Feint

avatar 20/06/2006 @ 16:11:55
Merci à MOPP pour sa lecture d'un essai dont le titre, me semble-t-il, est déjà une invitation au débat. (Merci aussi aux audacieux qui oseront proposer les premières réponses.)

Le rat des champs
avatar 20/06/2006 @ 16:14:53
Ma réponse, c'est que oui, il faut la comprendre, mais que comme disait Saint-Exupéry, on ne comprend bien qu'avec le coeur.

Berlingot 20/06/2006 @ 18:29:34
Faut il comprendre un tableau pour en être ému ?
Comprendre toute la technicité nécessaire pour jouer un morceau de musique pour être touché ?
La beauté, l'émotion se passent d'explications non ?
Un poème va faire naitre des images, une musique, dans l'esprit de son lecteur, va être ressenti différemment en fonction de la personnalité ,de la sensibilité propre de chacun parfois de façon très différente de ce que l'auteur a voulu faire passer.

Feint

avatar 20/06/2006 @ 19:21:54
Pourquoi suis-je d'accord aussi bien avec Le rat qu'avec Berlingot ?
Peut-on ne pas "comprendre" un poème ?
Si je ne suis pas ému par un poème, est-ce parce que je ne l'ai pas compris ?
D'un point de vue plus pratique, comment faire la critique, sur ce site ou ailleurs, d'une oeuvre poétique ? Est-ce légitime ?

Le rat des champs
avatar 20/06/2006 @ 19:30:42
La poésie est subjective. Si tu n'es pas ému, c'est peut-être parce que ce que le poète évoque te touche moins. Ou alors que c'est mauvais, ce qui est possible aussi.

Bien sûr il y a des choses universelles qui touchent la plus grande partie de la population. Mais d'accord, il est plus facile de critiquer un roman qu'un recueil de poèmes.

Il y a des années, je devais diisserter sur une phrase de je ne sais plus qui, qui disait que la seule critique acceptable était de présenter l'auteur et de tenter d'expliquer pourquoi il avait écrit ainsi. Pas faux...

Feint

avatar 20/06/2006 @ 20:15:45
Il arrive aussi qu'un lecteur plus expérimenté me fasse toucher du doigt (m'explique ?) quelque chose que je n'avais pas su sentir tout seul. Dès lors le texte (ou le tableau) qui me laissait indifférent ou perplexe m'apparaît avec un tout autre visage.

Poupi 20/06/2006 @ 20:48:02
C'est vrai que c'est une question très interessante.

Pour moi, on n'est pas pas obligé de comprendre la poésie pour l'aimer ; on peut être touché, ému, parce que c'est un poème d'amour, ou qui parle d'un thème cher. Un poème que j'adore, "L'invitation au voyage" de Charles Baudelaire. Et bien je l'ai étudié en profondeur cette année pour mon bac, je n'avais pas tout saisi de ce poème...

Donc ce n'est pas obligatoire d'avoir compris un poème pour en aimer le fond, ou même en reconnaître la qualité, mais si c'est le cas, c'est encore mieux, je pense!

Léonora 21/06/2006 @ 01:01:08
cela dépend si on prend le verbe comprendre à la lettre ( c'est à dire prendre avec) alors oui, biensur sinon on peut décortiquer un poème et le déréglement des sens et la partition de sa musique mais quel dommage, c'est presque barbare...

Lincoln 21/06/2006 @ 09:02:43
En littérature, mais plus particulièrement en poésie, il y a les amoureux de la technique et les émotifs, l’un n’excluant pas forcément l’autre. Il est vrai qu’avec les poèmes, d’un point de vue technique, il y a de quoi se mettre sous la dent.

Mais qu’est-ce qui fait qu’une poésie attrape nos sens alors qu’une autre nous laisse de marbre? Et comment cette même poésie qui nous indiffère peut-elle émouvoir notre voisin? Et pourquoi celle qui nous avait tiré une moue dubitative un jour nous étonnera un autre?

Je comparerai les poésies à des miroirs qui nous renvoient nos propres émotions, nos sensibilités, en les teintant, les associant pour faire naître de nouvelles images, d’autres ivresses. Ce qu’elles renvoient dépend donc de ce qu’elles reçoivent (de l’émetteur) à un moment donné.

Quant à la question de “comprendre”, comme le dit Léonora, tout dépend du sens qu’on donne au verbe. On doit tout de même se dire qu’une poésie n’est pas un texte de type explicatif.

