Une trop bruyante solitude de Bohumil Hrabal
(Příliš hlučná samota)
Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone
Moyenne des notes : (basée sur 9 avis)
Cote pondérée : (14 495ème position).
Visites : 7 133 (depuis Novembre 2007)
Le bonheur des rats
Bohumil Hrabal (1914-1997), un écrivain tchèque, commence à publier à 49 ans. Toute son œuvre, souvent frappée d’interdiction de publication, sera écrite sous la loi de la censure.
Hrabal ira jusqu’à remanier certains romans pour satisfaire les censeurs, ce qu'il fit pour Une trop bruyante solitude, œuvre publiée en 1976.
Depuis 35 ans, entre deux gorgées de bière, dans sa cave puante, Hotta presse du vieux papier et surtout des livres que les censeurs ont voué au recyclage. Mais il ne se contente pas de les presser, il en lit une phrase ou deux au hasard, il en offre à des amis, il en emporte chez lui, si bien que son appartement en est envahi. Grâce à ce travail qui lui a permis d’accéder au livre, il a acquis une vaste culture littéraire et philosophique. Malgré les invectives de son patron, bien qu’il habite un monde sordide, hanté par les rats, les souris et les moustiques, Hota est heureux. Pour encore longtemps? Que deviendront-ils, lui et sa vieille presse pourrissante? Lui et sa culture classique ne seront-ils pas balayés par le progrès?
Une trop bruyante solitude est un hommage à la littérature. Avec les livres, malgré toute la laideur de sa vie, Hota n'est jamais seul. Plusieurs auteurs lui rendent visite (Jésus, Lao Tseu, Schopenhauer), le temps d'une phrase lue, d'une reproduction de tableau célèbre aperçue. Mêmes détruits, les livres défient tous les inquisiteurs du monde : « Quand ces livres ont consigné quelque chose de valable, on entend encore leur rire silencieux, au milieu des flammes, parce qu'un vrai livre renvoie toujours ailleurs, hors de lui-même. » En plus des livres, il y a la mémoire, le souvenir d'une petite Tsigane qui fut l’amour de sa vie et qui, un jour, disparut dans les rafles de la Gestapo. Souvenir douloureux que berce son âme slave.
« Plus jamais je ne la revis, ma petite Tsigane, simple comme un morceau de bois, comme le souffle de l'Esprit de Dieu, qui ne voulait rien d'autre que d'allumer du feu dans mon poêle, et qui traînait sur ses épaules ces lourdes planches trouvées dans les décombres, aussi grandes que le bois d’une croix; elle ne désirait rien de plus vraiment, que son goulasch aux pommes de terre et au saucisson de cheval, que de nourrir le feu du poêle et lancer dans le ciel d'automne un grand cerf-volant. »
Avec ses nombreuses répétions et ses phrases qui reviennent comme des leitmotivs, grâce à ce style souvent incantatoire, Hrabal finit par nous charmer malgré l’univers glauque et souvent répugnant qu’il décrit. Pour qui aime les livres, comment résister à l’amour des livres ?
« Et moi, au pied de la montagne de papier, […], un livre à la main j’ouvre des yeux affolés sur un monde étranger à celui où je me trouvais, parce que moi, quand je me plonge dans un livre, je suis tout à fait ailleurs, dans le texte. tout étonné, il me faut bien avouer être parti dans mes songes, dans un monde plus beau, au cœur même de la vérité. Tous les jours, dix fois par jour, je suis ébahi d'avoir pu m’en aller si loin de moi-même. »
Les éditions
-
Une trop bruyante solitude de Bohumil Hrabal
de Hrabal, Bohumil
R. Laffont
ISBN : 9782221088395 ; 16,25 € ; 31/01/1983 ; 136 p. ; Broché -
Une trop bruyante solitude [Texte imprimé] Bohumil Hrabal traduit du tchèque par Anne-Marie Ducreux-Palenicek
de Hrabal, Bohumil Ducreux, Anne-Marie (Traducteur)
R. Laffont / Bibliothèque Pavillons
ISBN : 9782221109847 ; 2,54 € ; 08/10/2007 ; 120 p. ; Poche -
Une trop bruyante solitude [Texte imprimé], roman Bohumil Hrabal trad. du tchèque par Max Keller
de Hrabal, Bohumil Keller, Max (Traducteur)
Seuil / Points (Paris)
ISBN : 9782020330312 ; 3,01 € ; 21/11/1997 ; 125 p. p. ; Poche
Les livres liés
Pas de série ou de livres liés. Enregistrez-vous pour créer ou modifier une série
Les critiques éclairs (8)
» Enregistrez-vous pour publier une critique éclair!
