Ergans 23/07/2005 @ 14:08:20
De nouveaux « Récits de la famille Ergans » sont disponibles gratuitement en texte intégral. Entrez simplement le titre dans Google ou cliquez sur le lien :

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Ces récits sont diffusés en texte intégral. La « chronique » de cette famille sera toujours disponible en ligne gratuitement.

"Les récits de la famille Ergans" constituent la chronique « éclatée » d'une famille qui se compose de Jens (le père), Wenka ( la mère), Wems ( le fils aîné) et Serg (son petit frère).
Cette famille habite dans une presqu'île de l'état du Skeerwan, membre de la Confédération d'Ostrand, pays d'immigration européenne.

D'autres personnages peuvent apparaître dans certains des récits.
Les récits, structurés comme de petites nouvelles, concernent la vie de certains des personnages à divers moments de leur existence.


Voici l'un de ces "Récits" :
"RETOURS DIFFICILES"


Retours difficiles








Wems ne rentrait qu’un week-end sur deux à la maison. Le reste du temps, il était interne dans son collège. Chaque lundi matin, très tôt, il lui fallait réintégrer Horlegh. Son père le conduisait avec le bateau jusqu’à une petite crique en contrebas de la route du district qui longeait la côte, entre Avnö et Versken. Il aurait pu l’emmener avec la voiture mais le bateau permettait de gagner du temps : la route du col de Versh était mauvaise et étroite, dangereuse –surtout à la mauvaise saison, au point qu’il fallait toujours y rouler très lentement. Parfois des éboulements se produisaient et coupaient la circulation pour plusieurs jours. Un hiver, elle était même restée fermée plusieurs semaines à cause d’un glissement de terrain.
Le bateau fonçait dans les lueurs de l’aube qui affleuraient sur la mer, encore sombre dans les profondeurs mais déjà étincelante à la surface. Vers le sud, on distinguait à peine, dans le lointain, les contours flous de l’île de Swörk. Wems sentait contre son visage la caresse fraîche de l’air humide tandis que le bateau filait. Si le vent de travers se levait, l’étrave frappait durement la mer, soulevant par instants des gerbes d’écume blanche qui jetaient sur eux d’infimes fragments d’eau glacée.
Encore ensommeillé malgré le déjeuner et la douche, il se tenait contre son père sur la banquette du poste de pilotage. Même si la perspective de rentrer au collège pour quinze jours n’avait à ses yeux rien de particulièrement réjouissant, il aimait ce moment où il se trouvait seul avec lui. Il regrettait toujours que le temps du trajet passe si vite.
Le plus souvent ils ne parlaient pas. Parfois ils échangeaient simplement un regard. Ça suffisait. Wems aimait bien se trouver avec son père. Il avait ce calme d’homme sur de lui, cette chaleur dans le regard, et c’était difficile de résister à son sourire quand il vous fixait. Wems sentait cette force rassurante ; ça lui plaisait.
C’était bon que son père soit son père, qu’il soit le père qu’il était, et pas un autre. Pas un père comme ceux de ses copains, un de ceux qui tapaient aussi sec que Saartz ou qui n’étaient jamais là. Bien sûr, il arrivait que son père punisse aussi, mais c’était différent.
Parfois, Wems se demandait ce que pouvait ressentir les garçons qui n’avaient pas de parents. Kelan par exemple, celui de sa classe dont le père et la mère étaient morts pendant la guerre civile. Du moins, c’est ce qu’on prétendait, Wems n’était pas sûr que ce soit vrai. Kelan n’en parlait jamais. Il était interne comme lui au collège mais quand il n’était pas puni pour les week-ends de sortie, il retournait à l’orphelinat de Neestat ou dans une famille d’accueil pour les vacances. On disait que ses parents avaient laissé de l’argent pour qu’il puisse faire des études dans un bon collège, et il avait un tuteur, un avocat de Wedminsk qui lui écrivait parfois.
Wems n’arrivait pas à s’imaginer à sa place. Même pour un instant. C’était trop dur d’imaginer la vie sans parents. Sans son père, sans sa mère. Ce qui l’étonnait, c’est que Kelan ne semblait pas si triste. Peut-être que ses parents ne lui manquaient pas tant que ça, finalement. Kelan était un peu bizarre.
Pourtant, c’était un bon copain. Pas son meilleur ami, comme Skert et Nejko, mais quand même un bon copain, un type sur qui on pouvait compter. Au début, ils ne s’étaient pas entendus, ils s’étaient même battus au dortoir un soir. Une histoire de bousculade en sortant des douches, parce qu’aucun des deux n’avait voulu s’écarter pour laisser le passage à l’autre. Ils se ressemblaient là-dessus : presque le même caractère, ce genre de garçon qui ne veut pas paraître céder le premier. Tous les deux savaient assez bien se battre et aucun n’était vraiment parvenu à prendre le dessus avant que le surveillant de nuit ne vienne les séparer. kelan avait fait le premier pas après la punition. Wems avait été soulagé que les autres ne se livrent à aucun commentaire sur l’issue prévisible de la bagarre. Kelan non plus n’y avait fait aucune allusion. Et puisque l’honneur était sauf, ils avaient pu se réconcilier et devenir amis.
