La peau de Curzio Malaparte
Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone
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« Shut up, Malaparte. »
A quel genre littéraire appartient La Peau, de Curzio Malaparte ? Je ne me risquerai pas à donner une réponse plus précise que celle-ci : au même genre que Kaputt, du même auteur, auquel, historiquement, ce livre fait suite (Kaputt a été publié en 1943, La Peau en 1949.) La différence, précisément, c’est l’Histoire, la « grande ». Dans Kaputt, les protagonistes étaient les allemands, alors envahisseurs ; dans La Peau, dont la toile de fond est l’Europe de la Libération, ce sont les Américains qui tiennent le rôle principal. (Oserais-je dire « le même rôle » ?) Le narrateur, en revanche, reste le même, et se nomme sans ambages « Malaparte ». Faut-il croire à une identité parfaite entre ce narrateur et l’auteur, entre les personnages et des personnes réelles, faut-il croire à tout ce que nous raconte Malaparte, ce formidable conteur ? Sans doute pas au pied de la lettre. Comme Kaputt, et peut-être même encore davantage, La Peau est une fresque baroque, qui cherche par des moyens esthétiques exceptionnels à rendre compte de l’horreur : ici, celle d’un pays avili. A cet égard, la description de l’uniforme porté par Malaparte, celui de la nouvelle armée italienne, est emblématique : c’est l’uniforme des soldats anglais tombés à El Alamein et à Tobrouk, juste reteint pour l’occasion, sous la teinture duquel Malaparte voit encore les trous et les taches du sang de leur ancien propriétaire.
Si le regard douloureux de Malaparte se porte naturellement sur l’Italie, et particulièrement sur les napolitains, il ne faudrait pas croire qu’il ait moins de compassion pour les Américains qu’il côtoie, et dont certains sont devenus ses amis – alors même que la présence américaine est une cause essentielle du sentiment de honte et d’écrasement vécu par l’Italie et décrit par l’auteur, lequel entraîne ses nouveaux camarades effarés (« Shut up, Malaparte ») dans les rues les plus pauvres de Naples, où à cause du dollar la prostitution est devenue la principale ressource de revenus. Malgré cela, les portraits de Jack Hamilton et de Jimmy Wren sont pleins d’amitié et même de tendresse (les soldats américains sont d’ailleurs les dédicataires du livre – la dédicace étant par ailleurs, à l’image de Malaparte, peu consensuelle).
Je ne l’ai peut-être pas dit suffisamment clairement : la lecture de La Peau est une épreuve. A me voir lire, ma femme me disait d’arrêter, que j’allais me rendre malade. (Ceux qui l’ont lu se souviendront de l’explication du titre, ce titre si beau, si humain, qui nous est livrée près de la fin du livre.) L’écriture, d’une beauté d’un autre temps (il m’arrivait de penser à Agrippa d’Aubigné, mais à un d’Aubigné désabusé, qui aurait cessé de croire), surpasse à mon sens celle de nombreux contemporains de Malaparte demeurés cependant plus célèbres. C’est que, par ses prises de position, Malaparte n’a pas cherché à se faire des alliés, ni d’un côté ni de l’autre. Sans doute faut-il voir là une raison à la pénombre relative dans laquelle son œuvre reste encore maintenue aujourd’hui.
Les éditions
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La peau de Curzio Malaparte
de Malaparte, Curzio
Gallimard / Folio
ISBN : 9782070365029 ; 9,70 € ; 07/12/1973 ; 438 p. ; Poche
Les livres liés
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Les critiques éclairs (6)
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Vive la guerre….
Critique de Pacmann (Tamise, Inscrit le 2 février 2012, 59 ans) - 1 septembre 2016
L’ambiguïté et le trouble que l’auteur sème dans l’esprit du lecteur peut déranger. Les conséquences les plus irréelles et fantasmagoriques de ce qu’est la guerre sont décrites avec un talent incontestable, mais cet excès peut aussi décrédibiliser l’aspect historique de ce roman.
Ce contexte historique c’est la présence alliée à Naples avant que saute le verrou du Mont Cassin et sur la fin du récit, l’arrivée de ces mêmes troupes dans la ville ouverte de Rome.
