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Forums  :  Vos écrits  :  Le sourire de Florie

Nothingman

avatar 28/05/2005 @ 22:45:04
En journalisme, il est des reportages qui marquent, qui touchent, qui font réfléchir. J'aimerais vous proposer ici l'un de ces moments vécus dans une école pour jeunes aveugles et qui restera ancré en moi toute ma vie.

                Le sourire de Florie


Je rentre dans cette classe. Une classe comme toutes les autres : des bancs, des encyclopédies, des jeux de société, des ordinateurs... Je ne me sens pas très bien. Impression d'être l'intrus, de perturber le quotidien de ces neuf enfants qui ne peuvent pas me voir. Je sens qu'ils essaient de se raccrocher à des sons, à d'imperceptibles mouvements,… Tout ce qui pourrait leur faire deviner qui je suis, les aider à m’apprivoiser. Je n'ai pas envie qu'ils pensent que je ne suis qu'un vulgaire voyeur, venu mettre des mots sur leur souffrance. Après quelques présentations, l'institutrice me propose de m'asseoir à côté d'une petite fille de neuf ans, Florie. Elle est un peu la mascotte de la classe. Aveugle et paralysée des deux jambes depuis deux ans, elle a appris le braille en un temps record et peut maintenant suivre les cours au même rythme que ses camarades. Son institutrice lui demande de m'expliquer son quotidien. Comment fait-on pour apprendre quand la nuit envahit tout? Comment lit-on? Comment calcule-t-on? ….

Elle saisit une feuille et m'explique les bases du langage braille. Une succession de points minuscules, véritables liens avec le monde, qui leur donnent accès à la connaissance. Je ferme les yeux. Lentement, je balaie la page du bout de mes doigts gourds. Je peux les sentir, tous ces petits points. L'écart est infime entre eux. Je me trompe. En fait, c'est bien simple! Je n'arrête pas de me tromper. Et ce noir qui m'enveloppe, me pénètre… Un mélange d'admiration et d'incompréhension m'envahit. Intérieurement, je me dis : "Mais comment font-ils ?".

"Allez, fais un petit effort, c'est pourtant simple !" me lance soudain Florie que mes tentatives infructueuses font sourire… Et ce rire me réchauffe. Redonne de la couleur à la nuit dans laquelle je me trouve plongé. Un véritable soleil. On sent une force jaillir de cette petite fille, tranquille et à la fois puissante. Une énergie, une envie irrépressible de croquer cette vie, qui ne lui a pas fait de cadeaux. Moi qui croyais rencontrer des enfants que le handicap aurait rendus aigris…. Tout ici n'est que bonheur simple, sourires, complicités. Les petits soucis du quotidien – et il y en a bien entendu - sont vite oubliés. On a soif ici!… Soif de vivre, soif d'apprendre,…. Ces enfants, finalement, sont comme nous. Ils sont peut-être même plus forts que nous. Leur rencontre aide en tous cas à relativiser nos problèmes futiles et bassement matériels.

"Driiiiiiing". La sonnerie libératrice retentit. Les enfants s'en vont, tâtonnant, cherchant leur chemin au milieu de leur nuit permanente. Reste de cette trop petite heure passée en leur compagnie des souvenirs, des sourires. Dont celui, indélébile, d'une petite fille au caractère bien trempé. Le sourire de Florie.

Kilis 28/05/2005 @ 23:13:14
Très joli moment que tu nous fais partager là, Nothigman. Très simplement raconté mais qui fait mouche.

Spirit
avatar 29/05/2005 @ 14:22:26
Très touchant témoignage,allez a la rencontre des autres est toujours bon pour eux et pour soi.Merci de nous montrer ce chemin que parfois l'on peut pour un temps négliger.

Sahkti
avatar 29/05/2005 @ 15:07:54
Un très beau moment écrit avec le coeur, on sent que ça t'a marqué et tu le racontes avec pudeur et douceur.
Et cette question "Comment font-ils?". Oui, c'est impressionnant ce qu'ils font!

Saint Jean-Baptiste 29/05/2005 @ 21:02:24
Tout y est ! Tout est dit simplement, sans pathos et juste ce qu'il faut d'émotion vraie pour faire vibrer le lecteur.
Il m'arrive rarement de lire dans mon journal des textes d'une telle qualité !

Lucien
avatar 29/05/2005 @ 23:02:15
Oui, un beau témoignage, Nothingman. Le "journalisme", ici, sous des dehors dépouillés et un style purement référentiel, dévoile un réel moment d'émotion, d'humanité. Oui, ce texte parle, quand certains ne disent rien sous une forme qui se veut "poétique", en tout cas versifiée. Tu écris : "Ces enfants, finalement, sont comme nous. Ils sont peut-être même plus forts que nous." Plus forts que nous, oui, comme si la perte d'éléments physiques entraînait le gain d'un "tout petit supplément d'âme" qui rend ces enfants un peu plus proches de ce que nous voudrions voir devenir l'humain...

