Saint Sibybapt 30/05/2005 @ 18:09:58
Connaissez-vous déjà l’épopée hugolienne ?
Sinon elle vous sera présentée ci-dessous
Le rythme est si aisé, pour un peu qu’on le tienne,
Que vous serez bercés et vous joindrez à nous…
Samedi


I
APRES LES VACANCES




Mon père ce héros d'un genre un peu spécial
Avec sa douce et tendre une ex beauté fatale
Une femme soumise et de grande patience
Revenait en auto de trop brèves vacances
Par la route encombrée d'une foule d'engins.

Il aperçut un homme agitant une main
Un genre auto-stoppeur comme il y en a trop
Il avait une mine à fair’ pleurer Margot.
Maman dit tout à trac: « tu devrais t'arrêter »
Mon père ému fit halte et l'homme de monter.

Mais à peine installé le gars se mit à geindre
"Ma bouteille elle est vide et je suis bien à plaindre
Je l'avais dérobé à l'automobiliste
Qui m'avait pris en charge, ah ! crétin de touriste !"
Mon père ému tendit à sa femme candide
Une gourde d'eau claire attachée par la bride.

Maman dit : "L’alcool, en excès, c'est pas bon
Vous devez consommer avec modération"
Mais l'homme était bourré, il la saisit au cou
Et serra tant qu'il pût en la rouant de coups
Puis il prit son couteau, se tourna vers papa
Et lui troua la peau en criant "mort aux rats".

Adieu la douce France adieu les jours de fêtes
Notre auto culbuta le cul par dessus tête
Ma mère agonisait mon père était mourant
Il me dit d'approcher tant qu'il était vivant
Le bandit était mort et déjà en enfer
Donne lui tout de même à boire dit mon père.


II
Au cinéma Vox




O combien de matins et combien de semaines,
Je pris pour me guérir de ces pertes soudaines.
Dans la morne banlieue où je fus orphelin,
Placé là par la DASS, au retour des vacances,
Je pleurais à l'école et ne pris pas d'avance
A suivre des études qui ne rimaient à rien.
Mes parents étaient morts en la fleur de leur âge
Le livre de leurs vies avait tourné ses pages.
J'aurais pu les venger si cet auto-stoppeur
Avait su leur survivre et respirait encore,
Mais son cour s'était tu en même temps que les leurs
Ce que je haïssais n'avait donc plus de corps.


Je me mis à chercher dans les salles obscures
L'oubli et le repos que la fiction procure
J'allais au cinéma plus souvent qu'à l'école
Enchaînant les images et les cris et les rêves
Les récits se suivaient, ne laissant pas de trêve
Par laquelle le chagrin glissa son protocole.


Pour ce qui est du bac, bien sûr, je le ratai
Car sur Charly Chaplin, y avait pas de sujet.
Mais se trouvait alors sur les écrans télé
Dessus le cinéma, une drôle d'émission
On y lisait des fiches, on posait des questions
Dates, acteurs, producteurs, tout était demandé.


Cette émission devint bientôt ma préférée
Pour trouver les réponses, j'étais vraiment calé.
Dès que mon bac devint vraiment hors de portée,
Dans ce grand jeu concours touchant le cinéma,
Je tentai la fortune et me fis candidat.
Et remportai la coupe et le prix en beauté.



Argent que j'investis aussitôt dans cet art
Qu'on appelle septième et qui, pour moi, est phare.
Grâce à cette émission je m'étais fait un nom
Qui me permit d'atteindre au milieu des acteurs
Et de toucher aussi leur esprit et leur coeur.
Quand je les embauchai, ils ne dirent pas non.


C'est ainsi que sortit mon premier long métrage.
On vanta à la fois, mon talent et mon âge.
Je connus le succès, ne le dédaignai point.
Entamant de ce jour une longue carrière
Une série de films et de rentrées bancaires.
Le gamin malheureux était vraiment bien loin.