En arrivant du large, le bateau suivait d’abord pendant un moment une ligne parallèle à la côte pour éviter les écueils, avant d’obliquer et de se diriger de nouveau droit sur elle. Wems voyait peu à peu, grandir la ligne des hautes collines dominant le rivage, noires à leur base et déjà délicatement orangées sur les sommets. Par endroits, les coupes qui avaient été pratiquées dans la forêt dessinaient des taches plus claires au flanc des grands monstres endormis, comme si une main gigantesque les avait tondues pendant leur sommeil. Plus près de la côte, son père lui laissait tenir la barre quand il avait diminué le régime des gaz. Les mains sur les commandes, Wems sentait le cabin-cruiser prêt à obéir de toute sa puissance au moindre de ses ordres. C’était grisant. Son père l’observait en souriant, une main posée sur son épaule ou contre sa nuque.
La crique se trouvait un peu plus loin, cachée entre deux hautes falaises blanches. Elle était invisible du large et on ne la découvrait qu’au tout dernier moment, en approchant. Des pêcheurs avaient habité là autrefois ; on apercevait encore les ruines de deux petites maisons de pierre accrochées plus haut dans la pente, juste avant les premiers pins. A présent, les lieux étaient déserts, seul subsistait sur le rivage un vieux ponton de bois noir, humide et délabré qui s’avançait dans la mer. Son extrémité s’était affaissée et les vagues venaient parfois glisser par dessus les planches couvertes d’algues vertes que les remous agitaient.
C’était là que son père le laissait. Wems l’embrassait et sautait sur le ponton branlant, son sac au dos et ses baskets à la main. Puis, le cœur toujours vaguement serré, il regardait le cabin-cruiser qui manoeuvrait pour virer de bord. Son père lui adressait un sourire d’encouragement et lançait : « A vendredi, même endroit, officier Wems ! Et sois à l’heure, le sous-marin n’attendra pas… », ou une autre phrase de ce genre. C’était un petit rite puéril entre eux. Puis il relançait les gaz et, de nouveau, le bateau fonçait dans une gerbe d’écume blanche, mais cette fois vers le large, pour s’éloigner.
Wems observait la silhouette de son père, le bras lui aussi levé en signe d’adieu. Il le suivait des yeux jusqu’à ce qu’il ait disparu derrière les rochers qui fermaient la crique. Encore quelques secondes et il ne le voyait plus, mais il entendait toujours le bruit affaibli du moteur. Puis le fantôme incertain de ce bruit. Puis plus rien. Seulement le murmure irrégulier des vagues à ses pieds, parfois le frémissement du vent. Et tout autour le grand silence inquiet. Alors, il était vraiment seul. Wems détestait ce moment.
Il savait qu’il ne devait pas traîner. Il remettait ses baskets et se hâtait d’emprunter le sentier qui grimpait raide entre les pins inclinés. Une fois parvenu sur la route, il lui fallait marcher encore un moment. L’arrêt du car se trouvait à trois bons kilomètres vers le sud, juste une centaine de mètres avant les bâtiments désaffectés d’une ancienne colonie de vacances, en lisière de la grande forêt de sapins noirs qui couvrait la côte jusqu’à Avnö. Le parc entourant les bâtiments était à l’abandon et on avait condamné certaines des fenêtres aveugles par des planches disposées en croix. La colonie était installée un peu en retrait de la route, contre la forêt. De l’autre coté, un grand portique en métal rouillé dominait une petite esplanade dont l’extrémité, ceinte par un muret de pierres aux étranges teintes noires et vertes, tombait abruptement sur les rochers. Wems n’avait jamais eu le temps d’aller explorer les lieux. Il ne savait pas s’il en aurait vraiment eu envie. Il était toujours seul à cette heure et à cet arrêt. L’hiver, dans la demi obscurité du couvert des arbres, sous le ciel encore presque noir, l’endroit lui paraissait un peu sinistre.
Foulant l’épais tapis d’aiguilles sèches, Wems marchait vite le long de la chaussée étroite, par endroits défoncée. Il savait que le car ne s’arrêterait pas juste pour lui s’il ne se trouvait pas exactement à l’arrêt au moment de son passage. Le chauffeur arborait toujours ce petit sourire en coin en déclenchant l’ouverture de la porte, et semblait penser : « Un de ces jour, tu n’arriveras pas à l’heure et ce sera tant pis pour toi, mon gars… »
Wems n’avait jamais raté son car, mais la plupart du temps c’était quand même juste. Il n’aimait pas l’idée que ça risquait d’arriver un jour. Le suivant ne passait que deux heures plus tard. Manquer la rentrée du lundi matin au collège aurait été grave. Plus que grave, même. Wems savait que ça pouvait lui valoir une convocation dans le bureau de Saartz. Il n’avait pas besoin de ce genre d’ennui.
