Ourania de J.M.G. Le Clézio
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Utopie triste ?
Un livre où l’on trouve un peu de tout : un géographe en vadrouille au Mexique, des intellectuels y formant une sorte de communauté frisant l’inutile, des quartiers pauvres, des quartiers riches, beaucoup d’injustices, une autre communauté – de « planants » cette fois – qui peine à trouver sa place et ne parvient pas vraiment à construire un monde parfait. Et puis des mots bien sûr, parce que tout ça est très humain (au bon et au mauvais sens du terme) et que l’humain est parole.
Le lien entre ces divers univers est parfois un peu artificiel je trouve. Il passe notamment par des personnages : le géographe susdit, une mère plus ou moins célibataire et militante, une prostituée en révolte, le jeune homme élevé chez les utopistes…
Les grands thèmes abondent. Le regard se fait sociologique, écologique, politique…et toujours littéraire bien sûr.
Ce qui m’a attiré de prime abord, c’était l’aspect utopique. Difficile de ne pas penser à Ivan Illitch (le Mexique aussi…), à Etienne Cabet, à Charles Fourier, aux libres enfants de Summerhill…
Mais Le Clézio n’approfondit pas vraiment cet aspect et ce qu’il nous en montre fait plus penser à une secte mystique (mais non religieuse !) qu’à un projet alternatif de société. On y trouve une sorte de guide suprême que tout le monde appelle le « Conseiller » (doux euphémisme pour « chef », un mot interdit). Il a même nommé ses successeurs qui habitent « dans la maison tout en haut du village ». Oui, c’est le coup du château fort et du donjon : la race des seigneurs. Pas très démocratique tout ça…
Cela dit, Le Clézio ne donne pas particulièrement l’impression de prôner ce type d’approche. Il reste extérieur, à l’image de son personnage central, le géographe.
Voilà. J’ai beaucoup de considération et de sympathie pour l’auteur, mais son bouquin ne m’a pas vraiment accroché. Il m’a semblé pour tout dire un peu brouillon. Pas dans l’écriture, non, mais dans le propos.
J’espère que d’autres y trouveront plus de plaisir.
Il y a un excellent passage (d’une dizaine de pages) sur l’histoire de la terre (au sens de sol) en un lieu précis et qui débouche sur un message écolo très puissant lorsqu’il la compare à la peau d’une femme : « Prenez garde à ce que ce corps de femme si beau et si généreux ne devienne, du fait de votre âpreté au gain ou de votre inconscience, le corps desséché et stérile d’une vieille à la peau grise, décharnée, vouée à la mort prochaine ».
Les éditions
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Ourania [Texte imprimé], roman J. M. G. Le Clézio
de Le Clézio, J.M.G.
Gallimard / Blanche
ISBN : 9782070777037 ; 19,80 € ; 02/02/2006 ; 293 p. ; Broché -
Ourania [Texte imprimé] J. M. G. Le Clézio
de Le Clézio, J.M.G.
Gallimard / Collection Folio
ISBN : 9782070346431 ; 37,20 € ; 07/06/2007 ; 346 p. ; Broché
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Les critiques éclairs (1)
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La lecture de Patryck Froissart
Critique de FROISSART (St Paul, Inscrit le 20 février 2006, 77 ans) - 12 juillet 2006
Auteur : J.M.G. Le Clézio
Editeur : Gallimard (NRF, 19 janvier 2006)
ISBN : 2070777030
Lire un nouveau roman de Le Clézio, c’est toujours prendre un bateau, un train, un chameau pour un long voyage vers nulle part, non pas vers une nulle part synonyme de vide et de rien, mais au contraire vers cette contrée riche d’étrangeté, remplie de poésie, pleine des désespoirs les plus beaux que l’auteur crée ou recrée à chaque roman, tantôt dans une vallée déserte de Rodrigues ou de Maurice (Le Voyage à Rodrigues, Le Chercheur d’Or) tantôt dans un environnement où l’horizon est tout aussi circulaire, clos et infini à la fois (Désert), tantôt, comme ici, à Ourania, dans une « cité du soleil » perdue au milieu des volcans de l’ouest mexicain.
L’action leclézienne, où qu’elle se déroule, situe récuremment ses personnages dans un univers insulaire, dans un îlot, qui peut d’ailleurs être mobile, car les héros de Le Clézio transportent l’île, autour d’eux, (comme une bulle, diraient peut-être les psycho-psychas), aussi bien aussi en eux.
