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Thomasdesmond
avatar 16/12/2004 @ 08:47:01
Voici une petite nouvelle basée sur du dialogue, que je n'avais jamais postée ici !!... La voici :

LIEU DE FIN DE VIE


Il salua l'infirmière d'un léger signe de la main et pénétra dans la chambre de son grand-père maternel Jean. La pièce de treize mètres carrés était comme d'habitude plongée dans une semi-obscurité oppressante. Il referma doucement la porte derrière lui pour ne pas faire de bruit.
– Je suis réveillé Freddy, tu peux rentrer, dit le vieil homme d'une voix rugueuse où son petit-fils perçut de l'inquiétude.
Tournant le dos à son petit-fils, il était assis sur son vieux fauteuil à bascule, une couverture en laine à carreaux rouges sur les genoux. Prêt à tomber, un roman de P.J. Wodehouse dépassait de sa tablette de déjeuner et des monceaux de mouchoirs en papier chiffonnés parsemaient son lit en bataille. La pièce sentait le vieux. Le vieux renfermé.
– Je te croyais en pleine sieste dans cette pénombre ! Pourquoi as-tu fermé les volets ? Il fait un temps superbe dehors ! Le soleil tape tu devrais en profiter !
Il s'approcha de son grand-père et lui déposa une bise sur la joue droite en s'appuyant sur son épaule décharnée. Le vieillard tendit la joue et toucha la main de son petit-fils.
– Oh ça ne me dit rien... Assieds-toi. Il lui montra une chaise du doigt. Le soleil me fait mal aux yeux depuis quelque temps. Une infirmière est venue me donner des gouttes, mais je ne leur fais pas confiance à ces tarés.
– Ah tu ne vas pas recommencer avec tes histoires ! dit Freddy en s'asseyant après avoir enlevé d'un revers de la main la pellicule de poussière qui recouvrait le vinyle marron. Ces gens sont là pour toi, pour s'occuper de toi, tu le sais bien, on en a déjà parlé cent fois. On les paye pour ça et ils font très bien leur boulot. Il croisa les jambes.
– Écoute, j'ai encore toute ma tête, alors arrête de me prendre pour un vieux cinglé. Je te le dis et je te le répète : il se passe des choses pas très catholiques dans cet hospice, c'est moi qui te le dis, et j'ai fait mon enquête ! dit Jean tout en en pointant son index en l'air. Ses yeux étaient pleins de défi.
Le vieil homme prit un air sérieux et mit ses lunettes pendues à son cou par un cordon sur son nez.
– Une enquête, rien que ça ! ironisa Freddy, un peu mal à l'aise.
– Héé, se justifia le grand-père, personne ne veut me croire, il faut bien que je trouve des preuves non ?
– Alors qu'as-tu trouvé monsieur l'inspecteur en chef ? dit Freddy en croisant de nouveau les jambes.
– La nuit ils sont plus nombreux.
– Qui ça ils ?
– Les infirmiers pardi ! Des troupeaux entiers qui s'activent dans toutes les chambres des pauvres gars endormis. Une vraie fourmilière !
– Ce sont tout simplement ceux qui sont de garde la nuit. Heureusement qu'ils sont là !
– Oui mais ils sont des dizaines ! Je les ai VUS !
– Tu délires papi, à moins qu'il y ait eu une urgence une nuit, je sais pas. Et puis comment tu sais ça d'abord, tu ne dors pas la nuit ?
– Comment veux-tu que je dorme alors qu'ils sont là à rôder, à aller chercher je ne sais quoi dans les chambres. Je me suis levé cette nuit pour uriner. Tu sais, le trône est au bout du couloir à gauche ?
– Oui je sais.
– Eh bien quand je suis sorti de la chambre, y avait un type que je n'avais jamais vu qui m'est tombé dessus comme si j'avais été en train de tripoter une vieille dans un placard à balais. "Je m'en vais uriner", je lui ai répondu. Il m'a fait des petits yeux, comme une fouine, comme s'il cherchait le mensonge dans mon regard. Un vrai con celui-là !
– Peut-être qu'il s'inquiétait pour toi ?