Formidable
Critique de Canow (, Inscrit le 14 août 2007, 68 ans) - 19 décembre 2018
Je crois qu'un film en a été tiré mais je ne l'ai pas vu et au fond je ne suis pas sûr que je souhaite le voir car je crains d’être déçu.
Il existe des livres qu'on oublie vite après les avoir refermés, jusqu'à se demander, quelques années après, si on les a réellement lus.
Ce n'est pas le cas d'une Trop bruyante solitude car pour ce qui me concerne je suis longtemps resté, et reste encore, dans le sillage des émotions qu'il a fait naître.
L'Art au pilon !
Critique de Frunny (PARIS, Inscrit le 28 décembre 2009, 59 ans) - 11 novembre 2017
"Une trop bruyante solitude" est souvent désigné comme son chef-d’œuvre. Un court texte de 120 pages publié en 1976 alors que l'écrivain venait de recouvrer le droit de publier après plusieurs années d'interdiction par le pouvoir communiste. Ce roman tourne précisément autour des thèmes de la censure et de l'aliénation.
Hanta est un ouvrier employé à détruire des livres interdits par le régime en place. Ce doux rêveur, cloîtré dans une cave, est payé à détruire l'objet qu'il vénère.
Car Hanta - le narrateur - en dépit de ses apparences un peu rustres et d'une hygiène sommaire, est un amoureux de l'Art. De ses 35 années de labeur à détruire un savoir hors-la-loi, il les a pour bonne part employées à s'instruire et à sauver de son pilon tous les livres qu'il pouvait.
Un ouvrage qui dénonce le totalitarisme communiste et la mécanisation d'une société où l'humain n'a que peu de place. 1984 de George Orwell n'est pas très loin.
Un court roman qui pousse à la réflexion sur le risque aigu d'une société sans Culture.
La fin des livres ?
Critique de Fanou03 (*, Inscrit le 13 mars 2011, 49 ans) - 18 août 2016
Cela participe au ton du récit, qui est étrange, un peu fantastique: Hanta s’identifie par exemple peu à peu parfaitement aux livres, ils envahissent l’espace de son appartement, menaçant de l'ensevelir, jusqu’à son geste final fusionnel. C’est donc un conte cruel, mais ancré dans une réalité moderne avec cependant une certaine forme de détachement dans la narration. Le roman, quoique très court, s’avère être une lecture intense, haletante, grâce à un style dense et serré.
J’avoue que je n'ai pas lu Une trop bruyante solitude avec le contexte de la censure de la Tchécoslovaquie des années mille-neuf-cent-soixante-dix ou quatre-vingt en tête : cet aspect-là m’a échappé. Il faut dire que l’univers du narrateur tel qu’il le décrit n’insiste pas sur l’aspect soviétique de la société dans lequel il vit. J’ai eu du coup l’impression que les livres détruits le sont plus par ignorance ou par indifférence qu’à cause d’une volonté politique. Le roman ainsi se révèle ainsi assez universel, et toujours d’actualité: par écho à notre époque contemporaine il suggère peut-être la déliquescence de la culture, la société pervertie par le progrès technique et la société de consommation, à l'image des jeunes ouvriers performants qui ne s’intéressent pas aux livres et vont pousser Hanta et ses livres adorés, définitivement vers la sortie.
Ennui...
Critique de Lecassin (Saint Médard en Jalles, Inscrit le 2 mars 2012, 68 ans) - 14 mai 2015
C’est fait ! Mais à quel prix !
Je n’ai pas le souvenir d’un livre aussi court aussi difficile à terminer… Tout conduit dans le style, les répétitions incessantes, le va et vient de la machine, l’ambiance même du local très fermé, à créer l’ennui. Pire, la répulsion et le dégoût, voir l’épisode des mouches sur les papiers de boucherie souillés…
Au risque de déplaire à tous ceux qui ont apprécié ce petit ouvrage, je ne peux qu’avouer ici que je me suis profondément emmerdé dans cette lecture ; et senti très mal à l’aise… C’était le but ? Très bien ! Une expérience qui restera malgré tout unique pour cet auteur.
