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Tistou, comme promis ;-) , j’ouvre un fuseau en réaction de la dernière phrase de ta critique.
Tu dis : « Etonnant en tout cas comme il y a deux races chez les humains pour Oscar Wilde. Les hommes et les femmes. Dorian Gray, Basil Hallward, Lord Henry sont les hommes. Leur destinée est lumière, aventure, glorieuse. Et il y a les femmes, au premier rang desquelles l’infortunée Sibyl Vane. Elles sont au mieux destinées à la mort, peu glorieuse, au pire de pâles et insignifiantes duègnes, aux trajectoires désespérément linéaires et prévisibles, très clairement sous-race pour notre ami Oscar Wilde. »
Ce n’est pas du tout mon point de vue sur Wilde.
Tout d’abord, dans le portrait de Dorian Gray, il y a un autre personnage féminin, la duchesse de Monmouth, qui est le seul personnage de tout le roman capable d'avoir de la répartie aux propos de Lord Henry (chapitre 17).
Ensuite, il ne faut pas oublier que Wilde critique fortement la société dans laquelle il vit, notamment l’hypocrisie générale et les valeurs familiales traditionnelles. Quand à certains moments il critique les femmes qui se limitent à ces valeurs familiales traditionnelles, les critique-t-il en raison de leur biologie différente (leur « race » comme tu dis très bien) ou en fonction du rôle que la société leur assigne ? Selon moi, c’est plus une critique de la société (comme il le fait sur plein d’autres sujets). Par exemple son aphorisme-ci : « Les femmes ont beaucoup plus de chance que les hommes sur cette terre, beaucoup plus de choses leur sont interdites. ». Est-ce l’expression d’une misogynie bête et méchante (difficilement compatible avec la finesse de sa pensée qu’on peut lire par ailleurs) ? Ou est-ce une critique de la société sous la forme d’un de ces paradoxes qu’il manie avec beaucoup de subtilité ?
Plus je lis Wilde, plus je suis convaincue qu’il était profondément non sexiste. Prenons d’abord ses relations avec les femmes. Il était homosexuel, mais par ailleurs marié et père de deux enfants. En lisant les comptes-rendus de son procès, on apprend qu’il fréquentait un « club » (pratique courante à l’époque dans la bourgeoisie anglaise), mais que sa femme était également membre de ce club et s’y rendait régulièrement avec lui. On est donc loin de l’image de l’homme ayant une vie sociale très riche « entre hommes » (bien que ce soit quand même la norme à l’époque), tandis qu’il enferme sa femme au foyer, assignée aux tâches ménagères et à l’éducation des enfants, être inférieur qu’elle serait sensée être.
Dans « De Profundis » (cette longue lettre qu’il écrit à Alfred Douglas depuis sa prison, où il fait une mise au point de sa relation avec lui), on découvre qu’il est profondément attaché à la mère d’Alfred Douglas pour qui il exprime énormément de respect. Il critique fortement l’attitude de son jeune amant qui l’a poussé à déposer une plainte contre son père et le traîner en justice (ce qui aura pour Wilde la conséquence fatale que l’on sait), espérant par là débarrasser sa famille de ce père-patriarche détesté par tout le monde, sauver sa mère et se présenter à elle comme un fils victorieux. Wilde lui dit avec beaucoup d’émotion [je traduis littéralement] « Tu t’es trompé en ayant cru donner à ta mère un enchantement et une joie absolue en m’utilisant pour jeter ton père en prison. Je suis sûr que tu t’es trompé. Et si tu veux savoir ce qu’une femme ressent réellement quand son mari, quand le père de ses enfants, est en habits de prisonnier dans une cellule de prison, écrit à ma femme et demande-le-lui. Elle te le dira ». Il n’aurait pas écrit ce genre de chose s’il considérait les femmes comme une « sous-race ».
Il ne voit pas non plus les femmes comme exclusivement cantonnées au rôle d’épouse ou de mère. Il entretient par exemple une profonde amitié avec les actrices Ellen Terry, Lillie Langtry et surtout Sarah Bernhardt pour laquelle il écrira la pièce « Samolé » en français.
