Le royaume des voix de Antonio Muñoz Molina

Le royaume des voix de Antonio Muñoz Molina
( El jinete polaco)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Bluewitch, le 5 juin 2001 (Charleroi, Inscrite le 20 février 2001, 45 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (1 563ème position).
Discussion(s) : 1 (Voir »)
Visites : 7 754  (depuis Novembre 2007)

Un culte de la mémoire

Au travers du dialogue et de souvenirs de deux amants, Antonio Munoz Molina nous fait découvrir l'histoire et les habitants de Mágina, ville mythique, suave, profonde et personnage à part entière du roman.
Nadia et Manuel ont un passé, des souvenirs et cette ville en commun mais ils ne se connaissent pas. Ou si peu. Leur rencontre et leur histoire vont être le moteur d’un retour dans le temps, ils vont prêter leurs voix à celles de leurs ancêtres pour laisser libre cours à la mémoire de Mágina et celle de ses habitants.
Dix-huit ans plus tôt, ils s'y étaient croisés sans s’apercevoir, chacun plongé dans une vie qu’il tentait de se créer tant bien que mal. Avides des paroles de l’autre, ils exhument des événements hors du temps et se laissent envahir par des souvenirs qui parfois les dépassent. Cette célébration du passé qui augurait leur rencontre va leur permettre de se retrouver et de comprendre enfin qui ils sont.
En dehors de leurs vies bouleversées et parfois chaotiques, nous découvrons aussi l'essence de Mágina, qui mûrit, vieillit et change au même rythme que ses habitants. Les racines de ce qui réunit Nadia et Manuel se concentrent dans une malle remplies de vieilles photos de Ramiro Restratista, qui vécut au travers des images qu'il immortalisait, et en premier celle de cette jeune femme emmurée vivante dans une vieille demeure et retrouvée des années plus tard, intacte, belle et ensorcelante, qui fut ensuite volée et laissa derrière elle un mystère qui ne devrait se résoudre que bien plus tard. Ou encore les photos du commandant Galaz qui fut exilé pour ne pas avoir accepté de se plier au mouvement franquiste mais également pour un autre événement qu’il tînt à garder secret.
Inutile d’en dire trop sur l'histoire de ce livre envoûtant, enveloppant, qui nous plonge dans l'Espagne profonde, meurtrie par ses guerres et ses bouleversements politiques, symbolisée avec justesse et passion par la ville de Mágina, vivante et envoûtante, et tirée du monde imaginaire de l’auteur (déjà présente dans son précédent roman « Beatus ille »).
Comme le dit bien le titre du roman, nous entrons dans un royaume de voix, de multiples voix qui prennent chacune leur place dans ce livre aux fascinants personnages.
Antonio Munoz Molina a une écriture riche et déliée, qui glisse sur les pages et est un réel plaisir de lecture. Le récit est haut en couleur et l'intrigue vraiment bien ficelée. Un splendide roman à la fois sensuel, dur, vivant, qui nous enveloppe par son intarissable source de mots et de chaleur.

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Les éditions

  • Le royaume des voix [Texte imprimé], roman Antonio Muños Molina trad. de l'espagnol par Claude Bleton
    de Muñoz Molina, Antonio Bleton, Claude (Traducteur)
    Seuil / Points (Paris).
    ISBN : 9782020413343 ; 8,95 € ; 23/09/2000 ; 718 p. ; Poche
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Où étais-tu pendant tout ce temps ?

10 étoiles

Critique de Garance62 (, Inscrite le 22 mars 2009, 62 ans) - 2 novembre 2009

Ils se sont connus il y a longtemps.
Ils ne se sont pas cherché.
Ils se retrouvent et vont redécouvrir ce qui, pour un temps oublié les a unis : un lieu, Magina, des personnages, des vies ordinaires, des destins enfouis, l'histoire d'un pays, d'un lieu, l'histoire des familles, qui tour à tour vont ressurgir avec un luxe de détails, tissant pour nous un puzzle qui prend tout son sens petit à petit et revivifie la mémoire.

