Récit de la dernière année de Jacqueline Harpman

Récit de la dernière année de Jacqueline Harpman

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Boulou, le 2 juillet 2001 (Bruxelles, Inscrite le 9 décembre 2000, 80 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (24 562ème position).
Visites : 6 082  (depuis Novembre 2007)

Un hymne à la vie

Je suis une inconditionnelle de Jacqueline Harpman, et ce livre-ci, une fois de plus, m'a enchantée par le sujet, le rythme, la densité des émotions.
Delphine Maubert dresse le bilan de sa vie ; elle est veuve, belle, vit seule, est proche de sa mère et a deux enfants.
A 50 ans, elle décide de partir en vacances, en Italie : dès son retour, une vilaine grippe se déclare et le médecin décèle un cancer, irrémédiable. Au lieu de gémir sur son sort, Delphine choisit de ne pas subir ce qui lui reste à vivre, mais de passer sa " dernière année " le mieux possible.
On assiste, au fil des pages, à la naissance d’une très grande tendresse entre son médecin et elle-même, à la merveilleuse complicité entre les trois générations - la mère, l’héroïne et sa fille -, à l'exacerbation des sentiments et des émotions au fur et à mesure de l'évolution de la maladie.
Les noms des chapitres du roman sont les passages d'une messe de funérailles et cependant, non, ce n’est pas un livre triste mais plutôt un hymne à la vie, déchirant et poignant.
Il y a dans le livre, une phrase que je trouve très belle et qui résume un peu l’atmosphère : " Nous pleurerons après. quand il n'y aura plus que cela possible. "

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Chronique d'une mort annoncée

6 étoiles

Critique de Clarabel (, Inscrite le 25 février 2004, 48 ans) - 4 mars 2005


L'histoire commence par un anniversaire, cinquante ans, une femme, Delphine, pense être à la moitié de sa vie. Elle part profiter du soleil de la Sardaigne, fait un bilan très pertinent sur elle-même, mais rentre fâchée d'avoir été importunée par le désir explicite de deux jeunes italiens... Puis Delphine apprend sa maladie, incurable, et le compte à rebours est lancé. Moins d'un an à vivre ! Au lieu d'en pleurer, elle décide d'offrir à la face du monde un sourire éclatant et un relativisme déconcertant.

Ce roman de Jacqueline Harpman révèle toute l'élégance de l'écriture de son auteur, notamment dans l'analyse de la femme confrontée à la cinquantaine. Tout sexe féminin se doit de lire ce chapitre, c'est très significatif ! Par contre, la suite du roman m'a déçue. Trop de réflexions ont semblé alourdir le récit, l'héroïne adopte souvent une philosophie surréaliste en pareille situation, pour ne pas friser la théâtralité vers la fin... "Déjà ? dit-elle. (...) Tout cela était donc vrai ? Ce n'était pas un jeu ? Je meurs ? Ah ! vous savez bien que je n'en ai jamais douté, d'où vient que je sois surprise ? Je ne sais pas ce que je sais."
Dommage, ça démarre sur les chapeaux de roue, et ça flanche.

Attendre le dernier départ

10 étoiles

Critique de Sahkti (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans) - 17 novembre 2004

Il est rare que je referme un livre en pleurant, ce fut le cas cette fois.
Le "Récit de la dernière année" est celui d’une femme, Delphine Maubert, qui apprend peu après son cinquantième anniversaire, qu’elle a un cancer des poumons à un stade avancé et irréversible. De six mois à un an, voilà le délai et l’implacable vérité.
Il se passe un peu de temps avant que le lecteur, et Delphine, apprennent la terrible nouvelle. Jacqueline Harpman brosse d’abord un portrait détaillé et riche de cette femme qui se cherche, qui arrive au chiffre symbolique de 50 ans avec une certaine appréhension, beaucoup d’interrogations mais aussi un puissant espoir, celui de continuer à vivre en croquant la vie à pleines dents, de vivre pour les autres mais aussi un peu pour elle. Un anniversaire qui provoque une longue introspection, un bilan, un peu à la manière de Françoise Lefèvre dans "Se perdre avec les ombres".