Ce n’est pas un hasard si le narrateur principal, géographe et poète, s’appelle ici Daniel Sillitoe : ce nom n’évoque-t-il pas un certain Daniel Defoe, et son Crusoe ?
« J’ai inventé un pays » est le titre du premier chapitre, où le narrateur principal raconte son rêve d’enfant, prémonitoire de sa future rencontre avec la république d’Ourania et, à sa marge, la colline des anthropologues et le centre du savoir de l’Emporio.
On y devine, évidemment, au-delà de l’action initiale, instigatrice, dynamique, du roman, le mécanisme fondateur de la démarche littéraire du romancier, l’une des clés de son imaginaire créateur.
Donc Daniel Sillitoe, jeune géographe français, arrive, probablement vers le milieu des années 80, dans une ville qu’on nomme La Vallée, après avoir fait la connaissance, dans le car, de Raphaël, qui lui parle, sobrement, de l’étrange village de Campos, où il vit, très à l’écart de La Vallée.
Daniel, oubliant l’objectif scientifique de son voyage, qui est d’opérer, plus loin, en ligne droite, des relevés topographiques et géologiques du Paricutin à la vallée du Tepalcatepec, s’installe dans La Vallée, où les rencontres vont se succéder et se croiser.
Daniel entame une liaison amoureuse avec Dahlia, révolutionnaire portoricaine en exil, est introduit dans un cercle intellectuel en formation, constitué surtout d’anthropologues en mal d’exotisme et de révolution, recherche passionnément Lili, une prostituée qu’il idéalise, et qu’il se fait un devoir missionnaire de sauver de sa condition, et reçoit les confidences écrites de Raphaël décrivant la vie à Campos, la nouvelle Utopia (l’Ourania de son rêve d’enfance).
L’histoire d’Ourania, inscrite d’abord dans un tiroir du roman, sous forme épistolaire, par Raphaël, devient vers la fin du livre l’intrigue principale, avec changement de narrateur.
Les personnages en sont attachants, de Raphaël, l’ange, placé là tout enfant par son père en rupture de geôle, au couple édénique Christian et Hoatu, au conseiller Jadi, le fondateur charismatique de la communauté, jusqu’au judas Efrain, qui trahira, comme il se doit.
Car la trajectoire de la petite société hippie, chassée de Campos par une expropriation bien orchestrée par les investisseurs locaux (les grands problèmes agraires du Mexique font contexte au roman) se termine tragiquement, et, comme toute Utopie (au sens étymologique), Ourania, après une épopée passionnante qui entraîne ses membres jusqu’à l’île de la Demi-Lune (terre promise qui se révèle enfer), puis, normativement, se dissout peu à peu dans le « non-lieu ».
L’histoire de Daniel est tout aussi conforme à la norme, à la règle : il quitte La Vallée, accomplit sa mission officielle (abandonnant donc le cercle romanesque de tous les possibles pour la ligne droite, réaliste, concrète, de l’action), rentre en France, devient professeur d’histoire et de géographie dans le collège de Blainville en Seine-Maritime, et s’offre vingt-cinq ans plus tard, en 2009, un voyage pèlerinage au cours duquel il ne reconnaît plus rien…
Il ne retrouve que Dahlia, vieillie, avec laquelle il peut pourtant conclure :
« En attendant, les régions les plus pauvres de la planète continuent à sombrer dans les guerres larvées et l’insolvabilité. Il n’y a plus qu’un grand mouvement d’exode, une sorte de vague de fond qui se brise continuellement sur l’écueil de la frontière. Il n’y a pas de quoi être optimiste. Pourtant, ce qui nous unit encore, Dahlia et moi, ce qui nous permet d’espérer, c’est la certitude que le pays d’Ourania a vraiment existé, d’en avoir été les témoins. »
Voilà qui nous replonge dans la réalité dramatique de ce début de millénaire avec la liberté de nous dire que, tant qu’il y aura des Thomas More, des Fourrier, des Campanella… et des Le Clézio pour nous bâtir des sociétés idéales, nous pourrons nous permettre, nous aussi, d’espérer !
Patryck Froissart, à El Menzel, le 11 juillet 2006
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