Trois concerts de Lola Gruber

Trois concerts de Lola Gruber

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Myrco, le 26 juin 2022 (village de l'Orne, Inscrite le 11 juin 2011, 75 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (41 642ème position).
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Une très très belle lecture

Par ce roman, Lola Grüber nous convie à une immersion dans l'univers de la musique classique, plus précisément côté interprètes, comme la littérature ne nous en avait guère offert jusqu'ici, du moins à ma connaissance. Et c'est là, entre autres l'un des intérêts de cet ouvrage de nous en livrer une vision à la fois exhaustive et pour le moins contrastée.
Mais c'est aussi un roman moderne à la fois par le ton (j'y reviendrai) et l'ancrage dans son époque, la nôtre, celle des technologies nouvelles dont l'auteure n'hésite pas à persifler le caractère intrusif, celle d'un renversement des valeurs auquel participent les nouveaux moyens de communication.

Le récit s'articule autour de trois personnages principaux dont les trajectoires vont s'entremêler.
D'abord, une figure centrale, Clarisse Villain, enfant différente, incomprise, à la limite de l'autisme, incroyablement douée , qui va trouver dans la musique la voie de son épanouissement ( l'évocation très travaillée de son rapport aux sons nous ouvre sur un monde à la fois singulier et fascinant), Clarisse dont la carrière ne se déroule pas à la hauteur de son talent...
Viktor Sobolevitz, violoncelliste de renommée internationale, icône déchue, en retrait du monde depuis la mort de sa femme, personnage misanthrope , intransigeant, engagé dans une quête forcenée de la perfection et dont Clarisse aura été l'unique élève pendant douze années d'un véritable parcours de combattante...
Rémy Nevel, critique musical très en vue, personnage ambitieux, intéressé, manipulateur, auquel Clarisse vouera une passion amoureuse source de frustration et de souffrance...
Entre ces trois personnages: des relations complexes qui font l'objet d'une grande finesse d'analyse révélant parfois des motivations enfouies et une question . Clarisse parviendra-t-elle ou non à s'extraire de cette double emprise ? A noter qu'un élément d'intrigue ( car il y en a une) jouera un rôle important dans cette relation triangulaire à savoir l'existence de suites pour violoncelle d'un certain Crespen dont seul Sobolevitz avait reçu l'autorisation d'en disposer.
Je n'en dirai pas plus sur l'histoire elle-même afin d'en préserver la découverte par le lecteur.

Mais au-delà de l'intrigue et des personnages, ce qui m'a subjuguée dans ce roman, c'est qu'il parvient à nous entraîner aux confins du sublime, dans la capacité de l'expression artistique à transfigurer le réel, élever vers des sommets d'émotion tout en jetant un regard lucide et acéré sur l'envers du décor. Avec réalisme, l'auteure ne nous épargne aucun des aspects les plus médiocres de cette condition de musicien souvent précaire, le poids des contingences matérielles, les petites mesquineries et magouilles qui ont cours dans ce milieu comme dans d'autres, un monde dans lequel gravitent nombre d'imposteurs dont les intérêts économiques ou financiers n'ont rien à voir avec l'amour de l'art et la promotion de la musique et des musiciens.
Clarisse dans sa pureté, sa quête de la perfection insufflée par son maître, sa maladresse relationnelle, connaîtra bien des vicissitudes et désillusions dans cet univers frelaté d'aujourd'hui pour lequel elle n'est pas programmée, où la virtuosité technique engendre plus la reconnaissance d'un public majoritairement moutonnier que le sens musical, où le marketing, l'image, la com , les réseaux ouvrent la voie du succès plus que le vrai talent, où compte avant tout la place sur l'échiquier social.

Par ailleurs, si ce livre mérite autant d'enthousiasme de ma part, il le doit aussi à la manière dont il traite son sujet.
Avec Lola Grüber, on n'a jamais été aussi proche du vécu de l'interprétation musicale - et c'est d'autant plus remarquable qu'elle n'est pas musicienne - qu'il s'agisse des affres de l'exécutant en proie au trac ou aux difficultés techniques , ou de la restitution de moments de grâce lorsque, par exemple, la complicité avec le partenaire dans le partage de la même intelligence du récit musical les unit dans une symbiose jouissive. Elle parvient à donner corps à cette musique, à la rendre vivante, à nous rendre tangible l'émotion ressentie par l'interprète sans pour autant nous imposer un discours technique qui ne serait réservé qu'aux initiés. Il en ressort pour le lecteur une envie irrépressible de découvrir ou redécouvrir ces morceaux du répertoire violoncellistique (néologisme je sais) afin d'en confronter la réalité à l'évocation.
De façon similaire, l'auteure possède ce don de faire en sorte que sous sa plume les scènes prennent vie d'étonnante façon; je pense à la très jolie scène du manteau lors de la première rencontre Clarisse / Nevel.
Autre élément; le choix du recours au tu narratif dont elle joue avec brio créant une petite musique propre à ce livre. Outre que cela ajoute une dimension à l'intériorité du personnage, celle du recul du regard de l'écrivain narrateur, cela instille une forme de vivacité au récit qui bénéficie alors du rythme syncopé, souvent haletant d'une langue parlée et m'a maintenue en apnée du début jusqu'à la fin.
J'ai apprécié également la manière dont l'auteure, tout en pratiquant une écriture élégante et raffinée, n'hésite pas à user de formulations qui ressortent d'un langage très familier , évitant le piège d'une écriture corsetée, guindée, comme le sujet aurait pu le faire craindre à certains.
Enfin, si l'émotion s'avère toujours présente, l'humour n'en est pas moins là et le ton persifleur souvent au rendez-vous. Certains passages portent à sourire voire plus (je citerai le portrait de la Glier ou une notation parmi d'autres telle " le vibrato d'une chèvre oubliée dans l'abreuvoir").

