Le printemps de Bruno Schulz

Le printemps de Bruno Schulz

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Jlc, le 19 janvier 2006 (Inscrit le 6 décembre 2004, 81 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (40 440ème position).
Visites : 4 415  (depuis Novembre 2007)

La république des rêves

Je ne connaissais pas Bruno Schulz, écrivain et dessinateur juif polonais, assassiné par les SS en 1942, avant de lire, l’an dernier, « Le messie de Stockholm », roman de Cynthia Ozick, histoire d’un journaliste suédois qui se croit le fils de Schulz et recherche un manuscrit de son père ( ?), « le messie », qui a bien été écrit par le vrai Schulz mais jamais retrouvé.
La réédition de « Le printemps », nouvelle extraite de « Le sanatorium au croque-mort » m’a paru être un chemin pour essayer d’entrer dans son monde.

Ce qui frappe d’abord, c’est le style. Un style lumineux où le sens poétique se conjugue avec la fantasmagorie la plus délirante. Certaines phrases sont d’une extrême beauté telle celle-ci : « Il regardait avec un chagrin amer le gravier des étoiles disséminé, les tourbillons répandus » ou celle-là « La tristesse des déserts étoilés pesait sur la ville », ou bien encore « l’heure rose du crépuscule, fraîche et embaumée, imprégnée de la tristesse indicible des choses à jamais et mortellement belles. » Toute la nouvelle est de cette qualité et on pense parfois aux premières toiles de Chagall avec la même atmosphère poétique, magique et fantastique.

L’histoire ? Mais y-a-t-il une histoire ? C’est bien davantage une évocation, un souvenir d’un monde clos, corseté et étouffant, dominé par la stature de l’empereur François-Joseph. En effet, Drohobicz, où l’auteur a passé la quasi-totalité de sa vie, appartenait alors à l’empire austro-hongrois avant de devenir polonaise après 1919. Un monde où, certes, il y encore de beaux printemps qui ont parfois « le courage de durer, de rester fidèles, de tenir toutes [leurs] promesses », où il y a des jeunes filles dont Bianca « danseuse légère dont chaque geste atteint l’essentiel ». Mais aussi un monde dangereux, menaçant, tragique et qui devient grotesque, le cauchemar le disputant au merveilleux.

Un album de timbres va servir de prétexte pour révéler que le monde de François-Joseph, gris et limité, n’est pas le seul au monde, qu’il en existe d’autres, comme le Mexique « épice recherchée qui rehausse le goût du monde » et « chaque Mexique s’ouvre sur un autre Mexique encore plus éblouissant ». Un monde qui explose dans cette histoire bien étrange, si c’en est une, où on va retrouver dans un musée de figures de cire Dreyfus, Edison, le malheureux Maximilien d’Autriche, éphémère empereur du Mexique qui sera fusillé, Garibaldi et quelques autres, pauvres mannequins sans importance auquel un final d’épopée rendra leur liberté (mais pour en faire quoi ?), quand celui qui raconte perd toutes ses illusions, s’il en eût jamais.

Beaucoup ont vu dans cette ironie et ce fantastique l’influence de Kafka dont Schulz fut le traducteur. Mais ce dernier a peut-être plus d’enfance dans les yeux et le cœur, même si le pessimisme est le même puisqu’il faut que « Caïn soit toujours vainqueur ».

Un texte superbe, que j’ai trouvé difficile quand on n’est pas familier de cette littérature, plein d’ironie, entre fantasme et songe, enfance et vertige, félonie humaine et quête de l’indicible, cet indicible qui se trouve « au delà des mots ». Un texte qui donne envie de découvrir cet écrivain rare, secret et universel.

Bruno Schulz avait intitulé un de ses textes « La république des rêves ». Le temps des assassins, ces Caïn imbéciles et ignobles, l’a empêché d’en être le citoyen et le démiurge et 60 ans après, c’est toujours aussi intolérable.

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7 étoiles

Critique de Nanardstef (, Inscrit le 6 juin 2008, 47 ans) - 25 août 2008

Le printemps ... est rude tel un hiver pour le lecteur non averti !
Averti, il faut en effet l'être à plus d'un titre avant de plonger dans ce livre !
D'abord, il faut être, ne serait-ce que légèrement, initié à l'empire austro-hongrois et à son histoire. A défaut, bien que poétique, l'évocation de l'ambiance et de l'environnement passera pour une simple divagation.
Ensuite, il est nécessaire d'être familier de la poésie. A défaut, chaque phrase sera un long calvaire qui ne deviendra compréhensible (et plus encore agréable) qu'au troisième passage.
Enfin, il faut bien être conscient que la lecture d'un tel ouvrage doit être réalisée dans un sanctuaire ou tout autre endroit protégé des nuisances extérieures ... à défaut, l'attention ne pourra être suffisante pour saisir le charme extrème des envolées poétiques de cet auteur.

Si toutes ces conditions sont remplies, vous serez un lecteur comblé.
A défaut, et à condition qu'elle n'ait pas été abandonnée en chemin, la lecture du Printemps sera au mieux ennuyeuse et ardue, au pire un véritable calvaire.

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