C'est grâce à l'autre, - cet autre improbable, cet autre qui manque depuis toujours et que Manuel n'imaginait pas rencontrer - que cette mémoire faillible va être réactivée pour trouver les racines d'une existence qui était en quête de sens et que va se modifier le cours d'une vie d'errance.

Construction riche, imagination débridée et foisonnante alimentent des phrases à rallonges dans lesquelles je me suis laissé emporter avec délice, retrouvant chaque jour le plaisir des mots qui se tiennent si bien la main que l'envie est forte à chaque fois que je les retrouvais de rentrer dans leur ronde, phrases interminables qui n'en finissant pas d'échouer laissant trainer derrière elles une musique délicieuse. Un excellent moment de lecture. Dommage que mon espagnol soit si pauvre car si la traduction me paraît bonne, lire ce roman dans son texte d'origine doit relever d'un plaisir encore plus intense.

Très court extrait :
« Car ils ne se contentent pas de se regarder et de savoir qui ils sont avec une certitude et une fierté inconnues jusqu'alors comme s'ils étaient chacun le seul miroir possible du visage de l'autre et la seule figure que leurs yeux aient désiré contempler : ils veulent se retrouver dans le temps où ils n'existaient pas encore, dans le monde où chacun des deux n'était né, et il leur semble dans tout ce qu'ils découvrent et se racontent, dans tout ce qui réveille simultanément en eux l'intensité presque douloureuse de la révélation des royaumes inconnus à leurs corps épuisés par l'amour et revivifiés au-delà des limites de l'enthousiasme, de la peur et de l'anéantissement, il y a eu dès l'origine une impulsion prédestinée ou un hasard qui, à l'insu d'eux-mêmes et d'autrui, les protégeait et les préservait, leur fortifiait dans leur infortune, leur solitude, dans l'erreur et l'exil, chacun étant né à une extrémité du monde, sans la moindre possibilité de se connaître ni d'avoir quelque chose en commun, à part peut-être les tons bleus des paysages qu'ils voyaient à l'horizon des journées les plus claires : Nadia, le profil de Manhattan de l'autre côté de l'East River, Manuel, les pics de la Sierra de Magina, au-delà des oliviers et du Guadalquivir.

Devoir de mémoire

10 étoiles

Critique de Jlc (, Inscrit le 6 décembre 2004, 81 ans) - 11 juillet 2005

C'est un livre exigeant dans lequel on n'entre pas facilement, avec des phrases très longues mais toujours extrêmement claires, un style parlé et très imagé ( influence du cinéma sur une génération d'écrivains) où dominent le gris et le bleu. Mais si on fait le petit effort d'y pénétrer, on est émerveillé par la subtilité des notations, la richesse des sentiments (les pages sur la peur sont d'anthologie!), la saveur de l'intrigue. C'est un retour aux racines et à lire ce livre on comprend mieux pourquoi l'Espagne moderne n'a pas eu jusqu'à aujourd'hui le besoin de ce devoir de mémoire tant réclamé par ailleurs.
En vous recommandant ce livre, je sais que je vais vous rendre heureux.

C'est du très bon !

9 étoiles

Critique de Jules (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 80 ans) - 12 juin 2001

Là, Bluewitch a lâché toutes les bêtes ! Pas très raffiné comme expression, mais elle a l'avantage de bien exprimer ce que l'on veut dire... Quelle critique!... Le bouquin doit s'y prêter, encore fallait-il la faire ! J'adore Munoz Molina et je retrouve bien ici l'ambiance de ses livres, la beauté de sa langue, la poésie qu'il y met et les intrigues pleines de finesse. Inutile de dire que je vais m'acheter ce livre, vite fait bien fait !... C'est un grand écrivain d'aujourd'hui.

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  A propos "Du royaume des voix" Munoz Molina 1 Jules 31 août 2004 @ 12:42

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