Sumo sur brin d'herbe de Alexandre Millon
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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L'horizon vertical
« D’abord il y a Léon », pourrait-on dire sur le mode du Brel de Chez ces gens-là. Léon Barth. Un ancien facteur victime d’une agression et qui n’en sort pas, se fermant de plus en plus aux autres et à soi, jusqu’à l’irréparable. Puis, il y a - heureusement - Constantin Pallazzollo qui ne va pas fort non plus mais qui, à la différence de Léon, et, dans une moindre mesure, de sa sœur Laura, sait s’évader, par la marche, par l’imagination, par l’attention portée aux détails revigorants du quotidien. Il vient de perdre son père - qu’il ne chérissait pas. Il a donc une sœur, Laura, avec laquelle « ça tourne vite au vinaigre » car Laura est le portait craché du paternel. Lors de la succession, Constantin veut seulement récupérer l’orgue de Barbarie sur lequel la mère, morte « bien trop tôt », écoutait ses mélodies préférées. Cet orgue jouera un rôle primordial dans le final du récit.
Constantin vit seul, avec un Juncus Spiralus, une « plante punk » qu’il appelle Bukowski « parce qu’elle boit comme un trou ». Grâce à Laura, Constantin va rencontrer Blanche : « Un corps frêle mais dont la silhouette évoquait ces cuillères à café si adorablement courbées. » « Une fille avec laquelle on aurait volontiers échangé une de ces précieuses petites molécules d’enthousiasme dont notre éphémère existence a grand besoin. »
Tout est dans les mots, la façon de les assembler pour créer des images propres à nous faire basculer dans un autre univers, ce en quoi excelle Alexandre Millon comme nul autre.
Je ne vous ferai pas l’inventaire de toutes ces plaisantes formules dont est non pas ponctué mais truffé ce roman. D’abord parce qu’elles sont trop nombreuses, ensuite parce que ce serait vous gâcher le plaisir de les découvrir par vous-mêmes.
Allez, je vois bien que vous insistez, que vous ne pouvez pas attendre. En voici deux, pas plus !
«Certains naissent avec une fenêtre et d’autres n’en ont pas. Laura n’avait pas de fenêtre. Laura ne s’évadait pas. Elle voyageait.»
« Ce soir-là, Blanche portait un jeans. Il coulissa la fermeture éclair. Avec une nana comme elle, pensa-t-il, à la fois banale et si peu prévisible, toutes les fermetures sont des éclairs et tous les éclairs peuvent être aussitôt des fermetures. »
La savoureuse relation amoureuse (comme toujours chez Millon) qu’entretient le gardien de musée (le métier de Constantin) et la chocolatière (la très brune Blanche) n’est en fait qu’une manière de mise en abyme du sujet principal : la relation de chacun à l’existence. Constantin aime les gens, c’est son heureuse fatalité : il fait en sorte que les péripéties de la vie ne prennent pas le pas sur la confiance qu’on lui porte de prime abord. Tandis qu’un Léon prend prétexte d’un fait divers pour se la mettre à dos définitivement...
Dans les plus belles choses pointe la cruauté, le sordide, la violence, le malheur. Ainsi (ce n’est qu’un exemple) dans cette description du visage de Blanche. « Un visage poupin, mais pas vraiment la femme-enfant ascendant scoubidou et bracelet Mickey. Non, une frimousse sans frime. Virginale. Dans laquelle contrastait le harpon noir du regard. » Cela évoque à Constantin une méthode de pêche violente pratiquée dans sa jeunesse (Constantin a la quarantaine) au large de la Sicile.
La morale de ce récit, de cette fable d’aujourd’hui, pourrait s’énoncer de la sorte. Le tout est de ne pas se laisser engrosser par la vie, de devenir ce sumo qui risque d’attenter à l’ondoyante verticalité du brin d’herbe, mais de trouver les moyens, en soi ou au-dehors (pour Constantin, ce sera Blanche mais, sans elle, il eût pu rebondir), « de se délester d’une entrave, d’un vieux fardeau, de plusieurs lui-même (...) pour cesser d’être cet obèse emboîtement de poupées gigognes ».
Oui, ce roman aurait pu s’appeler « L’insoutenable lourdeur de l’être ». Si Millon n’avait pas trouvé de quoi alléger cette histoire de mille et un ingrédients de toutes saveurs qui font tout le charme de son écriture.