Un conte burlesque et sombre
Critique de Paofaia (Moorea, Inscrite le 14 mai 2010, - ans) - 4 novembre 2013
Seul le soleil a droit à ses taches Goethe
L'histoire elle-même est déjà racontée dans les critiques précédentes, l'histoire de cet Hanta qui dit de lui:
Je suis un peu le Don Quichotte de l'infini et de l'éternité, et l'infini et l'éternité ont sans doute un faible pour les gens comme moi..
C'est plus du domaine du conte,ou de la fable, à mon avis, un conte burlesque et sombre dans lequel la fin a sa propre logique .
Avec , constamment, une grande dimension poétique toujours présente,et ce ,même s'il raconte des choses absolument atroces, en particulier l'histoire de la petite tzigane dont le prénom clôt le récit.
C''est un texte écrit dans un contexte bien particulier, mais le texte est tellement fort en lui-même que même sans connaître le contexte, il peut exister seul et avoir une dimension universelle.
A un moment, on retrouve une phrase du Talmud ( Nous sommes semblables à des olives, ce n'est qu'une fois pressés que nous donnons le meilleur de nous même.) qu'il faut resituer dans son contexte ( d'où la longue citation qui va suivre..)car cette phrase est importante finalement pour montrer l'intelligence-et l'ironie ..noire- du texte, jusqu'au bout, jusqu'à cette fin terrible.
A la mort de maman, tout pleurait en moi, mais je n'avais plus de larmes à verser. Au sortir du crématorium, une petite fumée montait vers le ciel, maman s'élevait joliment vers les cieux... Cela faisait dix ans que je travaillais dans les caves des dépôts de vieux papiers: je gagnai par habitude le sous-sol du crématorium, j'avais l'impression de faire la même chose qu'avec les livres. On avait brûlé quatre cadavres, maman était le troisième. Sans un geste , je regardais l'ultime substance humaine, le croque-mort retirer les os pour les passer à la moulinette, puis mettre les derniers restes de ma mère dans une boîte en fer, et moi j'écarquillais les yeux comme lorsque s'éloignait le train au chargement superbe qu'on vendrait en Suisse et en Autriche une couronne le kilo. Je n'avais à l'esprit que ces vers de Sandburg: il restera de l'homme juste assez de phosphore pour fabriquer une boîte d'allumettes et juste assez de fer pour forger le clou d'un pendu. Un mois plus tard, j'entrai dans le jardin de mon oncle avec l'urne qui contenait les cendres de maman que je venais de recevoir. Assis à son poste d'aiguillage, en nous voyant mon oncle s'exclama: " Ah, ma petite soeur, te voilà de retour!" Il soupesa l'urne; il n'en restait pas bien lourd de sa soeur, elle qui faisait bien soixante-quinze kilos de son vivant! Et de calculer qu'il manquait au moins cinquante grammes à ses cendres. Puis, il rangea l'urne sur le haut de l'armoire. Un beau jour d'été qu'il binait ses navets, il se souvint tout d'un coup que sa soeur, ma maman, raffolait des navets; il alla ouvrir l'urne avec un ouvre-boîtes et dispersa les cendres de ma mère sur ses navets qu'on dégusta plus tard. A cette époque, quand je pressais des livres dans ma presse mécanique, quand, dans un cliquetis de ferraille, je les écrabouillais par une force de vingt atmosphères, j'entendais des bruits d'ossements humains, comme si je broyais à la moulinette les crânes et les os des classiques écrasés dans ma presse, comme s'il s'agissait des phrases du Talmud: " Nous sommes semblables à des olives, ce n'est qu'une fois pressés que nous donnons le meilleur de nous même.
Très beau livre.
Livres, un contrepied à la censure ?
Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 8 décembre 2012
L’histoire proprement dite me semble totalement accessoire puisque celle d’un pauvre hère, qui a déjà passé 35 ans de sa vie à réaliser, au fond d’une cave pourrie et sordide, des balles pressées de vieux papiers. Vieux papiers de toutes sortes ; alimentaires, emballages … et livres aussi. Et ce sont des livres dont il est question puisque notre héros a mis à profit ces 35 années à feuilleter de ci, de là, à grappiller aux pages des plus beaux livres condamnés au pilonnage pour recyclage.