Le car du service régulier l’emmenait jusqu’à la gare d’Avnö où la navette spéciale de Horlegh prenait tous les élèves internes de la côte sud. En tout, le trajet jusqu’au collège représentait une heure et demie depuis la crique. Wems essayait de redormir un peu mais ce n’était pas facile. Dans le car, il surveillait les arrêts, craignant de manquer celui d’Avnö. Et dans la navette, les autres chahutaient toujours sur la banquette arrière. On aurait dit que ça les excitait de rentrer à l’internat. Lui, pas du tout. Il aimait bien retrouver ses copains mais la discipline de Horlegh lui pesait. Toutes ces règles si contraignantes. Toutes ces punitions à éviter.
En arrivant au collège, il était fatigué et il ne parvenait pas à s’intéresser comme il l’aurait dû aux explications des professeurs. Pendant les deux premières heures de cours, il somnolait, caché derrière son livre grand ouvert, feignant de suivre alors qu’en réalité il n’écoutait pas du tout. Ses résultats scolaires n’en souffraient pas : il se débrouillait pour rattraper ensuite sur le cahier d’un copain les leçons qui lui avaient échappé. Wems travaillait vite, il comprenait et retenait facilement ; il était intelligent.
Cependant, sa ruse ne fonctionnait pas toujours. Quelquefois, un professeur s’approchait dans son dos et le surprenait.
« Wems, répétez ce que je viens de dire, je vous prie ! tonnait soudain la voix exaspérée au-dessus de lui. »
Dans l'instant, une main claquait sur sa table où empoignait son épaule. Wems sursautait.
« Si vous avez suivi, vous devez être capable de répéter ce que j’ai dit ! »
Mais Wems ne le pouvait pas. La plupart du temps il était puni et il écopait d’un devoir supplémentaire à rendre pour le lendemain. Ca lui était égal. Mais certains jours, les choses se gâtaient, parce qu’il avait épuisé la patience du professeur. Ces jours-là, il n’y avait pas de pensum mais il devait aller sur l’estrade pour y recevoir le fouet. Rien qu’en observant le visage de l’adulte penché sur lui, Wems était capable de deviner ce qui l’attendait : un devoir supplémentaire ou le fouet.
A Horlegh, on pouvait être battu pour un tas de choses, et en particulier pour n’avoir pas écouté en classe. Quand ça vous arrivait, vous deviez aller recevoir trois coups de baguette sur les fesses, devant toute la classe. Les corrections étaient mentionnées dans la partie du règlement que les parents avaient le droit de refuser ou d’accepter pour leurs enfants au début de l'année scolaire, celle qui concernait les châtiments corporels. Le règlement les qualifiait de « légers » (ce qui était un mensonge) et précisait qu’ils seraient administrés par les adultes seulement en dernier recours, sans colère, sur la partie du corps située « entre le bas du dos et le haut des cuisses » et avec les « moyens appropriés ». Aucune allusion n’était faite à l’emploi des baguettes de rotin qui faisaient beaucoup plus mal que les martinets en usage dans les classes primaires des vorskools, ni au fait que les élèves étaient certaines fois déculottés pour recevoir le châtiment corporel quand les adultes décidaient d’y recourir. La tradition du collège était là pour régler ce genre de questions. A Horlegh, la tradition avait une grande importance. Bien plus que beaucoup d’autres choses.
La grand emajorité des parents donnaient leur accord pour le fouet lors de l’inscription. C’était l’usage dans ce collège de punir ainsi les élèves, comme dans la plupart des bons collèges de la confédération. Les professeurs avaient régulièrement recours aux fessées de discipline quand les points-punition, les devoirs supplémentaires, la menace des retenues d’étude ou de privation de sortie ne suffisaient plus. A Horlegh, presque chaque jour des élèves étaient fouettés en classe pour des devoirs non rendus, des leçons non apprises ou tout simplement pour mauvaise conduite.
Certains professeurs usaient de méthodes expéditives : ils punissaient au premier prétexte quelques garçons en début de semaine –souvent les mêmes, ceux qu’ils considéraient comme les meneurs, pour faire des exemples et obtenir attention et travail jusqu’au vendredi. Il fallait toujours prendre garde au risque accru le lundi et le mardi, les deux jours où les profs avaient la punition plus facile. C’était injuste mais le système fonctionnait efficacement la plupart du temps : après une séance de rotin sur une victime, un profond silence régnait dans la classe et il se prolongeait pendant les cours suivants. Lorsque ses effets commençaient à se dissiper, un des professeurs suivants corrigeait encore un coupable. On aurait pu croire que les adultes s’étaient entendus pour se passer le relais de classe en classe. Sans parler de Saartz.
Personne n’aimait être appelé sur l’estrade pour y recevoir le fouet. Wems y était convoqué régulièrement, en particulier le lundi matin quand il se faisait prendre à ne pas suivre en classe. Il avait l’habitude des corrections de discipline. Elles faisaient partie des dangers du collège.