Les éditions
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Sumo sur brin d'herbe [Texte imprimé] Alexandre Millon
de Millon, Alexandre
le Grand miroir / Roman (Bruxelles)
ISBN : 9782874155536 ; 15,00 € ; 23/02/2006 ; 151 p. ; Broché
Les livres liés
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Les critiques éclairs (6)
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Quotidien unique et universel
Critique de Sahkti (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans) - 30 juillet 2006
Les premières pages me déroutent (un peu), voire me laissent perplexe, me font penser qu'il y a dans tout ça un air de déjà vu qui ne va peut-être pas forcément m'emballer, comme j'ai pu emballer ce livre.
Et puis il se passe quelque chose, je ne sais quoi, une atmosphère, un sentiment étrange de me faufiler dans la tête de Constantin et d'épier en douceur ces tranches de vie d'un quotidien qui pourrait être celui de n'importe qui mais qui, justement ne l'est pas. C'est celui de Constantin, ça apporte un petit truc en plus, indéfinissable. Avec des petites phrases qui ont fait mouche d'emblée: "Attendre une femme toute sa vie ce n'était rien, mais l'attendre septante-deux heures: insupportable!"
Succession de scènes pour former un fil conducteur, celui de la vie, de l'amour, de la tendresse, d'une certaine forme touchante de lucidité. Constantin est un être qui me plaît bien, je n'y ai personnellement trouvé aucune complaisance, ni ton sentencieux, ni déprime, ni rien. De quoi me demander à quoi pouvait bien ressembler Constantin d'avant Réjane d'ailleurs...
Bref, j'ai aimé et j'aime encore. Merci.
Le marcheur amoureux
Critique de Charles (, Inscrit le 28 octobre 2004, 49 ans) - 10 juillet 2006
J’ai senti un peu moins de folie, de fraîcheur dans ce livre que dans les précédents du même auteur. Un peu moins gai, moins drôle. Pas pour autant moins bien, non, juste un léger changement de registre. On sent ici une intensité sentimental plus forte, l’amour semble plus douloureux, peut être simplement plus fort qu’avant où il s’imprégnait toujours d’une certaine distance. On sent chez Constantin ce besoin de l’autre à travers ses marches solitaires, ses difficultés à communiquer avec sa sœur … Un livre très réussi, touchant, profond qui rend compte avec une justesse admirable de la difficulté d’échanger avec autrui, de trouver sa place. Et puis il y a aussi et toujours une petite touche musicale qui ne laisse pas insensible …
Trio d'auteurs à Mons
Critique de Katsimbalis (, Inscrite le 7 avril 2006, 54 ans) - 18 avril 2006
Lectures : Danièle Walgraeve Intermèdes musicaux : Sonia Arbouche et Anne Bernard - Violes de Gambe Quand ? Le samedi 22 avril à 19HOO Où ? Salle St Georges
Grand'place , Hôtel de Ville- 7000 MONS
Adresse url : Sumo sur brin d’herbe : http://alexandremillon.site.voila.fr/images/…
Une petite musique solaire
Critique de Lucien (, Inscrit le 13 mars 2001, 69 ans) - 1 avril 2006
Un beau titre, allusion à ce rêve de Constantin : « A la fin, Constantin avait plongé, fou d’amour, sous l’aisselle de Blanche, qui sentait l’herbe coupée. Une odeur légère, si légère. Rien, pourtant. Presque rien. Mais c’était un brin d’herbe chevauché par un sumo, car il s’était senti si lourd. »
Constantin, Blanche : « une histoire d’amour entre Blanche-Neige et le Vilain Petit Canard », comme le dit la quatrième de couverture. Constantin, le quadragénaire à la recherche de lui-même de tous les romans d’Alexandre. Avec, ici, cette fragilité particulière du sumotori sorti du cercle qui cherche depuis l’enfance le mode d’emploi de sa vie : « Faudrait ne pas être comme les autres, mais un peu tout de même. Etre à part, mais pareil. » Peser sur sa vie tout en restant léger comme un flocon de neige. Sumo sur brin d’herbe…
Il y aurait bien eu la protection de la mère, si elle n’était pas morte trop jeune, cédant toute la place au père grognon. « T’as pas de carapace ! » claironnait-elle… « Rassure-toi, m’man, ton fils s’est endurci ! Une contenance, pas encore un roc, c’est vrai. Un détachement, pas encore la sagesse, c’est vrai aussi, mais t’en fais pas… » C’est ce qu’il pense, Constantin. Constantin ou Alexandre ? Ou l’Alexandre caché sous le masque de Constantin, sous son bonnet de cuir ?