Malaparte n’est plus le diplomate policé de « Kaputt » mais un militaire désœuvré accompagnant des officiers britanniques, américains voire français dans une prétendue société napolitaine dépeinte avec noirceur et réalisme excessif. La misère semble justifier tous les excès et une série de dépravations des indigènes qui commettent les ignominies les plus improbables pour sauver leur peau d'où le titre du livre.
Malaparte rencontre une série de personnages truculents, caricaturaux et se met dans des situations parfois crédibles, parfois beaucoup moins. Certes, il est possible au lecteur de faire le tri entre le vrai et l’imaginaire, mais rien n’est limpide.
L’écriture est souvent assez dense et ne laisse pas beaucoup de répit ; il s’agit bien de créer une forme de tension par un style fort mais pas toujours aisé.
Incontestablement un classique, mais on peut vivre et avoir vécu sans l’avoir lu.
DEFAITE OU VICTOIRE, DEUX FACES D'UNE MEME IMPASSE
Critique de TRIEB (BOULOGNE-BILLANCOURT, Inscrit le 18 avril 2012, 73 ans) - 23 mai 2012
Jouant en permanence sur l’ambiguïté de la situation de l’Italie, son pays natal, successivement allié de l’Allemagne nazie puis retournant ses alliances après la chute du régime de Mussolini, Malaparte fait justice du simplisme historique : « Avant la libération, les peuples d’Europe souffraient avec une merveilleuse dignité. Ils luttaient le front haut, ils luttaient pour ne pas mourir. Et les hommes (…) s’accrochent (…) à tout ce qui constitue la partie vivante, éternelle de la vie humaine . Ils luttent pour sauver leurs âmes . Mais après la libération, les hommes avaient dû lutter pour vivre. C’est une chose humiliante, horrible que de lutter pour vivre. »
Les notions de vainqueurs et de vaincus sont soumises à de pertinentes interrogations et remises en cause, dont l’acuité augmente tout au long de l’ouvrage : « Au cours de cette glorieuse guerre, soyons justes, ce n’est pas seulement aux Italiens qu’il était arrivé de tourner le dos à l’ennemi, mais à tous : Anglais, Américains, Allemands Russes, Français, Yougoslaves, à tous vainqueurs et vaincus. »
Les descriptions des combats sont accompagnées de fréquents recours à l’histoire antique, à l’onirisme, ce qui fait de ce récit l’un des plus significatifs dans le domaine des romans inspirés des événements de la seconde guerre mondiale . La dernière réplique du roman ,« Tu ne voudrais pas me faire croire, dit Jimmy, que le Christ a perdu la guerre ?
-C’est une honte de gagner la guerre, dis-je à voix basse» résume la profondeur des interrogations décrites dans ce récit de très grande qualité dont l’appel à la réflexion sur ces notions est d’une grande force.
Un livre marquant
Critique de Sundernono (Nice, Inscrit le 21 février 2011, 41 ans) - 4 janvier 2012
Je ne connaissais pas du tout cet auteur, ce Malaparte, assurément un grand homme, de par son histoire, son vécu, sa culture, son style. Ecrire un tel livre, sur un tel sujet, à savoir la "libération" de l'Italie par les alliés, le rendre si passionnant, Malaparte est assurément un grand écrivain.
Ce livre me fait penser au "Catch 22" de J. Heller, avec cet humour présent pour masquer toute l'horreur de cette guerre, le tout ponctué de passages poignants comme celui-ci:
"Nous savons tous, en Europe, qu'il y'a mille façons de faire le clown. Jouer au héros, au lâche, au traître, au révolutionnaire, au sauveur de la patrie, au martyr de la liberté, ce sont autant de manières de faire le clown. Même coller un homme au mur et lui tirer dans le ventre, même perdre et gagner la guerre, ce sont des façons comme tant d'autres de faire le clown. Mais je ne pouvais me refuser à faire le clown pour aider un pauvre garçon américain à mourir sans souffrance.[...]Je mangerais de la terre, je mâcherais des pierres, j'avalerais de la crotte, je trahirais ma mère, pour aider un homme ou un animal à ne pas souffrir. La mort ne me fait pas peur: je ne la hais pas, elle ne me dégoûte pas. Au fond, c'est là une chose qui ne me regarde pas. Mais la souffrance, je la hais; et celle des autres, hommes ou animaux, plus que la mienne. Je suis prêt à tout, à n'importe quelle lâcheté, à n'importe quel acte héroïque, pour ne pas faire souffrir un être humain; pour aider un homme à ne pas souffrir, à mourir sans douleur."
