Nothingman

avatar 23/06/2005 @ 18:10:44
Elle était assise sur le vieux banc de sa terrasse. Elle aimait s'y asseoir et contempler les évolutions de la nature, se ressourcer. L'hiver venait de livrer ses premiers assauts. Les arbres avaient perdu leurs feuilles. Ils semblaient nus, particulièrement faibles, exposés à toutes les attaques. Leurs branches s'étaient recouvertes d'une fine pellicule de givre Les premières stalactites avaient fait leur apparition sur le toit de la petite cabane où elle entreposait ses outils de jardinage. Elle aimait regarder ces cônes de glace, avec leurs formes et leurs tailles différentes, progresser lentement, goutte à goutte, comme si leur but ultime étaient de toucher terre et s'y briser. Elle aimait cette hibernation de la nature, ce climat reposant. Dans cette atmosphère enveloppante, ouatée, les rêves venaient souvent la cueillir.

                                   * * * *

"C'était un 15 août, dans une petite ville aux frontières de l'Ardenne. Elle reposait dans sa cuvette, ceinte de ses remparts, dernières reliques arrachées aux temps anciens. C'était jour de fête dans les rues et les venelles. Il faisait chaud déjà! La météo s'annonçait caniculaire. Le soleil, à son zénith, s'écrasait lourdement sur les toits et sur les têtes. Des amis l'avaient invitée. Evidemment pas question de refuser ce traditionnel appel à la fête ! Le 15 août, dans cette petite cité, était réputé pour son marché 1900. Les habitants sortaient tous dans les rues, étrennant des habits "début de siècle", héritage de quelque arrière grand-parent. Il régnait partout une atmosphère bon enfant. Comme chaque année, elle n'avait pas eu besoin de se laisser convaincre.
Les amis s'étaient donnés rendez-vous le midi autour du barbecue traditionnel organisé par Remy, un ami résidant au centre ville. Même si les chemins progressivement s'étaient séparés, jamais ils ne dérogeaient à la règle, désormais devenue sacrée, de se retrouver chaque 15 août. Leurs retrouvailles valaient toujours quelques bonnes anecdotes, que l'on n'hésitait jamais à ressortir et à enjoliver lors de rencontres ultérieures. C'était pour elle l'occasion de revoir Nicolas, accompagné aujourd'hui de sa toute fraîche fiancée qu'il présentait avec fierté aux membres de son ancienne "bande"; Eric aussi, arrivé la veille et qui devait repartir tôt le lendemain pour le Canada, sa nouvelle terre d'adoption; Florence qui venait de terminer ses études,…. De nouvelles têtes aussi ! Dont celle d'un jeune homme qui restait discret au fond du jardin, sirotant tranquillement son apéritif et observant de loin ces retrouvailles agitées. Il ne semblait pas connaître grand monde. Elle ne savait pas pourquoi, mais il l'attirait. Son visage harmonieux. Ses traits légèrement anguleux. Il était grand, les cheveux châtains. Son regard semblait respirer l'innocence. Cette gaucherie, évidemment normale quand on arrive dans un groupe pré constitué, lui donnait un supplément de charme L'aborder, mieux le connaître était maintenant devenu son seul but. Par chance, Remy avait eu la bonne idée de l'installer en face d'elle pour le repas. Il lui fallait maintenant briser la glace. Absolument.
   - Bonjour, dit-elle, il me semble que l'on ne se connaît pas encore?.
   - Moi, c'est Rodolphe. C'est un peu normal, je ne viens pas d'ici. En fait, j'habite Bruxelles, je suis le colocataire de Jérôme qui m'a invité. Vous semblez tous si bien vous connaître…
   - Oui mais t'en fais pas! Tu t'y feras, ils sont très sympas
   - Je n'en doute pas une seconde
Le barbecue se déroula dans une ambiance conviviale, festive. Fidèle à sa réputation, Remy avait mis les petits plats dans les grands pour que l'ambiance soit au beau fixe. Bouteilles de bière à la main, les garçons conversaient joyeusement, pensaient déjà à leurs futures conquêtes de l'après-midi. Elle, elle était bien loin de tout ça. Plongée dans le regard intense de Rodolphe, elle buvait littéralement ses paroles. Remy brisa le charme en prenant soudain la parole : "Il serait peut-être temps de se mettre en route. La fête doit battre son plein en ville."
La ville était effectivement noire de monde. Les jeunes avaient investi les terrasses et se désaltéraient bruyamment. La bande de copains en fit d'ailleurs de même. Tournée après tournée, l'ambiance montait crescendo et les têtes commençaient à chauffer. Pour Rodolphe, visiblement, la coupe était pleine.
   - Ils sont toujours comme ça, tes amis ? On ne peut plus les arrêter...
   - Oui et tu n'as encore rien vu….
   - Je n'en peux plus! A ce rythme-là, je ne verrai pas le soleil se coucher. On pourrait faire un tour du marché ensemble, si ça te dit ? En plus, tu pourras me faire découvrir la ville.
    - Oui, excellente idée.
Ils déambulèrent dans les différentes ruelles. Les brocanteurs étalaient et vantaient avec gouaille leurs fonds de grenier. Les peintres prenaient les passantes pour modèles et les vieilles dentellières locales faisaient admirer sur le pas de leur porte des trésors d'infinie patience. Plus loin, un vieux conteur prenait les enfants en otage avec ses histoires captivantes tandis qu'un vieux limonaire faisait résonner sa musique séculaire. Le 15 août déployait une nouvelle fois tous ses charmes. Soudain, elle sentit le contact fugace de la main de Rodolphe contre la sienne. Les mains qui se frôlent, les doigts qui s'enlacent, les regards qui s'échangent. Il n'en fallait pas plus. Elle était bien….
La nuit commençait à faire son apparition, amenant dans son sillage une fraîcheur providentielle. Ils étaient assis sur un banc à l'écart de la grand place, serrés l'un contre l'autre. Sur la place, les couples se formaient et dansaient sur des rythmes populaires. Des airs d'autrefois pour des émotions éternelles. Rodolphe profita de cet instant, hors du temps, pour l'embrasser….
Cette histoire simple, que beaucoup jugeront banale, voire niaise, n'avait duré que le temps d'un après midi, le temps d'un songe. Il était parti deux semaines plus tard apporter son aide à un chantier humanitaire en Amérique du sud. Elle ne l'avait plus jamais revu. Il n'était plus jamais revenu au rendez-vous du 15 août".