Dans d’autres de ses écrits, on trouve des indices qui laissent penser que Wilde comprend clairement qu’à l’époque de Shakespeare par exemple, la condition inférieure des femmes n’était pas due à leur « biologie différente », mais au fait qu’elles étaient privées d’éducation : concernant la dame brune du Sonnet de Shakespeare (le portrait de Mr W.H.), il dit « Mais qui était-elle ? (…) Il me semble que quoi qu’elle fût plus instruite que la plupart des femmes de son temps, elle n’était pas de sang noble, mais sans doute l’épouse dissolue d’un bourgeois âgé et prospère. On sait que les femmes de cette classe, alors et pour la première fois en cours d’ascension sociale, étaient curieusement fascinées par l’art tout nouveau du spectacle ».
Non seulement Wilde ne perçoit pas les femmes comme une « sous-race », mais en plus, il s’inscrit dans un courant de pensée qui prône l’abolition de la différence sexuelle, ce qu’on appelle aujourd’hui le mouvement « queer ». En ce sens, il va beaucoup plus loin que ce qui est encore communément admis dans notre actuelle société pourtant égalitaire où on entend malheureusement encore des discours expliquant les (supposées) différences de comportement et de capacité intellectuelle entre les femmes et les hommes en raison de leur biologie respective. Il aime l’ambiguïté sexuelle qu’il considère comme source de création « De tous les motifs de curiosité dramatique auxquels nos grands dramaturges eurent recours, nul n’est plus subtil ni fascinant que l’ambiguïté sexuelle » (le portrait de Mr. W.H.), et perçoit clairement la différence sexuelle comme relevant du détail, de l’ « accident ». « Affirmer que seule une femme peut dépeindre les passions d’une femme, et que par conséquent nul garçon ne saurait jouer Rosalinde, c’est priver l’art du comédien de toute prétention à l’objectivité, c’est transférer sur ce simple accident qu’est le sexe ce qui appartient en propre à l’intuition imaginative et à l’énergie créatrice ». Il ne dit rien d’autre que ce que disent les féministes, plus souvent en sens inverse c’est vrai. ;-)
Ajoutons enfin un extrait de l’introduction de son petit-fils Merlin Holland du recueil de ses œuvres complètes [j’ai la flemme d’encore traduire ce soir, vous comprenez suffisamment l’anglais] « His interest in social matters, in the power of the theatre to question and criticise as wel as entertain, his belief in the importance of woman’s role in society and his own fragile position within it as an outsider, are all coming to light ».
Voilà donc dans le « procès d’Oscar Wilde bis », celui de sa prétendue misogynie, quelques pièces à sa décharge... ;-)
Tu dis : « Etonnant en tout cas comme il y a deux races chez les humains pour Oscar Wilde. Les hommes et les femmes. Dorian Gray, Basil Hallward, Lord Henry sont les hommes. Leur destinée est lumière, aventure, glorieuse. Et il y a les femmes, au premier rang desquelles l’infortunée Sibyl Vane. Elles sont au mieux destinées à la mort, peu glorieuse, au pire de pâles et insignifiantes duègnes, aux trajectoires désespérément linéaires et prévisibles, très clairement sous-race pour notre ami Oscar Wilde. »
Ce n’est pas du tout mon point de vue sur Wilde.
Tout d’abord, dans le portrait de Dorian Gray, il y a un autre personnage féminin, la duchesse de Monmouth, qui est le seul personnage de tout le roman capable d'avoir de la répartie aux propos de Lord Henry (chapitre 17).
Ensuite, il ne faut pas oublier que Wilde critique fortement la société dans laquelle il vit, notamment l’hypocrisie générale et les valeurs familiales traditionnelles. Quand à certains moments il critique les femmes qui se limitent à ces valeurs familiales traditionnelles, les critique-t-il en raison de leur biologie différente (leur « race » comme tu dis très bien) ou en fonction du rôle que la société leur assigne ? Selon moi, c’est plus une critique de la société (comme il le fait sur plein d’autres sujets). Par exemple son aphorisme-ci : « Les femmes ont beaucoup plus de chance que les hommes sur cette terre, beaucoup plus de choses leur sont interdites. ». Est-ce l’expression d’une misogynie bête et méchante (difficilement compatible avec la finesse de sa pensée qu’on peut lire par ailleurs) ? Ou est-ce une critique de la société sous la forme d’un de ces paradoxes qu’il manie avec beaucoup de subtilité ?