– Peuh, arrête ton char ! J'ai marché jusqu'à la porte des toilettes en jetant des coups d'œils en arrière. Ils étaient plusieurs à me regarder faire. Des gars et des filles que j'avais jamais vus, c'est pas étrange ça ?
– Je ne sais pas...
– Là je fais le malin mais je peux te dire que j'étais pas rassuré. J'ai même pas réussi à finir mon affaire, tellement j'avais les pétoches. Bah figure-toi qu'en sortant, ils étaient presque tous barrés ! Le jeune gars était toujours là. Il avait meilleure mine, comme s’il avait ri un bon coup, ou tiré son coup, qui sait ? Il est resté là comme une noix, les bras ballants, à rien faire "bonne nuit Monsieur Jean" qu'il me dit comme si on se connaissait depuis la cour d'école. J'ai regardé discrètement un peu partout en retournant à ma chambre et je suis presque certain qu'ils s'étaient tous cachés.
Le vieil homme fut pris d'une quinte de toux sèche qui le fit se courber en deux. Freddy lui tapota le dos.
– Ça va ?
– Oui oui c'est bon c'est passé.
Il avança son fauteuil vers son petit-fils et lui prit la main. Il la serra très fort.
– Freddy, je ne te raconte pas de conneries, crois-moi, il se passe des trucs bizarres la nuit, j'ai peur ! Ils ont tous des airs de vicieux ! La journée c'est grands sourires et bonnes manières, mais la nuit ça ne m'étonnerait pas qu'ils organisent des orgies du diable, à s'enculer entre services ! Il sourit devant sa propre audace et ses joues rougirent un peu. Il reprit son sérieux et se remit à parler. Tu sais, j'ai, enfin, j'avais une copine, Mme Labichot, elle est décédée la semaine dernière alors qu'elle allait très bien. J'ai demandé à l'infirmière en chef ce qui lui était arrivé. Elle m'a répondu que cela ne me regardait pas, tu te rends compte ?
– Peut-être que c'était la volonté de la famille de ne pas en parler.
– Mon cul oui, ils nous cachent quelque chose, j'en suis sûr ! s'emporta le vieillard.
– Ce n'est pas la peine de t'énerver...
– Si c'est la peine, tu ne te rends pas compte de ce qui se passe ici ! Tu viens me voir vingt minutes une fois par mois, puis tu repars chez toi, dehors, dans le monde des vivants, ici tout le monde attend la mort. Moi, je vis ici, et si je te dis qu'il se trame une sale affaire, tu dois me croire.
Il serra plus fort la main de son petit-fils.
– Tu me crois fiston ?
Freddy soupira.
– Oui je te crois, mais je pense que les apparences sont trompeuses et que tout cela pourrait être expliqué rationnellement.
– Il y a plein d'autres choses inexplicables, dit le vieil homme sur un ton mystérieux et solennel.
– Allons bon... Eh bien ? Accouche !
– Certains des pensionnaires qui sont arrivés récemment et en très bonne santé sont tous devenus rachitiques, émaciés. Ils ont le teint pâle. Ces gens qui ont été placés ici pour passer leurs dernières années dans les meilleures conditions semblent maintenant tous en fin de vie. C'est quand même pas croyable. Y en a même qui n'ont plus la force de pousser les roues de leurs fauteuils ou de tenir leurs déambulateurs bien droit...
– Ils sont vieux papi, c'est normal que ça leur foute un coup d'arriver ici. Toi aussi ça t'as marqué quand tu es arrivé rappelle-toi.
Le vieil homme lâcha la main de son petit-fils et prit une pastille dans une petite boîte rangée dans une des poches de sa robe de chambre en velours.
– Ce qui m'inquiète Freddy, c'est que moi-même je me sens faiblir à chaque nuit qui passe.
– Tu vieillis comme les autres...
– Je te dis que chaque nuit qui passe me rend plus faible que la précédente, c'est quand même fou ça non ? Le docteur me dit que j'ai une santé de fer, et pourtant je me sens perdre mon énergie comme si j'avais une fuite au moteur.
– Bon écoute, tu veux que j'en parle au directeur ? Ça te rassurerait ?