Endurci, oui. Détaché. Zen. L’époque veut ça : « Constantin cria très fort. Mais sans bruit. À une époque où la dictature du dialogue écrase tout sur son passage, où l’on n’a plus droit à la moindre gueulante. […] Fallait réguler l’émotion. Rester zen. Désamorcer le conflit. Respirer par le ventre. »
Rester zen, oui. Mais si Blanche se casse ? Si elle préfère le pognon de son patron ? Il faudra bien gérer « l’après-Blanche ». S’intéresser à un orgue de Barbarie qui ne joue plus qu’un morceau, la tarentelle qu’adorait la maman italienne. Observer les passants, et surtout les passantes. Se la jouer bel indifférent. Faire semblant.
Oublier qu’on ne vit qu’une fois, que la vie ne repasse pas toujours les plats. Que l’on pourrait n’être qu’un automate jouant, sur un piano mécanique, une partition écrite pas un autre. « Ne plus sortir, se claquemurer, être manquant au monde. Mais manquer à qui ? » Devenir un Léon.
Léon, l’anti-Constantin, le repoussoir. Le contrepoint. Léon le facteur retraité suite à une agression. Léon qui regarde sa vie défiler derrière lui. Léon qui va toujours chez la même pute, une Arabe voilée. Léon qui vire facho. Léon qui astique son fusil automatique pour le carnage qui le vengera. Léon qui « n’a jamais su comment on fait pour vivre, parce qu’il ne peut que s’empêcher de mourir. »
Et puis, il y a Laura, la petite sœur bien normée, la préférée du père.
Et Bukowski, la plante verte qui a un avis sur tout.
Il y a cette petite musique qui signale l’écriture d’Alexandre, cette petite musique solaire comme le rire de Blanche, ou comme « ces petites molécules d’enthousiasme, dont notre éphémère existence a le plus grand besoin. »
« L’instant est une île. » Oui, une île grecque, une escale rêvée sur la grisaille des jours, une île blanche... qui s’appellerait Blanche.
Urgence à la vie
Critique de Bluewitch (Charleroi, Inscrite le 20 février 2001, 45 ans) - 26 mars 2006
Histoire d’amour entre un gardien de musée et une chocolatière. Qui sont plus que ça, qui sont surtout deux êtres humains intelligents, se cherchant dans les sinuosités du quotidien, sans carte en main, et sur le point de trouver le bon chemin après quelques erreurs de calculs.
Car parfois la vie nous fait don d’un GPS…
Aimer l’autre, croire en lui, faire confiance en l’existence, avoir pour confident une plante ‘hydroo-lique’, de sa propre pesanteur diminuer l’intensité et rebondir, tel un ricochet, toujours et encore, vers un futur qui nous reconstruit perpétuellement. C’est ça, Constantin. Le Constantin que j’ai lu.
En antonyme, ce Léon perdu, cruel et désespéré, qui casse la vie de mots haineux et de mal-être, xénophobe et misanthrope, que se replie, se carapaçonne dans sa douleur, colère sans fond.
Les contrastes font parfois les grands sentiments.
Un livre doux-amer, optimiste toujours, humaniste surtout.
La vie est une tarentelle, c’est l’orgue de Barbarie qui le dit, ce maudit bastringue…
Léger comme...
Critique de Nothingman (Marche-en- Famenne, Inscrit le 21 août 2002, 44 ans) - 16 mars 2006
Il y a Léon aussi, l'ancien facteur, le voisin bougon, raciste notoire, qui, lui aussi, a laissé filer sa vie sans même la voir. Aujourd'hui, lui aussi a le cœur lourd et aigri, mais le changment, ce n'est pas pour lui.
Point commun donc entre ces deux personnages : la lourdeur mais c'est bien le seul car, pour le reste, tout les oppose. Constantin, après sa rencontre avec Blanche, n'aura de cesse d'aller vers plus de légèreté. "Ne tendait-il pas de tout son être vers la plénitude, chaque jour, un peu plus léger? Si". Constantin et son univers : Bruxelles dans laquelle il se ballade des ors de l'avenue Louise jusqu'au calme des bords du canal; Bukowski, sa plante punk qui boit comme un trou; le maudit bastringue, orgue de Barbarie dont il a hérité,…
Quant à Léon, son univers se révèle plus étriqué, plus obtus, engoncé dans sa rancune et ses fausses certitudes. Personnage sombre.
De ce roman un brin (d'herbe) paradoxal, c'est la légèreté de la vie et de la plume qui triomphe.
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