Plus je lis Wilde, plus je suis convaincue qu’il était profondément non sexiste. Prenons d’abord ses relations avec les femmes. Il était homosexuel, mais par ailleurs marié et père de deux enfants. En lisant les comptes-rendus de son procès, on apprend qu’il fréquentait un « club » (pratique courante à l’époque dans la bourgeoisie anglaise), mais que sa femme était également membre de ce club et s’y rendait régulièrement avec lui. On est donc loin de l’image de l’homme ayant une vie sociale très riche « entre hommes » (bien que ce soit quand même la norme à l’époque), tandis qu’il enferme sa femme au foyer, assignée aux tâches ménagères et à l’éducation des enfants, être inférieur qu’elle serait sensée être.
Dans « De Profundis » (cette longue lettre qu’il écrit à Alfred Douglas depuis sa prison, où il fait une mise au point de sa relation avec lui), on découvre qu’il est profondément attaché à la mère d’Alfred Douglas pour qui il exprime énormément de respect. Il critique fortement l’attitude de son jeune amant qui l’a poussé à déposer une plainte contre son père et le traîner en justice (ce qui aura pour Wilde la conséquence fatale que l’on sait), espérant par là débarrasser sa famille de ce père-patriarche détesté par tout le monde, sauver sa mère et se présenter à elle comme un fils victorieux. Wilde lui dit avec beaucoup d’émotion [je traduis littéralement] « Tu t’es trompé en ayant cru donner à ta mère un enchantement et une joie absolue en m’utilisant pour jeter ton père en prison. Je suis sûr que tu t’es trompé. Et si tu veux savoir ce qu’une femme ressent réellement quand son mari, quand le père de ses enfants, est en habits de prisonnier dans une cellule de prison, écrit à ma femme et demande-le-lui. Elle te le dira ». Il n’aurait pas écrit ce genre de chose s’il considérait les femmes comme une « sous-race ».
Il ne voit pas non plus les femmes comme exclusivement cantonnées au rôle d’épouse ou de mère. Il entretient par exemple une profonde amitié avec les actrices Ellen Terry, Lillie Langtry et surtout Sarah Bernhardt pour laquelle il écrira la pièce « Samolé » en français.
Dans d’autres de ses écrits, on trouve des indices qui laissent penser que Wilde comprend clairement qu’à l’époque de Shakespeare par exemple, la condition inférieure des femmes n’était pas due à leur « biologie différente », mais au fait qu’elles étaient privées d’éducation : concernant la dame brune du Sonnet de Shakespeare (le portrait de Mr W.H.), il dit « Mais qui était-elle ? (…) Il me semble que quoi qu’elle fût plus instruite que la plupart des femmes de son temps, elle n’était pas de sang noble, mais sans doute l’épouse dissolue d’un bourgeois âgé et prospère. On sait que les femmes de cette classe, alors et pour la première fois en cours d’ascension sociale, étaient curieusement fascinées par l’art tout nouveau du spectacle ».
Non seulement Wilde ne perçoit pas les femmes comme une « sous-race », mais en plus, il s’inscrit dans un courant de pensée qui prône l’abolition de la différence sexuelle, ce qu’on appelle aujourd’hui le mouvement « queer ». En ce sens, il va beaucoup plus loin que ce qui est encore communément admis dans notre actuelle société pourtant égalitaire où on entend malheureusement encore des discours expliquant les (supposées) différences de comportement et de capacité intellectuelle entre les femmes et les hommes en raison de leur biologie respective. Il aime l’ambiguïté sexuelle qu’il considère comme source de création « De tous les motifs de curiosité dramatique auxquels nos grands dramaturges eurent recours, nul n’est plus subtil ni fascinant que l’ambiguïté sexuelle » (le portrait de Mr. W.H.), et perçoit clairement la différence sexuelle comme relevant du détail, de l’ « accident ». « Affirmer que seule une femme peut dépeindre les passions d’une femme, et que par conséquent nul garçon ne saurait jouer Rosalinde, c’est priver l’art du comédien de toute prétention à l’objectivité, c’est transférer sur ce simple accident qu’est le sexe ce qui appartient en propre à l’intuition imaginative et à l’énergie créatrice ». Il ne dit rien d’autre que ce que disent les féministes, plus souvent en sens inverse c’est vrai. ;-)
Ajoutons enfin un extrait de l’introduction de son petit-fils Merlin Holland du recueil de ses œuvres complètes [j’ai la flemme d’encore traduire ce soir, vous comprenez suffisamment l’anglais] « His interest in social matters, in the power of the theatre to question and criticise as wel as entertain, his belief in the importance of woman’s role in society and his own fragile position within it as an outsider, are all coming to light ».