– Es-tu fou ? Jean se mit à paniquer. Ils vont me retomber dessus le soir même ! Ils ont des cachets pour faire dormir la nuit, quelque chose de costaud, de quoi coucher un cheval.
– Ça s'appelle un somnifère papi.
– Prends-moi pour une noix ptit con ! Tu trouves ça normal qu'ils nous en donnent sans nous le dire, hein ? Ils nous mettent ça dans leur soupe dégueulasse, comme ça on n'y voit que du feu, et la nuit, on roupille tous comme des morts ! Ça leur laisse le champ libre pour faire leurs magouilles là.
– Bon écoute, je crois que tu vois le mal partout. Quel serait leur intérêt à vous mentir franchement ?
– Les machines.
– Quoi les machines ?
– Il ont des machines qui se mettent en route la nuit, vers une heure du matin, ça fait un bruit sourd, on est plusieurs à l'avoir entendu.
Freddy se passa la main dans les cheveux.
– C'est sûrement le système de ventilation, dit-il. Il commençait à s'impatienter.
– Si tu entendais le bruit que font ces machines, tu saurais que ça n'a rien à voir avec la ventilation.
– Bon écoute, j'irai poser quelques questions au directeur, en douceur, sans trop parler de toi, et tu verras que tout ça est normal, d'accord ?
– Fais ce que tu veux, ça ne changera rien... Je ne veux pas finir ici, y a quelque chose de malsain dans ces murs, j'en suis sûr.
– Tu sais très bien que l'on ne peut pas te changer de maison de retraite, j'ai mis un temps fou à dénicher celle-là et c'est une des moins chères de la région.
– Si tu le dis...
Les yeux du vieillard s'embrumèrent.
– Je reviendrai te voir la semaine prochaine d'accord ?
– Comme tu veux. Le vieux était déjà ailleurs, dans une zone de sa conscience éloignée de la réalité.
– Allez, arrête de faire la tronche, c'est quand même pas si terrible que ça quand même.
Jean regarda son petit-fils d'un œil perçant et celui-ci ne put soutenir son regard. Il lui fit une rapide bise sur la joue et sortit de la chambre.


Il se dirigea vers le bureau des infirmières et frappa à la porte entrouverte, les mains moites. La porte s'ouvrit.
– Monsieur Laquille ! En visite ? lui dit une femme de haute taille vêtue d'un uniforme blanc immaculé.
– Je suis venu voir mon grand-père. Je crois qu'il y a un problème. Il regarda dans son dos. Est-ce que l'on pourrait se parler dans un endroit calme ?
– Bien sûr, entrez, je suis seule. Elle s'assit derrière une rangée de tables et invita Freddy à prendre une chaise. Il lui faisait face. Elle sourit.
– Effectivement, ce grand gaillard sort de sa chambre pendant la nuit. Les sédatifs mettent du temps à faire effet sur son organisme. C'est un homme fort. On ne peut s'occuper de lui que vers deux ou trois heures du matin, ce qui perturbe nos emplois du temps.
– Je crois qu'il se doute de quelque chose...
– C'est bien ce qui nous semblait.
– Vous pouvez doubler les doses ?
– Cela pourrait s'avérer dangereux pour son rythme cardiaque, et je crois qu'il est dans votre intérêt qu'il soit en bonne santé non ?
– Il faut que vous trouviez quelque chose ! Je ne supporte pas de le voir dans cet état !
– Bien. Écoutez, je ferai part de vos remarques à Monsieur le Directeur et nous verrons ce que nous pourrons faire sans trop brusquer les choses.
– Merci. il se leva. Au revoir, lui dit-il en lui serrant la main.
– Merci Monsieur Laquille, bonne soirée.
Freddy fit de demi-tour et s'éloigna dans le couloir recouvert de lino vert.
– Monsieur Laquille ? le rappela l'infirmière dans l'embrasure de la porte.
Il se retourna.
– Oui ?
Elle parla sur un ton bas.
– Si vous voulez prendre vos doses du mois directement en bas, ça nous éviterait de vous les envoyer ! Et puis avec les grèves de la Poste...
– Non merci, ça ira. Il m'en reste encore une douzaine à la maison !