Autant d'atouts qui pour moi font de ce roman une oeuvre remarquable au sens propre, loin des sentiers battus. Une révélation que ce très beau roman d'une auteure particulièrement talentueuse !

Message de la modération : Prix CL 2022 catégorie roman de langue française

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Chassés croisés

8 étoiles

Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 66 ans) - 17 août 2022

Trois personnages reliés par leur passion pour la musique.
Viktor Sobolevitz, violoncelliste de renommée mondiale qui a arrêté les concerts après la mort de sa femme Maria Hollinger Graff dont il se sent responsable.
Clarisse Villain, autiste, que seule la musique parvient à faire sortir de sa torpeur qui va devenir l’unique élève de Viktor.
Rémy Nevel, critique musical, amant de Clarisse, homme ambitieux.

Trois personnes qui, malgré leurs différences, ont en commun de profondes blessures, des drames sus ou tus. Trois personnes aux multiples facettes qui vont blesser, souffrir et faire souffrir.
"Toujours cette charade, dans ta tête, les trois noms insolubles – Clarisse Villain, Viktor Sobolevitz, Paul Crespen. Tu vous imagines, elle et toi, comme des astres, scintillants, lointains, incompréhensibles, chacun donnant à l’autre des regrets."

Un livre qui semble, au début, interminable et vain. Mais un livre où on ne regrette pas sa persévérance (j’avais exactement vécu la même expérience avec La serpe de Philippe Jaenada, où seuls les avis d’autres lecteurs m’avaient permis de continuer la lecture.)

Tout d’abord, j’ai découvert une dimension de la musique que je ne connaissais pas ; même si ce sont des pages un peu trop nombreuses.
Ensuite j’ai apprécié les personnalités complexes des trois protagonistes quand il m’est souvent arrivé de regretter des personnages trop "lisses" dans certains romans.
J’ai été surprise par l’écriture quelquefois déroutante, surprenante au début avec l’utilisation du tutoiement, des phrases que j’ai relues qui semblaient parfois comme déséquilibrées ou curieuses ("donnes-y"), touchantes ou percutantes aussi :
"C’est pour ça que tu t’intéresses à mon maître ? Parce qu’il est un peu mort ? "
"Cette salope d’existence t’offre à nouveau quelque chose à perdre." (Sobolevitz)
"Mais tu ne seras jamais comme Kemelen, aussi dur que tu travailles, tu ne pourras jamais changer l’endroit d’où tu viens."
et ma préférée : "J’ai un chagrin que j’ai pas fini".

Un roman puissant mais un peu hermétique avant de pouvoir se laisser totalement et pleinement emporter.

Symphonie inachevée...

3 étoiles

Critique de Frunny (PARIS, Inscrit le 28 décembre 2009, 59 ans) - 27 juin 2022

Lola Gruber (1972 - ) a effectué des études dans le cinéma. Vendeuse un temps en librairie, elle travaille aujourd’hui au théâtre de l’Athénée-Louis-Jouvet en tant qu’autrice attachée et conseillère en dramaturgie.

Avec Trois concerts, Lola Gruber met la musique à l’honneur. Ce livre est le fruit de plusieurs années de travail et surprend par son sens du détail et sa justesse analytique, notamment musicale. Ce roman relate l’entrée d’une enfant, Clarisse, au sein de l’univers de la musique classique. Elle en découvre la magnificence, mais aussi les défis et les difficultés. Ce voyage musical saisissant nous plonge avec subtilité dans la psyché de trois personnages et mène une réflexion profonde sur les liens qui les unissent.
(Source : Étonnants Voyageurs )

Avant tout, je tiens à préciser que j'ai stoppé ma lecture au bout de 200 pages et que la note attribuée ne reflète donc pas la qualité de l'oeuvre dans son entièreté.
J'ai été rebuté par les personnages torturés qui s'interrogent à longueur de pages sur le sens de leur vie passée et leur devenir. Un étalage sans fin des états d'âme d'une artiste qui se cherche, d'un mentor mutique et je nesaisquoiencore....
Vous l'avez compris, une grosse déception que je regretterai probablement à la lecture de la critique principale.
Mais tellement d'autres bijoux m'attendent !

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