Voilà donc dans le « procès d’Oscar Wilde bis », celui de sa prétendue misogynie, quelques pièces à sa décharge... ;-)
Je reprends ce vieux fil, qui n'a pas eu beaucoup de succès à l'époque. Qui est Oscar Wilde? Pour ma part, je le vois plutôt dans la peau de Lord Henry, jouisseur, élégant, brillant, et... gay comme on dit de nos jours.
Et que dit Lord Henry?
"La femme n'a pas de génie, elle appartient un sexe purement décoratif. Elle n'a rien à dire, mais elle le dit d'une manière charmante".
Bien sûr, l'auteur prend du recul par rapport à ses personnages, mais la comparaison entre ce qu'on sait de la vie de Wilde et son personnage est, je trouve, particulièrement éclairante.
Et que dit Lord Henry?
"La femme n'a pas de génie, elle appartient un sexe purement décoratif. Elle n'a rien à dire, mais elle le dit d'une manière charmante".
Bien sûr, l'auteur prend du recul par rapport à ses personnages, mais la comparaison entre ce qu'on sait de la vie de Wilde et son personnage est, je trouve, particulièrement éclairante.
"Aimer une femme intelligente c'est un plaisir de pédéraste"
Oscar Wilde.
"On dit "gai comme un pinson". Té, mon fils il est gai ! eh bé, il est pas pinson. hé !"
Noëlle Perna extrait : "Mado la niçoie" :
"C'est pourquoi je t'ai donné l'empire sur tous ceux qui, à ton instar, par indéveloppement, sont nuls au cérébral, car sur le plan animique, ô femme, tu es l'homme."
Josaph Péladan
{A.LXXXIV. La femme nulle au cérébral est active au sentimental, elle génère des sentiments et reçoit les idées de l'homme qui en elle se sentimentalisent.}
.../... Alors, ces mages et ces fées ne seront plus des ennemis passionnels, de mutuels bourreaux : conscients du mensonge de l'amour, ils auront des charités et non pas des passions : et les fées reflèteront les idées des mages et les mages idéaliseront les sentiments des fées ; et qu'il y ait ou non des défaillances de chair, ils ne conjugeront vraiment que des impressions tempérées et leurs coeurs admirables seront remplis du pur désir de l'art et du mystère.
Et une tisane ! Une !
Oscar Wilde.
"On dit "gai comme un pinson". Té, mon fils il est gai ! eh bé, il est pas pinson. hé !"
Noëlle Perna extrait : "Mado la niçoie" :
"C'est pourquoi je t'ai donné l'empire sur tous ceux qui, à ton instar, par indéveloppement, sont nuls au cérébral, car sur le plan animique, ô femme, tu es l'homme."
Josaph Péladan
{A.LXXXIV. La femme nulle au cérébral est active au sentimental, elle génère des sentiments et reçoit les idées de l'homme qui en elle se sentimentalisent.}
.../... Alors, ces mages et ces fées ne seront plus des ennemis passionnels, de mutuels bourreaux : conscients du mensonge de l'amour, ils auront des charités et non pas des passions : et les fées reflèteront les idées des mages et les mages idéaliseront les sentiments des fées ; et qu'il y ait ou non des défaillances de chair, ils ne conjugeront vraiment que des impressions tempérées et leurs coeurs admirables seront remplis du pur désir de l'art et du mystère.
Et une tisane ! Une !
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