                                  * * * *

Elle eut soudain un léger sursaut qui l'extirpa de cette réminiscence du passé. C'était un flocon qui venait de se déposer sur son visage. L'hiver venait reprendre ses droits.

Bluewitch
avatar 23/06/2005 @ 20:35:57
J'ai trouvé le texte un peu trop conventionnel, narratif, le tout manque un peu de force, de bousculade. Le dialogue entre Rodolphe et la fille est plutôt gentillet, convenu, je sais pas je n'ai pas trop accroché. Pas l'impression d'avoir ressenti grand chose, en fait. Ca manque de sel.
Mais l'écriture se tient et je crois que c'est une question de "sensibilité".

Spirit
avatar 23/06/2005 @ 20:56:14
Ben moi j'aime bien...........plein d'images,c'est vrai que ce n'est pas Star Wars mais ce n'est pas le but non plus,simplement des images du passé qui reviennent parfois et ou l'on a plus le souvenir des émotions que des faits précis. Une bouffée de sentiments comme il en vient parfois quand on y prend pas garde et que le coeur s'égarre.J'aime.

Loupbleu 23/06/2005 @ 21:39:23
Le sujet n'est pas très original, mais je trouve le texte vraiment très bien écrit. Très joli style, j'ai beaucoup apprécié la richesse de la langue, les descriptions, précises, vivantes.

La richesse des images est telle comparée à la simplicité de l'histoire qu'il se crée comme une nostalgie de l'été peut-être de la saison, de la fête, mais moins de ce Rodolphe ni du sentiment en lui-même. La perspective est intéressante et c'est peut-être possible de la souligner davantage ?

En tout cas très bon texte, et je souligne encore la qualité d'écriture que j'ai beaucoup apprécié.

