!!!
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