Fee carabine 30/05/2005 @ 01:47:08
Non, on ne voit pas souvent dans les journaux des textes de cette qualité. L'attention et le respect que tu portes à ces enfants sont palpables dans ton texte. L'émotion aussi, sans pathos inutile. C'est très juste. Merci, Nothingman.

FéeClo
avatar 30/05/2005 @ 09:01:59
Qu'il est difficile d'exprimer ce que l'on ressent face à des aveugles.... "comment font-ils" reste LA question.

Je cotoye des mal voyants depuis quelques années et je suis toujours sidérrée par leur capacité à vivre sans ce sens qui est, pour moi, si important!

Nothingman m'a partagé l'expérience décrite dans son texte et ça m'a donné envie de vous inviter à prêter votre voix: http://critiqueslibres.com/i.php/forum/…

Mentor 30/05/2005 @ 09:39:58
Très touchant Nothingman. Je n'ai jamais cotoyé ces enfants handicapés. Etaient-ils tous aveugles de naissance? Ceux qui me touchent le plus sont ceux qui sont DEVENUS aveugles, encore plus que les aveugles de naissance. Car je crois que perdre la vue est bien plus grave que de ne l'avoir jamais eue. Ca doit être un peu pour ça que tu as senti cette joie de vivre malgré tout non?

FéeClo
avatar 30/05/2005 @ 09:44:30
Tant qu'on est dans le sujet, je vous conseille unsuperbe film-documentaire: Voir (sans les yeux) de Marie Manty (http://cfwb.be/av/KIOSK/…).

On y suit la vie de plusieurs malvoyants et un aveugle. Et la réalisatrice tente de nous montrer comment ils voient (avec une tache dans la vision, une vision rétrécie, ...). On se rend compte qu'un malvoyant n'est pas un autre. Ca nous ouvre à une autre manière d'entrer en contact avec le monde....

Nothingman

avatar 30/05/2005 @ 10:26:50
Et bien Mentor, c'était une classe de neuf enfants, présentant des déficiences visuelles variables. Certains étaient aveugles de naissance. D'autres, comme Florie, ont perdu la vue progressivement. D'autres enfants souffraient de problèmes dits de basse vision. Dans cette classe, chacun bénéficiait d'un enseignement apersonnalisé et adapté à son type de handicap. Incroyable cependant de voir leur matériel à leur disposition et le sens de la débrouillardise dont ils font preuve. Leur courage aussi!

Sahkti
avatar 31/05/2005 @ 20:42:41
Dis-moi Nothingman, est-ce que tu publies tes reportages dans un journal qu'on peut lire?

Nothingman

avatar 31/05/2005 @ 21:09:57
Malheureusement, pas encore ! -))
Je termine actuellement mes études de journalisme. Au cours de cette année, nous avons pratiqué presque tous les genres journalistiques, et ce dans tous les médias. En presse écrite, nous avons d'ailleurs réalisé un magazine sur un thème imposé "La route", qui a été encarté dans l'édition Brabant Wallon de Vers L'Avenir la semaine passée. J'y ai notamment interviewé Saule sur son péléribnage de Saint-Jacques de Compostelle. Si tu en veus un exemplaire, fais-moi signe. J'en ai quelques-uns en stock!

Sahkti
avatar 31/05/2005 @ 21:15:32
volontiers nothingman! Je ne sais pas si j'ai ta bonne adresse mail, mais tu peux m'envoyer un courrier sur sahkti@hotmail.com et je t'y réponds en te donnant mon adresse "maison"

Krystelle 01/06/2005 @ 10:33:10
Une histoire touchante, joliment racontée. Merci Nothingman de nous avoir fait partager le sourire de Florie!

Sibylline 06/06/2005 @ 23:19:47
C'est ça aussi la vie. Des moments comme ça. C'est bien de ne pas l'oublier. J'aime beaucoup ce regard humaniste que tu portes sur ce que tu vois, parce que je crois qu'il n'y en a pas d'autre qui puisse enrichir. Une empathie à pratiquer sans modération. Ca n'a rien à voir avec les "bons sentiments". C'est tout autre chose. Merci pour ce texte. ;-))

Loupbleu 07/06/2005 @ 09:57:05
C'est écrit avec beaucoup de pudeur et de justesse, sans pathos, et tu rend une véritable émotion. Je suis d'accord avec ce qui a été dit : j'aime ce regard humaniste et ton texte simplement raconté exprime les choses en profondeur.

Thomasdesmond
avatar 07/06/2005 @ 12:51:04
Touchant, mais on aurait aimé un truc plus développé non ? ça fait un peu compte-rendu...

Sibylline 07/06/2005 @ 12:59:25
Touchant, mais on aurait aimé un truc plus développé non ? ..

Sibylline 07/06/2005 @ 13:00:02
Touchant, mais on aurait aimé un truc plus développé non ? ..

Non. Pour ma part, non.

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