Liquidation de Imre Kertész
( Felszámolás)
Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone
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Le Mal est le principe de la vie
Roman très court, brillamment construit et presque trop intelligent, Liquidation raconte l’histoire de deux hommes : un éditeur et un écrivain.
Les personnages : le premier s’appelle Keserü, ce qui signifie l’amer ; le second s’appelle B., à cause d’un tatouage qu’il porte sur la cuisse, comme tous les enfants nés à Auschwitz. Le lieu : Budapest. L’époque : entre 1990 à 1999. Le prétexte : quand B. s’est suicidé, Keserü, son éditeur et ami, a recueilli les divers manuscrits avant que la police débarque. Pourtant, Keserü est convaincu que l’essentiel, un roman qui expliquerait toute l'œuvre de son ami, a disparu. « Il était un écrivain, un véritable écrivain, or les écrivains achèvent toujours leurs oeuvres, qu'il s'agisse de plusieurs milliers de pages ou de quelques brèves lignes. » Il décide donc de partir à la recherche du manuscrit manquant, lequel aurait pu être confié à Sara, la maîtresse de B ou à Judith, son ex-femme. Judith l’a quitté parce qu’il ne voulait pas d’enfant.
Imre Kertész est un véritable virtuose du roman. À l’intérieur, on trouve une pièce de théâtre écrite par B et intitulée Liquidation, pièce qui met en scène Keserü, B. et d’autres amis. Keserü, le narrateur, nous promène entre cette pièce de théâtre dans laquelle il est acteur et qui anticipe sur des développements à venir dont la mort de B lui-même, entre ses propres souvenirs de l’époque et son présent de narrateur. Parfois, on passe du Je au il, sans que l’usage du procédé ne soit lourd.
B., qui vit avec «l'impression d'être né illégalement, d'être resté en vie sans raison», d’être un « accident industriel », n’est jamais véritablement sorti de son camp de concentration (le communisme a remplacé le nazisme). Le Mur est tombé, mais il est monté à jamais dans sa tête. « Le Mal est le principe de la vie » et « ce qui est véritablement irrationnel, qui n'a pas d'explication, ce n'est pas le Mal, mais le Bien », professe-t-il. Son acte de naissance, en plein camp, est irrationnel parce qu’il suppose la compassion si improbable d’un maillon dans la chaîne de la Mort instituée à Auschwitz. Même autour de B, les vieux résistants contre le communisme semblent avoir perdu leur âme, en perdant leur but. Ce sont des personnages qui n’ont pas eu d’histoire, au mieux des survivants, au pire des clochards, du moins dans leur tête. Seules les femmes semblent capables de se refaire une vie, de refaire la vie.
Les éditions
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Liquidation [Texte imprimé], roman Imre Kertész traduit du hongrois par Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba
de Kertész, Imre Zaremba-Huzsvai, Natalia (Traducteur) Zaremba, Charles (Traducteur)
Actes Sud / Babel (Arles)
ISBN : 9782742756834 ; 6,60 € ; 06/10/2005 ; 126 p. ; Poche
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Dernier bilan avant fermeture
Critique de Stavroguine (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans) - 12 juillet 2012
Imre Kertesz, survivant d’Auschwitz et ayant vécu dans le bloc de l’Est, est bien placé pour en parler. B., autour duquel gravitent les personnages et l’intrigue de Liquidation et qui partage cet aspect de la biographie de l’auteur, en est la parfaite incarnation. Plus encore dans le sens où B. n’a pas seulement survécu à Auschwitz mais y est né. Il est ainsi à la fois un pur produit de l’histoire du vingtième siècle, dont la folie est intimement liée à son existence, et un complet contresens historique. Comme il le dit lui-même à Keserü, sa naissance dans un camp de la mort s’est passée mais n’est pas vraie, elle est kitsch, un non-sens qui résume à lui seul toute l’existence de B., et de l’homme de ce siècle qui a achevé de livrer le monde aux assassins, en soustrayant ainsi toute beauté (Florence n’existe pas et la survivance de l’œuvre de Michelangelo et Leonard de Vinci n’est qu’une conséquence de l’incapacité des hommes à comprendre leur grandeur, profondément contraire au sens de l’évolution du monde).
Pour que le monde retrouve un sens, donc, pour que la vie de B. soit plus qu’un accident vide de tout, il faut résoudre l’énigme Auschwitz. Mais Auschwitz ne s’explique pas. Auschwitz, même pour ceux qui l’ont connu et y ont survécu, même pour ceux qui y sont morts, est incompréhensible. Or, B. est Auschwitz. Et dès lors, B., l’enfant d’Auschwitz, B., comme la première lettre du tatouage qui recouvre sa cuisse, B., l’accident dans la chaîne industrielle, est confronté à la vacuité irrémédiable de son existence.
Pour B., le Mal est le principe de la vie. Ce n’est pourtant pas, semble-t-il, un mal intelligent, un Docteur Mabuse. C’est un Mal biblique, le Mal du néant et du chaos, qui porte la majuscule et se présente comme l’antéchrist, puisque le Bien ne peut se faire, selon B., qu’au prix du sacrifice du bienfaiteur. C’est donc bien une anti-énergie qui anime B., quelque chose de profondément nihiliste et autodestructeur, à l’image de son œuvre qui ne peut trouver son avènement que dans les flammes. A l’image aussi de sa vie qu’il s’est évertué à détruire au prix d’une souffrance immense, avec cruauté, là encore comme on mènerait un rituel sacrificiel, pour enfin tenter de tuer ce Mal qui régit tout et auquel on a laissé libre cours. Ce mal que B. porte profondément en lui et dont il est quelque part l’incarnation.
L’action du livre se déroule entre 1990 et 1999. Après que le bloc de l’Est est tombé comme le dernier bastion d’une armée maléfique et alors qu’un nouveau siècle s’annonce. On peut donc penser que c’est avant tout ce terrible vingtième siècle que Kertesz liquide à travers les cent vingt pages très denses de son roman et qu’il ose un regard optimiste vers le futur. Les précédentes critiques ont pointé l’intelligence de l’auteur : elle est indéniable. J’aimerais quant à moi insister sur la sensibilité de l’œuvre qui a du demander à l’auteur un immense travail d’introspection. C’est cette intelligence de l’émotion que j’ai trouvée en tout point remarquable, notamment dans la seconde moitié du livre où elle affleure le plus. Il y a quelque chose de formidable dans la façon dont Kertesz traite d’un thème si sombre. Comme un cadeau à l’humanité.
Génial et profond, mais accessible
Critique de Poisson-Chat (, Inscrit le 12 février 2011, 52 ans) - 12 février 2011
Kertesz n'a pas volé son prix Nobel. Il est, sans conteste, l'un des écrivains contemporains majeurs (je ne veux pas dire : l'un des bons, mais l'un de ceux que l'histoire devrait retenir, et dont la lecture demeurera pertinente d'ici un siècle). Et il rappelle que l'intelligence est un plaisir. Bref : chef d'oeuvre. Peut-être même le plus grand (par le talent) livre que j'ai jamais lu.
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