Ombres et désirs de Éric Warnauts (Scénario), Marc-Renier (Dessin)

Catégorie(s) : Bande dessinée => Divers

Critiqué par Shelton, le 5 juin 2006 (Chalon-sur-Saône, Inscrit le 15 février 2005, 68 ans)
La note : 10 étoiles
Visites : 5 468  (depuis Novembre 2007)

Sombre...

Tiens, petite surprise, cette bande dessinée n’est pas signée Warnauts et Raives, mais Marc-Renier et Warnauts ! Oui, Eric Warnauts n’a pas travaillé qu’avec son pote Guy Raives mais aussi avec ce Marc-Renier… Il ne s’agit pas là d’une autre rencontre de sa vie car ces deux lascars se connaissent très bien depuis très longtemps, ils sont tout simplement frères ! Il faut dire que la famille Warnauts ne compte que trois frères auteurs de bédés… Marc-Renier, Roland et Eric… Les deux frères, Eric et Marc-Renier vont réaliser deux récits pour le magazine (A suivre), Ombres et désirs (1994) et Là où meurent les anges (1997). Marc-Renier commet aussi de très nombreux autres ouvrages et il fait partie de ceux qui ont participé à renouveler la bande dessinée belge.
Cet album, Ombres et désirs, est réalisé en noir et blanc, plus exactement avec des teintes en noir, blanc et rouge… en 106 planches, format atypique comme pouvaient en proposer des revues à l’époque… Le scénario d’Eric Warnauts est très fort, dense, plein de violence… Il faut dire que lorsque l’on décide d’écrire avec l’Allemagne et le nazisme naissant en toile de fond il ne peut guère être question d’une petite histoire à l’eau de rose… Mais la sensation lourde pour le lecteur ne va pas venir des idées politiques, plutôt des caractères des trois personnages qui vont nous accompagner Anton, Karl et Elena, de leurs relations complexes, des volontés de soumission et de domination qui les traverseront tout au long du récit… Oui, vous l’avez bien compris, une bande dessinée pour adultes, un récit extrême, une lecture qui ne laissera jamais indifférent…
Karl Reinhartz est un neurochirurgien allemand, réputé dans toute l’Europe. Mais cet homme, fragilisé par la maladie mortelle de sa femme, déstabilisé par l’idéologie nazie qui s’installe dans son pays, ressemble à un enfant (pourtant il a un physique fort typiquement bavarois) ballotté par des temps qui ne lui sont plus favorables. Dès qu’il quitte son ambiance strictement professionnelle, il semble à la merci de tous les dangers… Ces derniers peuvent être véhiculés par un certain Koëgler, pharmacien et trafiquant, qui est aussi fiable qu’une vipère ou un agent double…
Anton est un Juif, ce qui a cette époque-là est déjà un statut humainement parlant délicat même si les grandes persécutions n’ont pas encore commencé. Mais Karl, membre de la bourgeoisie en place, sensible aux idées de renouveau de l’Allemagne, ne peut qu’être dubitatif face à ces être humains montrés du doigt pat les nazis. Lorsque Karl en parle à sa femme, elle dit tout simplement : « Tu caches un Juif chez nous ? Je croyais que tu ne les aimais pas… Tu as eu peur qu’elle parte avec lui si tu le chassais… C’est à ce point là, Karl ? ».
Oui, Elsa, son épouse, a tout de suite compris que Anton n’était là que parce qu’il y avait une femme. Elena se donne tantôt à Anton tantôt à Karl. Elle est soumise aux deux et elle pourrait même faire mieux… « Tu sais… Je peux subir bien plus que ça… Bien plus si je le désire… Tu verras… ». Mais ce n’est pas une histoire pornographique, c’est l’histoire complexe et torturée de trois êtres pris dans la tourmente. Karl va tuer par ce qu’il aime profondément Elena qui elle ne comprend pas qu’on puisse l’aimer… Anton va exploiter les deux autres pour atteindre son but : quitter au plus vite ce pays qui devient très dangereux pour lui… Et Elena fera tout, réellement tout, pour obéir à Anton qui la domine totalement…
Je crois que l’issue de ce drame n’a pas d’importance autre que celle de montrer que Karl, jusqu’au bout, restera un honnête homme, un de ces Allemands qui n’avaient qu’un seul défaut, la naïveté de croire que tout pouvait s’arranger… On sait jusqu’où c’est allé et comment ça s’est arrangé ! Par certains côtés, cette histoire est à rapprocher d’une de Warnauts et Raives, L’Innocente, dont je vous parlerai prochainement…
Du côté de la narration graphique, il y a une séquence très réussie lorsque Karl part à la banque pour retirer de l’argent pour payer le voyage de départ d’Allemagne. Quatre planches de toute beauté, très techniques avec très peu de texte, que j’utilise encore régulièrement pour montrer à des jeunes comment s’organise un récit, une description, une action en bande dessinée… Chapeau les deux artistes !
Grande bande dessinée qu’il faudra que vous lisiez un jour ! Je l’ai depuis sa sortie, je le relis régulièrement et elle fait partie des preuves indiscutables de la maturité atteinte par la bédé aujourd’hui…

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