Feint, tu dis “Il arrive aussi qu'un lecteur plus expérimenté me fasse toucher du doigt (m'explique ?) quelque chose que je n'avais pas su sentir tout seul”. Je crois qu’on peut en effet partager les émotions que font naître les poésies sans pour autant expliquer pourquoi ou comment ces émotions sont nées. Tu cites l’exemple d’un tableau (on peut ajouter un paysage) face auquel on nous fait remarquer un détail qui avait échappé à notre sagacité :o) Alors c’est tout le tableau, tout le paysage, qui s’illumine d’un nouveau jour. Nous a-t-on réellement expliqué ou simplement dévoilé un chemin?

Je me rends compte que je ne fais pratiquement que répéter ce qui est dit au-dessus, mais après tout, on est là pour papoter!!

Bolcho
avatar 21/06/2006 @ 11:12:27
Bien d’accord avec plein de gens ici, notamment avec Lincoln qui vient de faire une sorte de synthèse. Après tout, un poème vaut pour le plaisir qu’il nous donne : que ce plaisir passe par l’analyse « décorticante » ou par la sensibilité aux sons, qu’importe. Chacun ses trucs. Disons qu’il n’est pas plus mal de faire jouer différentes facettes. J’ai été amené, durant mes études, à faire des analyses fouillées de Baudelaire ou de Mallarmé, et ça ne m’en a pas dégoûté, au contraire.
Tiens, pour ne pas nous éloigner trop de ces deux auteurs, on peut dire un mot d’un troisième, qu’ils ont traduit : Poe.
J’ai toujours adoré son texte « Philosophy of composition » (traduit : « La Genèse d’un Poème »). Poe y explique comment il a écrit son poème le plus célèbre, « Le Corbeau » (« The Raven »). On sait que Poe avait des problèmes d’argent. La première motivation de l’auteur était donc d’être publié et de faire en sorte que le poème soit suffisamment attractif pour permettre des rentrées de dollars. On est déjà assez loin des simagrées romantiques sur l’inspiration quasi divine du poète.
Donc Poe décide de faire un poème suffisamment court pour être lu d’une traite (100 vers) et il veut que le ton général soit très sombre. Il pense à introduire un refrain sinistre qui ne serait constitué que d’un mot unique de manière à simplifier les questions de sens. Pour que le côté sombre domine, il veut introduire le son O long (sonore) et la consomme R (vigoureuse). Le mot « Nevermore » s’impose. Il faudra donc qu’il apparaisse comme une réponse à une série de questions…sur la mort bien sûr. D’où le personnage du lecteur dépressif qui se pose des questions sur la mort de son amoureuse et à qui un oiseau répond à chaque fois : « Jamais plus ».
Poe nous décrit par le détail les choix techniques (sons, rythme, longueur des vers, etc) qui ont été nécessaire pour arriver là où il voulait : au succès de masse.

Voilà. Si un auteur décortique ainsi son texte, pourquoi le lecteur ne le ferait-il pas ?

Cela dit, je mets l’un ou l’autre bémol tout de même :
- Poe s’amuse manifestement en écrivant « La Genèse d’un Poème » et ce serait aller un peu loin que de le prendre trop à la lettre…
- tout texte littéraire échappe à son auteur, donc chaque lecteur en est aussi en partie l’auteur. Le plus intéressant n’est pas de découvrir ce que l’auteur a vraiment voulu dire, mais ce que le lecteur y trouve. La poésie est par définition polysémique et on en réduit fortement la portée lorsqu’on privilégie une interprétation plutôt qu’une autre. C’est vrai me semble-t-il pour l’ensemble des œuvres d’art.
Mais ça n’empêche pas de gloser sur chaque pied ou chaque virgule d’un poème car tout le discours que nous faisons autour de lui, c’est toujours le poème n’est-ce pas…

Feint

avatar 21/06/2006 @ 15:52:47
Merci à tous, de vous être colletés courageusement avec cette question plutôt piégeuse (à mon sens). A mon tour de me mouiller un peu. Ma perplexité face à une telle question tient à la variété poétique même. Autant l'idée de "comprendre" me paraît nécessaire avant d'apprécier de nombreux textes - Ronsard, Du Bellay, D'Aubigné, ou, plus près de nous, Hugo, Baudelaire ou même Mallarmé -, des textes que souvent, j'ai l'impression qu'il est possible d'en proposer une explication - qui n'explique pas le plaisir, mais y donne accès - ; autant la chose me paraît beaucoup moins évidente pour la plupart des poèmes des Chimères de Nerval, pour Saint-John Perse, que j'ai cité récemment sur un autre forum, ou pour les poèmes de Coleridge, que j'aime sans explication, et sur lesquels je reste sec quand je dois en parler. (Voulant faire connaître le superbe Amers de Saint-John Perse, je me suis contenté d'une sorte de paraphrase résumée, en cherchant seulement à donner une idée, forcément réductrice, de ce à quoi le texte ressemble). Maintenant, il reste évident que tout cela est parfaitement subjectif. Un autre lecteur, tout en partageant mon avis, ne placera pas les mêmes auteurs dans les mêmes catégories. Ainsi ne peut-on pas rendre compte objectivement d'un texte ; la seule chose dont on peut prétendre parler, c'est de la lecture qu'on en a fait, forcément singulière, et qui mérite alors d'être confrontée à une autre : c'est ce que nous faisons ici.