– Ah d'accord tant pis alors, bonne journée à vous !
– Vous de même !

Freddy sortit du bâtiment et gagna le parking. Il reprit la route au volant de son 4x4 break, inquiet.
Durant le trajet, il pensa à son grand-père, trop perspicace et rusé à son goût.
Il pensa à son état de santé déclinant, ce qui était inquiétant pour l'avenir. Il avait investi une sacrée somme d'argent dans cette maison de retraite. Ils lui avaient promis au moins cinq ans de consommation. Si son grand-père mourrait bientôt, il devrait réduire la fréquence de ses repas et retourner chasser la nuit, ce qui ne le réjouissait pas.
Il n'avait jamais aimé tuer des étrangers pour leur sang.
Il préférait que cela reste en famille.

FIN
w.thomasdesmond.fr.st

Blanche neige 17/12/2004 @ 21:02:20
je trouve ta nouvele très intéressante, on a envie de savoie ce qu'il se passe. J'ai juste eu du mal à comprendre la fin... le fils est un vampire, c'est ça???? j'ai relu deux fois pour mieux comprendre. Je comprends la difficulté d'écrire la fin d'une histoire... j'ai écrit une nouvelle que je compte mettre en ligne binetôt et si la fin était évidente pour moi, mon mari, lui, ne la trouvait pas du tout clair!!!
en tout cas, c'est bien! blanche neige
Voici une petite nouvelle basée sur du dialogue, que je n'avais jamais postée ici !!... La voici :

LIEU DE FIN DE VIE


Il salua l'infirmière d'un léger signe de la main et pénétra dans la chambre de son grand-père maternel Jean. La pièce de treize mètres carrés était comme d'habitude plongée dans une semi-obscurité oppressante. Il referma doucement la porte derrière lui pour ne pas faire de bruit.
– Je suis réveillé Freddy, tu peux rentrer, dit le vieil homme d'une voix rugueuse où son petit-fils perçut de l'inquiétude.
Tournant le dos à son petit-fils, il était assis sur son vieux fauteuil à bascule, une couverture en laine à carreaux rouges sur les genoux. Prêt à tomber, un roman de P.J. Wodehouse dépassait de sa tablette de déjeuner et des monceaux de mouchoirs en papier chiffonnés parsemaient son lit en bataille. La pièce sentait le vieux. Le vieux renfermé.
– Je te croyais en pleine sieste dans cette pénombre ! Pourquoi as-tu fermé les volets ? Il fait un temps superbe dehors ! Le soleil tape tu devrais en profiter !
Il s'approcha de son grand-père et lui déposa une bise sur la joue droite en s'appuyant sur son épaule décharnée. Le vieillard tendit la joue et toucha la main de son petit-fils.
– Oh ça ne me dit rien... Assieds-toi. Il lui montra une chaise du doigt. Le soleil me fait mal aux yeux depuis quelque temps. Une infirmière est venue me donner des gouttes, mais je ne leur fais pas confiance à ces tarés.
– Ah tu ne vas pas recommencer avec tes histoires ! dit Freddy en s'asseyant après avoir enlevé d'un revers de la main la pellicule de poussière qui recouvrait le vinyle marron. Ces gens sont là pour toi, pour s'occuper de toi, tu le sais bien, on en a déjà parlé cent fois. On les paye pour ça et ils font très bien leur boulot. Il croisa les jambes.
– Écoute, j'ai encore toute ma tête, alors arrête de me prendre pour un vieux cinglé. Je te le dis et je te le répète : il se passe des choses pas très catholiques dans cet hospice, c'est moi qui te le dis, et j'ai fait mon enquête ! dit Jean tout en en pointant son index en l'air. Ses yeux étaient pleins de défi.
Le vieil homme prit un air sérieux et mit ses lunettes pendues à son cou par un cordon sur son nez.
– Une enquête, rien que ça ! ironisa Freddy, un peu mal à l'aise.
– Héé, se justifia le grand-père, personne ne veut me croire, il faut bien que je trouve des preuves non ?
– Alors qu'as-tu trouvé monsieur l'inspecteur en chef ? dit Freddy en croisant de nouveau les jambes.
