Petit abécédaire des mots détournés de Nicole Malinconi

Petit abécédaire des mots détournés de Nicole Malinconi

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Critiques et histoire littéraire

Critiqué par Kinbote, le 7 juin 2006 (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans)
La note : 9 étoiles
Visites : 5 130  (depuis Novembre 2007)

Sous-mots

Accompagnateur de train, audit, bio, biper, briefer, capter, coach, concept, dysfonctionnement...
Ce ne sont là que quelques-uns des premiers mots que Nicole Malinconi passe aux rayon X de son analyse pour livrer chaque fois le même diagnostic : ces mots-là sont les symptômes d’un état particulier de notre société « qui en dit long sur nous », où la langue – et les hommes, et la grande nature - ne devrait « plus que servir, devenant outil d’efficacité, sans plus de place pour que prenne corps l’idée de ce que l’on dit ». Ces mots qui font les nouveaux discours, le parler courant (le SMS est pour elle la Syntaxe Mutilée Sauvagement), et qui proviennent surtout du langage des affaires, de l’informatique ou de la communication. Certains mots ont perdu leur sens ordinaire, ils ont été détournés de leur sens originel, afin de s’éviter l’ambiguïté propre à toute langue, comme si les mots étaient sans descendance, en dehors de toute temporalité. Malinconi parle de langue sans ombre, de langue globale. Elle écrit que la globalisation, c’est l’annulation du détail. Elle s’appuie entre autres sur un passage de « 1984 » de George Orwell et sur les études réalisées par Victor Klemperer sur la langue du IIIème Reich.

Avec quelque 120 entrées, ce lexique se prête à être complété. Nul doute que si le livre était paru après les déclarations publiques du juge Burgaud sur le plantage de l’affaire d’Outreau, Malinconi aurait ajouté « Interactivité ». Où on a vu que l’idée que véhiculait ce mot dans le chef du juge a induit son comportement avec la conscience de bien faire.
Dans ce manuel, Malinconi emploie divers genres d’écriture, le langage direct, la fable, l’ironie, mêlés à l’analyse ; elle retrouve la capacité de s’indigner, la force d’argumenter et une violence qui portait son premier ouvrage, Hôpital silence, et qu’on n’avait plus guère retrouvée qu’ici et là dans certains textes de ses recueils, Rien ou presque ou Jardin public.
En même temps, ce livre s’inscrit dans une continuité. Nicole Malinconi n’a cessé de traquer le réel au plus près, préférant les périphrases et l'ambiguïté de la langue, comme dans Portraits, plutôt que les raccourcis qui, s'ils donnent une impression de maîtrise, amputent le réel d’une part de sa complexité. Elle écrit justement que « visualiser », c’est « faire voir avec évidence », façon d’esquiver « le flou de l’imperceptible et du fugitif ».

Dans sa volonté de rendre compte de toutes les faces d’un objet, Picasso, après Cézane, inscrivait divers points de vue dans une même image. L’auteure de Nous deux et de Da solo rappelle que la grand Svastoslav Richter, à la fin de sa vie, avouait n’avoir rien compris à Mozart. L’humilité passe par l’aveu de l’ignorance en toute chose, écrit-elle. En manière de conclusion.

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Les éditions

  • Petit abécédaire de mots détournés [Texte imprimé] Nicole Malinconi
    de Malinconi, Nicole
    Labor / Grand espace nord
    ISBN : 9782804021948 ; 12,20 € ; 05/12/2005 ; 134 p. ; Broché
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