Je trouve ce passage vraiment révélateur de l'essence même de ce livre, un incontournable de la littérature.
Dans Naples libérée
Critique de Poignant (Poitiers, Inscrit le 2 août 2010, 58 ans) - 22 janvier 2011
Malaparte, opposant historique de Mussolini, est nommé officier de liaison du nouveau pouvoir italien auprès des troupes américaines. Il vient de publier le sublime et fantasque « Kaputt » récit de ses pérégrinations de correspondant de guerre sur le front de l'est.
Naples libérée, mais aussi vaincue, en ruine, au bord de la famine, ravagée par le marché noir, la prostitution, la misère, le typhus, est le cadre dantesque de la « Peau ». Les braves G.I's y côtoient les lazzaroni qui prostituent leur femmes ou leurs enfants pour manger. Leurs prudes officiers à l'esprit bon-enfant y découvrent l'antique noblesse patricienne Napolitaine, ou une intelligentsia homosexuelle décadente.
Ce récit où se mêlent la mort et l'instinct de survie, la bassesse et la grandeur humaine, le cocasse et l'insoutenable, est le brillant petit frère de « Kaputt ». Certes, on n'y atteint pas les mêmes sommets d'horreur baroque. Mais la puissante écriture de Malaparte, associée à un humour d'un noir intense et à un sens aiguisé de l'absurde, produit encore une œuvre passionnante.
A mon sens, Malaparte est un des dix plus grands écrivains européens du 20ème siècle, sans doute aujourd'hui injustement oublié. N'hésitez pas à le découvrir.
"Haïr les cadavres!"
Critique de Herculine Zabulon (, Inscrit le 6 septembre 2010, - ans) - 31 octobre 2010
La Peau. Extraits, encore :
"C'est toujours la même histoire, après une guerre. Les jeunes réagissent contre l'héroïsme, contre la rhétorique du sacrifice, de la mort héroïque, et ils réagissent toujours de la même façon. Par dégoût de l'héroïsme, des nobles idéaux, des idéaux héroïques, sais-tu ce que font les jeunes comme toi?Ils choisissent toujours la révolte la plus facile, celle de la lâcheté, de l'indifférence morale, du narcissisme. Ils se prennent pour des rebelles, des blasés, des affranchis, des nihilistes, et ils ne sont que des putains".
"Un matin, nous franchîmes le fleuve et occupâmes Florence. Emergeant des égoûts, des caves, des greniers, des armoires, de sous les lits, des crevasses des murs, où ils vivaient "clandestinement" depuis un mois, débouchèrent tels des rats les héros de la dernière heure, les tyrans de demain : ces héroïques rats de la liberté, qui, un jour, allaient envahir toute l'Europe, pour édifier sur les ruines de l'oppression étrangère le règne de l'oppression nationale".
Classique et extravagant.
Critique de Saint Jean-Baptiste (Ottignies, Inscrit le 23 juillet 2003, 88 ans) - 15 janvier 2007
La Peau est aussi composé de chapitres indépendants les uns des autres mais brodant tous sur un même thème. Et c'est le même type d'histoires que dans Kaputt, racontées avec toujours autant de drôlerie et de finesse, avec des situations extravagantes et des portraits psychologiques toujours aussi raffinés et aussi bien tapés dans un livre que dans l'autre.
Malaparte a un art de raconter des histoires qui n'appartient qu'à lui. Son style est à la fois flamboyant, raffiné, subtil et poétique. C'est sans contredit un de nos tous grands classiques et son La Peau, comme son Kaputt, est un vrai régal de lecture, bien que, comme le dit Feint ci-dessus, il faille de temps en temps bien s'accrocher !
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