Sans avoir fait l'école je connaissais la gloire
A Cannes, Palmes à la main, je vécus un grand soir
Le soir même, je rentrais en voiture à Paris
Je conduisais moi-même avec femme et enfant
Je vis l'auto-stoppeur de très loin, droit devant,
Un peu trop près du bord et je fis un écart.
Vers la pile d'un pont, là même où j'aboutis.
Adieu la douce France adieu les jours de fêtes
Je les vis approcher, tant que j’étais vivant
Je savais qu’une plaie trouait ma pauvre tête,
« Donne- lui tout de même à boire, dit quelqu’un

APRES LA BATAILLE

Mon père, ce héros au sourire si doux,
Suivi d'un seul housard qu'il aimait entre tous
Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille,
Parcourait à cheval, le soir d'une bataille,
Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit.
Il lui sembla dans l'ombre entendre un faible bruit.
C'était un Espagnol de l'armée en déroute
Qui se traînait sanglant sur le bord de la route,
Râlant, brisé, livide, et mort plus qu'à moitié.
Et qui disait: " A boire! à boire par pitié ! "
Mon père, ému, tendit à son housard fidèle
Une gourde de rhum qui pendait à sa selle,
Et dit: "Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé. "
Tout à coup, au moment où le housard baissé
Se penchait vers lui, l'homme, une espèce de maure,
Saisit un pistolet qu'il étreignait encore,
Et vise au front mon père en criant: "Caramba! "
Le coup passa si près que le chapeau tomba
Et que le cheval fit un écart en arrière.
" Donne-lui tout de même à boire ", dit mon père.


Oceano Nox

O combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines
Dans ce morne horizon se sont évanouis!
Combien ont disparus, dure et triste fortune!
Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
Dans l'aveugle océan à jamais enfouis!
Combien de patrons morts avec leurs équipages!
L'ouragan de leur vie a pris toutes les pages
Et d'un souffle il a tout dispersé sur les flots!
Nul ne saura leur fin dans l'abîme plongée.
Chaque vague en passant d'un butin s'est chargée;
L'une a saisi l'esquif, l'autre les matelots!
Nul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues!
Vous roulez à travers les sombres étendues,
heurtant de vos fronts morts des écueils inconnus.
Oh! Que de vieux parents qui n'avaient plus qu'un rêve,
Sont morts en attendant tous les jours sur la grêve,
Ce qui ne sont pas revenus!
On s'entretient de vous parfois dans les veillées.
Maint joyeux cercle, assis sur des ancres rouillées,
Mêle encor quelques temps vos noms d'ombre couverts
Aux rires, aux refrains, aux récits d'aventures,
Aux baisers qu'on dérobe à vos belles futures,
Tandis que vous dormez dans les goémons verts!
(Etc .) Hugo, Victor, homme de lettres


Je n’ai pas mis l’intégralité, je sais que cela va vous manquer, mais j’ai pensé que vous n’auriez aucun mal à la retrouver sur le net.
;-)))

Mentor 30/05/2005 @ 19:55:06
Parodie et "à la manière de". Pas mal du tout. Bon moi, les vers, euh... je fatigue vite, navré.
Mais j'admire le boulot, respect total.
Et puis avec le vocabulaire d'aujourd'hui jedois dire que ça passe mieux que Hugo et son "housard". Je suis fainéant question dico...
Bref bref bref, pas ma tasse de thé mais bravo pour l'effort. A moins que ça ne vous ait même pas demandé d'effort en fait, qui sait?!...

Loupbleu 30/05/2005 @ 21:24:33
Voici un saint iconoclaste qui s'attaque au grand Hugo :-)

Une histoire finalement cruelle mais pleine d'humour parodique ! Il y a plein de détails décalés et amusants - d'un humour assez noir parfois. Et réussir une histoire comme ça tout en vers, c'est un tour de force !

Je n'insiste pas sur votre sens expert de l'alexandrin (qu'on boit comme des alcooliques) ! Cette épopée hugolienne moderne est quand même un tour de force.

Seule chose : est-ce qu'on doit "vous donnez tout de même (ou encore ?) à boire" ? Parce qu'avec votre talent de versificateurs talentueux et délirants, vous faîtes déjà fort :-)

Merci pour ce très bon moment passé à vous lire !

