Lucy comme les chiens de Catherine Rey

Lucy comme les chiens de Catherine Rey

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Sahkti, le 19 novembre 2005 (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans)
La note : 9 étoiles
Visites : 3 767  (depuis Novembre 2007)

Onde de choc

"J'ai pensé: courir. Courir. Mes jambes me porteront. Alors j'ai couru".

Lucy comme les chiens... un titre limpide. Lucy, pauvre gamine attardée qui, malgré les baffes et les humiliations, aime sa mère et retourne près d'un vieillard salopard qui abuse d'elle et la frappe. Comme le font les chiens battus qui, malgré les coups et les nuits passées sous la pluie, restent fidèles à un maître qui ne les mérite pas.
Catherine Rey fait passer ce message à plus d’une reprise dans son ouvrage, par les traits et la voix de Lucy, qui se fait violer par un vieux dégueu mais arbore un fier sourire parce qu’il lui dit "ma petite chérie" et qu’il l’appelle par son nom. Son prénom que sa mère Nane ne prononce jamais, alors que même un chien, on l’appelle par son nom. Lucy qui se sent devenir humaine et existante, même si ça doit passer par la violence et la souffrance.
Lucy est un chien malheureux, un objet de compagnie qu’on aime un jour et qu’on délaisse le lendemain. Un chien battu qui n’est là que pour satisfaire des envies, quelles qu’elles soient. Un animal fragile et mal éduqué qui implore la moindre caresse et accepterait toutes les horreurs en échange d’une simple marque d’affection. Une jeune femme consciente de sa situation mais incapable, pendant de nombreuses années, de lui échapper.
Sauf à la fin. Où elle court. Mais vers où ? On se sent soulagé à l’idée qu’elle prenne la fuite, mais peut-être fera-t-elle demi-tour, un jour. Peut-être vaincra-t-elle sa peur du vieux et reviendra-t-elle sur ses pas, visiter la maison, en prendre possession en l’absence du vieillard.

Ce livre refermé, il m'a fallu de longues minutes pour encaisser l'onde de choc émotionnel qui s'est emparée de moi.
Tout d'abord le style employé par l'auteur. Parler comme une jeune fille mentalement retardée n'est pas si facile que l'on peut imaginer et il s'agit de rester dans le juste ton, de ne pas sombrer dans l'infantilisme. Catherine Rey s'en sort admirablement bien. A chaque paragraphe, je me suis retrouvée à la place de Lucy, j'éprouvais ses émotions, je comprenais ce qu'elle ressentait. Le vocabulaire, qui a semblé trop cru à certains, ne m'a pas choquée, il est celui employé par une telle personne blessée, mi-adulte mi-enfant. Pas de pornographie ou de propos dégoûtants mais une évocation claire et sans ambiguïté des faits.

Ensuite l'histoire évoquée. Une histoire qui ne doit pas être unique, en particulier dans ces contrées reculées du bush. Evoquée sans pudeur, sans vulgarité, avec énormément de douceur et d'humanisme. Pas d'équivoque à propos du vieillard, on sait qu'il est odieux avec Lucy et pourtant, il n'apparaît pas tout à fait comme un monstre. On se demande par moment, comme Lucy le demande à Nane, s’il l'aime. Personnage bourru qui se cherche une poupée gonflable qui lui servira d'exutoire sexuel et de bonne à tout faire, qui incarnera l'objet de toutes ses rancoeurs et de la vengeance qui couve en lui depuis si longtemps.
A souligner également le pathétisme qui se dégage de Nane, qui me fait plus pitié qu'autre chose. Une mère malheureuse dont la fille "à moitié terminée" lui renvoie l'image de ses échecs. Une femme à qui on a envie de fiche des claques tout en sachant que ça ne servirait à rien, tant son cerveau a été lobotomisé par l'amertume et l'ennui.
Et surtout Lucy. Merveilleuse et douce Lucy qui a sa propre vision du monde, bien plus adulte que celle d'autres personnes plus âgées qu'elles. En apparence, petit animal prostré que l'on cantonne au rôle de clebs à tabasser et qui se révèle être un regard empli d'humilité et de vie sur l'être humain. Lucy se sent inférieure, elle le sait, on le lui a souvent répété. Et pourtant... quelle richesse dans son analyse de tout ce qui lui arrive, des gens qu'elle croise, de son rôle sur terre, de la vie et de la mort, de la souffrance, du lot de chacun.
Une naïveté si candide et si lucide à la fois.
Son histoire est bouleversante, révoltante. Et difficile à évoquer sans tomber dans le vulgaire ou le glauque. Bravo à Catherine Rey qui livre ici un exercice de style tout en finesse. En peu de pages, la bonne dose, ni trop ni trop peu. Cela permet de ne pas s'étendre sur les détails du misérabilisme de cette famille mais c'est suffisant pour nous dire ce qu'il faut savoir.

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