Vanité originelle?

Ce livre est une galerie de portraits photographiés des années trente à l’orée du vingt et unième siècle, par Henri Cartier-Bresson qui dit lui-même avoir cherché à traduire une personnalité, son « silence intérieur » et non une expression, d’où le titre de l’ouvrage.

Mais pourquoi parler d’un livre de photographies sur un site littéraire ? Parce que parmi les célébrités représentées, beaucoup sont des écrivains. On a parfois qualifié le portrait, ce tête à tête entre un regard et une « victime consentante » de duel silencieux. La lecture, ce tête à tête entre des mots, des phrases, des sentiments, des idées et un lecteur, est aussi un duel silencieux et les deux se rejoignent en regardant ceux que nous lisons. Nous tentons de desceller, au-delà du miroir en noir et blanc de la photographie, une personnalité qui se livre ou se cache, en un mot qui s’exprime dans un regard, une attitude comme elle le fait avec ses mots dans ses livres.

Il faut voir Elsa Triolet, bras croisés, vous regardant fixement, moins douce que sa sœur Lily Brick, sûre d’elle, mais sans froideur excessive et la mettre en parallèle avec Louis Aragon de guingois sur un fauteuil, presque mal à l’aise. Il faut regarder Colette, interrogative et subtile, André Breton, entouré de statues africaines ( ?) , qui cherche l’ailleurs, la fragile Carlson Mac-Cullers dans une cellule monacale, devant sa table de travail. Cartier-Bresson sait rendre la mélancolie nonchalante d’Arthur Miller, l’étonnement de Pablo Neruda en ambassadeur du Chili à Paris, « l’opposition graphique » entre Jean Genet et le jeune Le Clézio, l’un et l’autre à la terrasse d’un café. Les portraits de Sartre et de Simone de Beauvoir sont fort célèbres et tout à fait magnifiques. Eluard ne ressemble pas à sa poésie, Camus ressemble à ses écrits - le soleil en moins-, Claudel se ronge les ongles et Mauriac, paupières mi-closes, est presque dédaigneux. Et ainsi de Beckett à René-Louis des Forêts, de Truman Capote quand il a vingt ans au très beau portrait de Susan Sontag et de bien d’autres, vous prend l’envie d’aller chercher dans votre bibliothèque leur livre, d’en lire quelques pages en gardant le portrait près de vous.

Il y a chez tous ces écrivains une sorte de gravité, de pensée intérieure qu’on ne retrouve pas dans le livre que le photographe Raymond Depardon vient de consacrer aux hommes politiques. Ici une intériorité, là une représentation. Ici une pensée, là un mouvement. La différence, et parfois l’incompréhension entre intellectuels et hommes d’action.

Extrait d’une lettre de Cioran à Cartier-Bresson du 26 décembre 1985 : « Nous portons tous des traces du péché originel, j’allais dire de la vanité originelle. Théologien photographe vous avez merveilleusement saisi notre tare de toujours. »

Vanité originelle ? Peut-être, mais la générosité ou l’admiration de Cartier-Bresson pour ses « victimes » l’adoucit dans un noir et blanc tout en nuances.

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  Portraits par Henri Cartier-Bresson [Texte imprimé], "le silence intérieur d'une victime consentante" [textes de Agnès Sire et Jean-Luc Nancy]

  de Nancy, Jean-Luc Sire, Agnès
  Thames & Hudson / Collection Fondation HCB
  ISBN : 9782878112740 ; 33,30 € ; 12/01/2006 ; 153 p. ; Relié

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