« Pendant trente-cinq ans j’ai pressé du vieux papier et, si j’avais encore à choisir, je ne voudrais rien faire d’autre. Pourtant, une fois tous les trois mois, ma fonction changeait pour moi d’aspect, ma cave me dégoûtait, les plaintes et les remarques de mon chef me sonnaient dans la tête, hurlaient dans mes oreilles comme braillées par un ampli, mon cavement me semblait repoussant comme l’enfer, la montagne qui bouchait complètement la cour, avec son papier humide et moisi, se mettait si bien à fermenter que l’odeur du fumier était suave à côté, dans les profondeurs de mon souterrain un marécage se putréfiait, de petites bulles remontaient à la surface comme des feux follets au-dessus d’une souche pourrissant dans la vase d’une fosse infecte. »
L’histoire, on le voit, est des plus minces et seule l’idée qu’il s’agit d’une allégorie vis-à-vis de la censure donne du crédit à ce roman.
Car notre héros n’est pas une machine et, régulièrement, fait une pause pour sauver un livre, le mettre de côté, en lire une page … tout ceci évidemment au détriment du rendement et rendant donc dingue son chef.
Il est question également d’une jeune tzigane, dont il ne connût pas le nom et qui fut son amour éphémère de jeunesse, amour disparu lors des rafles nazies pendant la guerre. Si l’on part du raisonnement que l’histoire a à voir avec la censure, l’affaire de la petite tzigane a elle aussi à voir avec … la discrimination ?
C’est traité sur un mode … épique ( ?), grandiloquent, et pourtant très réaliste.
Ah oui, une autre allégorie encore : les rats dont deux populations se combattent dans les égouts sous sa cave. Se combattent pour la domination du monde. Avec l’amère réflexion que, lorsqu’une des deux populations l’aura emporté, elle se rescindera en deux camps « pour que dans la lutte reprenne le mouvement vital ».
Peut-être placé dans son contexte et confronté au danger qu’il pouvait potentiellement représenter ce roman m’aurait davantage passionné ? Là, je dois reconnaître que cette histoire de vieux livres pilonnés m’a laissé dubitatif.
La beauté trouve toujours son chemin
Critique de Dirlandaise (Québec, Inscrite le 28 août 2004, 69 ans) - 28 mars 2011
Très beau récit, très profond et d'une infinie tristesse. Une vie consacrée à détruire tout en sauvant ce qui mérite de l'être. Cet écrivain me touche par sa grande humanité et sa belle poésie fleurissant sous un terreau de laideur, de crasse et d'abjects détritus. La beauté trouve toujours son chemin...
Un classique de la littérature tchèque
Critique de Saule (Bruxelles, Inscrit le 13 avril 2001, 59 ans) - 28 mai 2004
Lorsque dans ce tas de papier il aperçoit une reliure en cuir, ou le reflet doré des livres de collections prestigieuses, c'est plus fort que lui : il faut qu'il sauve ce livre, qu'il le lise. Parfois il les ramène chez lui, dans son appartement qui est envahi de livres. Ou alors il en fait des beaux paquets qu'il recouvre de reproductions de tableaux ou d'images saintes.
Ce surcroît de travail l'oblige à faire de longues heures supplémentaires, il tient le coup grâce aux litres de bière qu'il boit au cruchon, mais il n'empêche que Hota est heureux dans son univers de livres.
Ce livre, un classique de la littérature tchèque, est déroutant. On est charmé par cet univers de littérature qui est celui de Hota, par les noms des grands auteurs qu'il côtoie dans sa cave et qu'il nous cite régulièrement. Mais le futur n'est pas rose pour Hota et sa vieille presse : son combat pour sauver la culture parait dérisoire face à l'arrivée du progrès et de la jeune génération, ceux qui n'ont jamais entendu parler de Goethe et qui ne perdent pas leur temps à lire ces livres interdits.
Forums: Une trop bruyante solitude
Il n'y a pas encore de discussion autour de "Une trop bruyante solitude".