– La nuit ils sont plus nombreux.
– Qui ça ils ?
– Les infirmiers pardi ! Des troupeaux entiers qui s'activent dans toutes les chambres des pauvres gars endormis. Une vraie fourmilière !
– Ce sont tout simplement ceux qui sont de garde la nuit. Heureusement qu'ils sont là !
– Oui mais ils sont des dizaines ! Je les ai VUS !
– Tu délires papi, à moins qu'il y ait eu une urgence une nuit, je sais pas. Et puis comment tu sais ça d'abord, tu ne dors pas la nuit ?
– Comment veux-tu que je dorme alors qu'ils sont là à rôder, à aller chercher je ne sais quoi dans les chambres. Je me suis levé cette nuit pour uriner. Tu sais, le trône est au bout du couloir à gauche ?
– Oui je sais.
– Eh bien quand je suis sorti de la chambre, y avait un type que je n'avais jamais vu qui m'est tombé dessus comme si j'avais été en train de tripoter une vieille dans un placard à balais. "Je m'en vais uriner", je lui ai répondu. Il m'a fait des petits yeux, comme une fouine, comme s'il cherchait le mensonge dans mon regard. Un vrai con celui-là !
– Peut-être qu'il s'inquiétait pour toi ?
– Peuh, arrête ton char ! J'ai marché jusqu'à la porte des toilettes en jetant des coups d'œils en arrière. Ils étaient plusieurs à me regarder faire. Des gars et des filles que j'avais jamais vus, c'est pas étrange ça ?
– Je ne sais pas...
– Là je fais le malin mais je peux te dire que j'étais pas rassuré. J'ai même pas réussi à finir mon affaire, tellement j'avais les pétoches. Bah figure-toi qu'en sortant, ils étaient presque tous barrés ! Le jeune gars était toujours là. Il avait meilleure mine, comme s’il avait ri un bon coup, ou tiré son coup, qui sait ? Il est resté là comme une noix, les bras ballants, à rien faire "bonne nuit Monsieur Jean" qu'il me dit comme si on se connaissait depuis la cour d'école. J'ai regardé discrètement un peu partout en retournant à ma chambre et je suis presque certain qu'ils s'étaient tous cachés.
Le vieil homme fut pris d'une quinte de toux sèche qui le fit se courber en deux. Freddy lui tapota le dos.
– Ça va ?
– Oui oui c'est bon c'est passé.
Il avança son fauteuil vers son petit-fils et lui prit la main. Il la serra très fort.
– Freddy, je ne te raconte pas de conneries, crois-moi, il se passe des trucs bizarres la nuit, j'ai peur ! Ils ont tous des airs de vicieux ! La journée c'est grands sourires et bonnes manières, mais la nuit ça ne m'étonnerait pas qu'ils organisent des orgies du diable, à s'enculer entre services ! Il sourit devant sa propre audace et ses joues rougirent un peu. Il reprit son sérieux et se remit à parler. Tu sais, j'ai, enfin, j'avais une copine, Mme Labichot, elle est décédée la semaine dernière alors qu'elle allait très bien. J'ai demandé à l'infirmière en chef ce qui lui était arrivé. Elle m'a répondu que cela ne me regardait pas, tu te rends compte ?
– Peut-être que c'était la volonté de la famille de ne pas en parler.
– Mon cul oui, ils nous cachent quelque chose, j'en suis sûr ! s'emporta le vieillard.
– Ce n'est pas la peine de t'énerver...
– Si c'est la peine, tu ne te rends pas compte de ce qui se passe ici ! Tu viens me voir vingt minutes une fois par mois, puis tu repars chez toi, dehors, dans le monde des vivants, ici tout le monde attend la mort. Moi, je vis ici, et si je te dis qu'il se trame une sale affaire, tu dois me croire.
Il serra plus fort la main de son petit-fils.
– Tu me crois fiston ?
Freddy soupira.
– Oui je te crois, mais je pense que les apparences sont trompeuses et que tout cela pourrait être expliqué rationnellement.
– Il y a plein d'autres choses inexplicables, dit le vieil homme sur un ton mystérieux et solennel.