Mentor 23/06/2005 @ 22:28:43
J'aime beaucoup. Cette histoire toute simple, courte mais intense. Ce Rodolphe venu d'ailleurs et parti ailleurs. Rencontré et aimé l'espace de quelques heures. C'est très bien rendu. Ainsi que l'ambiance, la fête, ça bouge, c'est vivant. Très joli texte, bien agréable à lire.
Ca pourrait être le début de quelque chose de plus long si tu ne disais pas qu'elle ne le reverrait jamais... D'ailleurs c'est peut-être ça qu'il aurait fallu faire: laisser le doute sur une suite possible? Mais c'est beau comme ça Nothingman

Lyra will 23/06/2005 @ 23:14:36
Oui, j'ai bien aimé également.
Niais tu me disais ? non, non, je ne trouve pas, simple, mais très agréable à lire.
Très bien écrit par ailleurs, on est vite entrainé par le souvenir, et on a aussi très envie d'aller à cette fête du 15 août.
(pour la fête en elle-même hein, pas forcèment pour le bel inconnu, parce qu'après, on va encore dire... ;0))

Quelque chose que j'ai beaucoup aimé aussi, c'est le début et la fin, avec les pics de glace, et le flocon qui ramène à la réalité, c'était très joli ça !

Sahkti
avatar 23/06/2005 @ 23:17:41
c'est vrai que ce n'est pas Star Wars
Heureusement Spirit! T'as vu les scènes d'amour dans les deux derniers films? A mourir de ridicule! Un fond de décor qui représente une lagune et un palais vénitien plus kitsch que tout et deux benêts qui s'embrassent maladroitement... Non merci! :))

Sahkti
avatar 23/06/2005 @ 23:20:36
J'ai trouvé ton texte touchant et plein de force Nothingman.
Le scénario est peut-être classique mais tu le traites avec talent, on ressent cette ambiance de repas entre amis et de fête au village, les amoureux qui veulent échapper aux fêtards trop bruyants, l'émotion du premier tressaillement... Je trouve que tout cela est très bien rendu. Le style narratif que tu adoptes me semble également se marier comme il se doit avec le sujet. Tu racontes une histoire, il s'agit d'un souvenir, cela se tient bien. Et moi aussi j'aime beaucoup cette boucle hiver au début et rappel hivernal à la fin, subtil et élégant.

Tistou 24/06/2005 @ 10:10:35
Je ne sais pas pourquoi Nothingman, ou alors est-ce "elle était assise sur le vieux banc ..." Je me suis figuré dès le début qu'il s'agissait d'une vieille femme ! Et pourtant, après relecture, rien n'indique une telle chose !
Niaise ! Non cette histoire n'est pas niaise. Bien superficiels ceux qui pourraient penser ainsi. C'est une histoire traitée par petites touches impressionnistes, avec des bouts de sentiments, qui ne font pas forcément une histoire d'amour, mais une histoire comme on en aurait certainement tous dans notre vécu.
Un peu de mal avec le contraste début/fin hiver/"quart de cycle" (comme l'ellipse Blue). Ca tombe, à mon sens, un peu comme un cheveu sur la soupe, mais j'imagine que pour respecter la contrainte "pas en été", et en cela tu n'étais pas obligé puisque tu as écrit au féminin.
Moi, c'est une tranche de vie qui m'a parlé au final.

Zou 24/06/2005 @ 11:04:50
Récit contrasté. Lu d'une traite...mais où veut-il en venir. Et on se laisse conduire. L'impression d'y être dans ces ruelles en fête et d'être un peu voyeur du premier baiser...mais qu'on attendait impatiemment. En résumé, beau souvenir d'un été fugace dans un écrin d'hiver !

Charles 24/06/2005 @ 13:49:00
Rien ne cloche dans l'écriture, l'histoire se déroule tranquillement mais je n'ai pas trop accroché.

Cette histoire simple, que beaucoup jugeront banale, voire niaise,


Niais, je ne trouve pas. par contre, j'ai effectivement un peu l'impression que c'est un peu banale ou plutôt qu'il faudrait que soit l'histoire, soit la forme du récit ou le style , bref que quelque chose amène un petit plus d'originalité ....

Kicilou 24/06/2005 @ 14:30:10
J'aime bien, particulièrement sensible à l'ambiance de cette fête de village. C'est bien rendu, facile de s'y plonger. L'histoire est jolie et non : pas niaise : une amourette d'une journée, sans sanglot, sans tristesse exagérée, juste le plaisir d'un bon souvenir.
Bon, une ou deux lourdeurs, je trouve dans certaines réflexions de la fille mais presque rien.
Ton texte respire l'été, les vacances et l'ambiance particulière qui s'y rattache. C'est très réussi.