"On ne peut pas renouer avec soi-même. Chacun de nos âges est intact en nous et définitivement emprisonné dans les coffres scellés de la mémoire, le parfum furtif des madeleines est une imposture, juste une illusion qui passe et que l’on recherche en vain, jamais on ne retrouve la réalité des voix qui résonnent et des bras qui enlacent." (page 34)

Delphine Maubert apprend de la bouche du médecin de famille qu’elle va mourir. La franchise et la brutalité des propos de Letellier, cet homme qui de consultant qu’on ne voit pas vraiment deviendra le confident des dernières semaines, font mal. Mais Delphine Maubert ne semble pas réagir. L’information reste bloquée quelque part, elle reprend ses habitudes comme si de rien n’était, ment et se ment.
"Je crois que je suis confusément choquée par le peu d’émotion. Elle pose les questions qui s’imposent sur le délai, les souffrances, on ne la sent pas trembler. Tremble-t-on tout de suite ? N’est-il pas naturel qu’une sorte d’obscurité se fasse dans l’esprit ? Peut-être la voulais-je immédiatement transpercée comme ces héroïnes de jadis qui s’évanouissaient si gracieusement aux émotions fortes…" (page 57)

Puis un jour, elle décide tout de même qu’il faut annoncer la vérité à sa famille. Ce sera le drame, le choc silencieux. Douleur de Pauline, une femme de 77 ans qui croyait dur comme fer partir avant sa fille. Douleur d’une mère qui voit dépérir son enfant, peu importe qu’elle ait 10 ou 50 ans, elle demeure sa fille, sa chair, une partie de soi-même qui s’en va.
"Voilà que cela me fera vivre au-delà de ma fille. Elle sentit poindre la douleur, comme on devine une tornade qui dévastera tout. Ah si mon cœur pouvait s’arrêter là, d’un instant à l’autre, par pure bonté, pour m’épargner de passer par les jours à venir. Pourquoi ne suffirait-il pas qu’on le veuille et l’absurdité de vivre cesserait?" (page 93)
Colère et révolte de la part de Mathilde, la fille de Delphine, qui interdit violemment le départ de sa mère, refuse qu’on lui vole toutes ces années à venir qu’elles auraient encore pu passer ensemble. Elle en veut à sa mère, elle se fâche, elle tempête… il est plus facile de s’en prendre à un être vivant qu’on a en face de soi que se bagarrer avec l’entité abstraite que constitue la Mort.
Paul, le fils, futur médecin, est partagé et silencieux. Divisé entre la rigueur qui doit être celle d’un toubib face à la maladie et la mort et l’émotion qui l’envahit à l’idée de perdre sa mère dans quelques mois. Sa peine est aussi forte que celle de sa sœur ou de sa grand-mère, il l’extériorise cependant moins.

Les semaines s’écoulent, Delphine ne sent rien venir, elle n’attend pas, elle vit comme si rien n’existait. une petite voix pourtant est là, des pensées, des gestes… mais c’est surtout le comportement des autres et la présence désormais quotidienne de Letellier qui lui rappellent qu’elle ne sera bientôt plus de leur monde.
Un jour c’est le choc. L’information est enfin parvenue à son cerveau et au central des émotions. Delphine s’effondre. Elle trouve bien entendu cela injuste, regrette le temps perdu, pleure devant ce qu’elle ne pourra jamais voir. Et là, elle commence à attendre. Une attente insupportable.
"J’ai cinquante ans et je vais mourir : ces mots-là désignaient deux états d’esprit qui lui semblaient incompatibles, car le premier implique d’inventer une nouvelle façon de concevoir son avenir et le second dit qu’il n’y a pas d’avenir. Elle aurait voulu en jeter un hors de soi, comment fait-on cela? Elle se sentait double." (page 77)

Au fil des jours, sa santé décline. Jusqu’au grand départ. Qui aura lieu dans une belle dignité après un partage impressionnant et intense d’amour avec les siens. Comme si il fallait à tout prix tout se transmettre, raviver les souvenirs, en créer d’autres, dresser un portrait avant qu’il ne soit trop tard.

"C’est ainsi qu’elle s’engagea sur ce chemin qu’on parcourt une seule fois. Elle pensa qu’elle s’absorberait dans chaque pas, qu’elle ne perdrait pas un instant de cet ultime trajet." (page 246)

Dans ce récit, Jacqueline Harpman fait preuve d’une sensibilité alliée à une certaine impudeur de l’âme, qui suscite mon admiration. Comme souvent, elle emploie le procédé de parler à deux vois, la sienne mêlée à celle de Delphine Maubert. Elle raconte une fin de vie avec beaucoup de douceur et de force à la fois, elle dit les sentiments tels qu’ils sont, elle se glisse parfaitement dans la peau de celui qui va bientôt partir. J’ai retrouvé intactes des phrases jadis prononcées, des pleurs versés ou des angoisses jamais totalement éteintes. Merci Madame Harpman. Peu de livres s’enfoncent aussi profondément en moi.

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