MOPP 21/06/2006 @ 18:26:27
Merci à Feint et à vous tous pour l'intérêt porté à ce livre que je présentais.

Pour ceux que cela intéresse, je renvoie à "Structure du langage poétique" de J. COHEN, Flammarion.

M.P.

Jules
21/06/2006 @ 22:15:14
Faint a dit plus haut que, parfois, en recevant une indication quand à un certain sens d'un texte on peut soudain le voir autrement. Cela me paraît très important et très vrai, mais cela, en poésie, n'empêche pas une première réaction auparavant. Cette première sensation sera comme pour une musique, un tableau, purement émotive.

Maintenant, laissez moi prendre un exemple facile: "Guernica" de Picasso. Comme certains tableaux de Goya, il est impossible de ne pas se rendre compte que "Guernica" transmet le sentiment de toute l'horreur que peut contenir le monde dans certaines circonstance. C'est flagrant !

Est-ce que de savoir que Guernica est un petit village d'Espagne pendant la guerre civile et bombardé par les avions d'Hitler un matin de marché, avec la certitude d'avoir beaucoup de victimes civiles, change grand chose à cette perception. A mon avis non !

Cette connaissance pourrait être ce que nous pourrions appeler une "culture inutile", elle n'apporte rien de plus à l'oeuvre.

Sibylline 21/06/2006 @ 23:01:29
Est-ce que de savoir que Guernica est un petit village d'Espagne pendant la guerre civile et bombardé par les avions d'Hitler un matin de marché, avec la certitude d'avoir beaucoup de victimes civiles, change grand chose à cette perception. A mon avis non !
.

A mon avis, si.

Feint

avatar 21/06/2006 @ 23:11:00
Je partage l'avis de Sibylline. Une fiction peut délivrer le même message qu'un témoignage vécu. Doit-on pour autant confondre les deux ? Il me semble qu'il y a toujours à gagner à comprendre ce qui a motivé l'artiste - sans pour autant sombrer dans une interprétation basée principalement sur la vie de l'auteur, ce qui est une autre sorte d'apauvrissement.

Jules
22/06/2006 @ 08:56:20
Là, j'avoue être surpris par votre réaction !...

Le tableau, et ce qu'il représente, ne peut vraiment pas prêter à confusion. C'est l'horreur dans tout ce qu'elle a de plus terrible. Les corps emmêlés les bras tendus vers le ciel dans une dernière expression de douleur ou de supplication. Le cheval, qui va écraser ces corps dans son élan, avec la pointe affutée qui sort de sa gueule dans une douleur terrible, tout cela est clair !

D'accord que Picasso l'a peint sous le coup d'une émotion bien précise mais, à mes yeux, il devrait tout aussi bien s'appliquer aux bombardements sur Londres ou sur Dresde pendant la seconde guerre... et ne parlons pas d'Hiroshima ou Nagasaki !...

C'est une oeuvre universelle et adaptée à tous massacres.

J'ai trouvé Guernica une oeuvre sublime et terrible à la fois bien avant que de savoir qu'elle concernait la guerre d'Espagne !

C'est donc le premier choc qui compte et celui qui ne le comprendrait pas avant que de savoir ce qu'était Guernica me semblerait singulièrement manquer de sensibilité.

Lui apprendre ce qu'était Guernica ne lui donnera pas la sensibilité.

A mes yeux, dans certains cas, la culture peut ajouter une dimension à l'oeuvre par une meilleure compréhension, alors que dans d'autres cas elle me semble "culture pour la culture"

Ce denier cas me semble s'appliquer pour Guernica.

Aria
avatar 22/06/2006 @ 19:17:28
Complètement d'accord avec Feint et Sibylline.
Un massacre touche profondément, mais ce tableau me semble encore plus terrible quand je peux le rattacher à sa réalité historique.

Page 1 de 1
 
Vous devez être connecté pour poster des messages : S'identifier ou Devenir membre

Vous devez être membre pour poster des messages Devenir membre ou S'identifier