Saint Jean-Baptiste 24/06/2005 @ 23:57:51
Bravo Nothingman ! C'est une histoire archi banale mais remarquablement bien racontée, sans guimauve, sans les larmoiements d'usage, sans les excès de cucucheries habituels dans ce genre de récit !
Il y a quand même quelques tournures pas très heureuses que tu aurais pu éviter facilement :
- Elle n'avait pas eu besoin de .. ..
- Maintenant devenu son seul but .. ..
- Je ne viens pas d'ici.. ..
(C'est pour dire que j'ai trouvé quelque chose, comme font les sales petits profs! :o)) !)
Je me suis demandé quelle était cette ville idyllique avec ses vieilles dentellières locales ; tu es sûr que c'est en Ardennes ? :o))

Nothingman

avatar 25/06/2005 @ 00:23:07
A la limite des Ardennes, Saint Jean Baptiste !! Cette ville mystérieuse est la mienne! Et chaque 15 août s'y déroule la manifestation dont il est question...

Bolcho
avatar 26/06/2005 @ 15:00:14
Le non-procédé élevé au rang de technique de récit. On peut difficilement faire aussi banal, aussi platement réaliste et aussi… émouvant. C’est très bien vu, cette non surprise finale qui donne à l’ensemble sa grandeur quotidienne, sa dimension quasi universelle tant elle éveille en chacun de nous le souvenir d’événements proches. Une vraie classe je trouve. Une impression de vécu (Nothingman ne se serait-il pas contenté d’inverser les rôles et la donzelle n’est-elle pas en Amérique du sud ?) mais je suis indiscret. Je n’ai qu’un reproche à formuler, c’est ce passage : « que beaucoup jugeront banale, voire niaise ». C’est nous faire bien peu confiance, non ?

Sibylline 26/06/2005 @ 22:04:39
L'histoire est pas mal, mais il y a quelque chose de bizarre dans le style qui parvient à être à la fois tout à fait convenable, voire par moment élégant, et tout à fait convenu, voire par moment conventionnel. Je me demande comment tu arrives à faire cela. Résultat, je ne peux pas te dire ce que je pense de ton texte, parce que je n'en sais rien. Si je devais te donner un conseil, je te dirais,: écris comme ça quand tu travailles, s'il le faut, mais pas quand c'est pour toi. Tu ne te rends pas service. Ceci dit, tes possibilités sont indéniables.

Saint Jean-Baptiste 26/06/2005 @ 23:16:49
J'ai relu ce texte et je trouve aussi qu'il intrigue par sa simplicité et son naturel. Surtout dans les dialogues.
Finalement, c'est du grand art, peut-être parce qu'il n'y a pas d'artifice.
A tel point, que ça paraît du vécu ! (J'ai eu la même impression que Bolcho !)
Alors, dis nous, Notinhgman, ce Rodolphe c'était qui ?
Bouhhhh !! C'est pour rire ! Dis-moi que ça ne me regarde pas, hein ! :o)))

FéeClo
avatar 27/06/2005 @ 10:56:12
Un style un peu trop descriptif.. enfin non c'est pas vraiment le mot. journalistique peut-être?

D'un côté ça rend le texte très simple. Permettant ainsi d'éviter le côté mélo d'une histoire d'amour.

D'un autre côté ça le rend parfois trop abrupte (ça se dit pour un texte?). Par exemple quand elle doit briser la glace pour lui parler, ça semble tellement direct!!

Mais ça reste une belle histoire, une comme on s'en rappelle un jour d'hiver cafardeux.

Krystelle 28/06/2005 @ 11:04:37
En lisant je me suis demandée où tu voulais en venir et puis j'ai oublié et j'ai apprécié...
Ce texte ne va nul part, son thème n'est pas original, il n'y a pas de surprise... c'est juste une histoire qui n'a pas d'autre prétention que d'être une histoire; et ce n'est pas parce qu'elle est banale qu'elle n'est pas belle.
J'ai aimé, je ne saurais pas trop dire pourquoi mais j'ai aimé.

Kinbote
avatar 29/06/2005 @ 11:13:27
Une histoire simple et unique, de celles dont on se rappelle toujours, intemporelle comme la festivité du 15 août sur fond de laquelle elle se déroule. Un clin d'oeil au temps qui file. J'ai bien aimé.

Page 1 de 2 Suivante Fin
 
Vous devez être connecté pour poster des messages : S'identifier ou Devenir membre

Vous devez être membre pour poster des messages Devenir membre ou S'identifier