Tistou 26/07/2005 @ 00:25:20
C'est bien écrit Ergans, on retrouve la veine des premiers extraits ... que j'avais été le seul à critiquer. Ca me parait tout de même dommage. Je pense que ton en-tête, tu aurais dû le mettre à la fin. C'est lui qui refroidit, je pense.
Au niveau paysage, tu dis situer ton pays imaginaire vers le Nord ou tout au moins, les consonnances des noms propres 'évoque le nord, et moi ça m'évoque irrésistiblement des paysages plus méditerranéens tels le littoral croate et même, et alors là carrément la Macédoine et le lac d'Ohrid. Les pins, l'ambiance générale, ... curieux non ?

Ergans 28/07/2005 @ 00:24:04
C'est vrai, la confédération a un climat ,dans sa partie sud, qui fait penser au climat méditerranéen. Mais on retrouve ce type 5ou des types similaires) de climat dans d'autres régions du monde.
Les noms proviennent simplement de l'origine du peuplement européen.

Il est vrai que le message d'accueil est "neutre", mais j'écris ainsi, je n'y peux rien.

Merci en tous cas de cette appréciation, et je dois dire que les "Récits" vont être écrits et diffusés encore une trentaine d'année : ils ont le temps d'être connus... :)

Ergans 28/07/2005 @ 10:03:57
d'années (rectif faute !).

J'ai compris votre suggestion, et j'ai rectifié le message d'accueil des "Récits" sur mon espace personnel.

Mentor 28/07/2005 @ 10:07:29
Bonjour
c'est pas le pb que ton intro soit "neutre", c'est qu'elle dissuade peut-être certains d'aller plus loin, non seulement parce que c'est bcp trop long, mais surtout que ça fait trop auto-promotion, et ça je crois que c'est pas trop apprécié ici...
Cela dit, vais lire ton texte.

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