Sahkti
avatar 30/05/2005 @ 22:05:35
Ha ha! Nos deux poètes réunis, ça ne pouvait que donner un truc rondement mené, envolé et de qualité. La rigueur de Sib et la légèreté de SJB, voilà un beau mariage qui m'a bien fait rigoler! Hugo revisité en toute beauté, comme quoi le grand Victor ne prend pas une ride, quoi qu'en disent ses vils détracteurs! Bravo!

Lucien
avatar 30/05/2005 @ 22:36:46
Excellent, grand Saint! "Ce grand niais d'alexandrin", comme dirait Victor, a encore de beaux jours devant lui! Bravo pour le double pastiche!

Tistou 31/05/2005 @ 00:31:03
Effectivement cette association de deux rimeurs de fond et d'affront ne pouvait pas moins faire ! Et c'est Hugo qu'ils ont choisi !
Et ça passe bien, ça le fait.
Je suis toujours admiratif de la facilité avec laquelle ces deux là cisèlent le samedi soir, chacun de leur côté, des vers comme moi j'enfile les kilomètres. Alors à deux ! Trop facile !

Killgrieg 31/05/2005 @ 10:48:03
Si la poesie n'est pas ma tasse de thé
Je me dois de vous dire que séduit j'ai été
Et que ce beau duo de poetes unis
Si je n'l'avais pas lu, aurait été puni

Krystelle 31/05/2005 @ 14:34:01
Bravo pour cet exercice tout en alexandrin. Le contraste entre la forme poètique et un contenu très "terre à terre" m'a un peu surprise, mais pourquoi pas! C'est sympa d'avoir cité l'orginal, d'une part parce que ça ne fait pas de mal de relire Victor Hugo et d'autre part parce que ça permet d'apprécier mieux encore votre travail.

Sibylline 31/05/2005 @ 18:47:45
Pour Mentor: Tu ne trouveras peut-être pas le haousard dans tous les dictionnaires, alors, je t'éclaire. On dit maintenant, "hussard"
Et je ne commenterai pas les relations entre mon père et son hussard préféré.

Sibylline 31/05/2005 @ 18:48:33
housard et non haousard. Ca devient du chinois, là.

Mentor 31/05/2005 @ 18:53:56
"Le housard sur le toit"... Ca l'fait pas.
Le haousard fait bien les choses... non plus; Bof
Merci Sib!

Bluewitch
avatar 01/06/2005 @ 17:35:56
C'est de l'artisanat, de la broderie fine, un enfilage de mots qui chantent sans jamais faire de fausse note. On n'aurait pu rêver une meilleure association pour un texte du genre et encore moins pour épingler Hugo!
Sourires

Sibylline 01/06/2005 @ 19:02:37
Si la poesie n'est pas ma tasse de thé
Je me dois de vous dire que séduit j'ai été
Et que ce beau duo de poetes unis
Si je n'l'avais pas lu, aurait été puni

Je l'avais bien dit!!:
"Le rythme est si aisé, pour un peu qu’on le tienne,
Que vous serez bercés et vous joindrez à nous…
Samedi"

Grieg, on compte sur toi sans faute samedi.
;-)))

Nothingman

avatar 01/06/2005 @ 21:16:40
Et bien deux des plus illustres poètes de notre site réunis, ca ne pouvait faire que des étincelles. Les alexandrins se succèdent, parfaits, pour nous dévoiler cette histoire douce amère d'un orphelin sauvé "par cet art que l'on dit septième". Bravo vous deux....

Fee carabine 08/06/2005 @ 01:30:34
Les deux plus éminents powètes du samedi voguant de conserve, cela ne pouvait que nous emporter sur les ailes de la powésie. Je me suis vraiment régalée à vous lire, superbe parodie du Grand Victor menée avec beaucoup d'humour et de finesse, tout en nous contant une histoire émouvante... et en tenant ce "rythme si aisé pour un peu qu'on le tienne", si bien que nous sommes bercés par vos mots :-).

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