– Allons bon... Eh bien ? Accouche !
– Certains des pensionnaires qui sont arrivés récemment et en très bonne santé sont tous devenus rachitiques, émaciés. Ils ont le teint pâle. Ces gens qui ont été placés ici pour passer leurs dernières années dans les meilleures conditions semblent maintenant tous en fin de vie. C'est quand même pas croyable. Y en a même qui n'ont plus la force de pousser les roues de leurs fauteuils ou de tenir leurs déambulateurs bien droit...
– Ils sont vieux papi, c'est normal que ça leur foute un coup d'arriver ici. Toi aussi ça t'as marqué quand tu es arrivé rappelle-toi.
Le vieil homme lâcha la main de son petit-fils et prit une pastille dans une petite boîte rangée dans une des poches de sa robe de chambre en velours.
– Ce qui m'inquiète Freddy, c'est que moi-même je me sens faiblir à chaque nuit qui passe.
– Tu vieillis comme les autres...
– Je te dis que chaque nuit qui passe me rend plus faible que la précédente, c'est quand même fou ça non ? Le docteur me dit que j'ai une santé de fer, et pourtant je me sens perdre mon énergie comme si j'avais une fuite au moteur.
– Bon écoute, tu veux que j'en parle au directeur ? Ça te rassurerait ?
– Es-tu fou ? Jean se mit à paniquer. Ils vont me retomber dessus le soir même ! Ils ont des cachets pour faire dormir la nuit, quelque chose de costaud, de quoi coucher un cheval.
– Ça s'appelle un somnifère papi.
– Prends-moi pour une noix ptit con ! Tu trouves ça normal qu'ils nous en donnent sans nous le dire, hein ? Ils nous mettent ça dans leur soupe dégueulasse, comme ça on n'y voit que du feu, et la nuit, on roupille tous comme des morts ! Ça leur laisse le champ libre pour faire leurs magouilles là.
– Bon écoute, je crois que tu vois le mal partout. Quel serait leur intérêt à vous mentir franchement ?
– Les machines.
– Quoi les machines ?
– Il ont des machines qui se mettent en route la nuit, vers une heure du matin, ça fait un bruit sourd, on est plusieurs à l'avoir entendu.
Freddy se passa la main dans les cheveux.
– C'est sûrement le système de ventilation, dit-il. Il commençait à s'impatienter.
– Si tu entendais le bruit que font ces machines, tu saurais que ça n'a rien à voir avec la ventilation.
– Bon écoute, j'irai poser quelques questions au directeur, en douceur, sans trop parler de toi, et tu verras que tout ça est normal, d'accord ?
– Fais ce que tu veux, ça ne changera rien... Je ne veux pas finir ici, y a quelque chose de malsain dans ces murs, j'en suis sûr.
– Tu sais très bien que l'on ne peut pas te changer de maison de retraite, j'ai mis un temps fou à dénicher celle-là et c'est une des moins chères de la région.
– Si tu le dis...
Les yeux du vieillard s'embrumèrent.
– Je reviendrai te voir la semaine prochaine d'accord ?
– Comme tu veux. Le vieux était déjà ailleurs, dans une zone de sa conscience éloignée de la réalité.
– Allez, arrête de faire la tronche, c'est quand même pas si terrible que ça quand même.
Jean regarda son petit-fils d'un œil perçant et celui-ci ne put soutenir son regard. Il lui fit une rapide bise sur la joue et sortit de la chambre.


Il se dirigea vers le bureau des infirmières et frappa à la porte entrouverte, les mains moites. La porte s'ouvrit.
– Monsieur Laquille ! En visite ? lui dit une femme de haute taille vêtue d'un uniforme blanc immaculé.
– Je suis venu voir mon grand-père. Je crois qu'il y a un problème. Il regarda dans son dos. Est-ce que l'on pourrait se parler dans un endroit calme ?
– Bien sûr, entrez, je suis seule. Elle s'assit derrière une rangée de tables et invita Freddy à prendre une chaise. Il lui faisait face. Elle sourit.
– Effectivement, ce grand gaillard sort de sa chambre pendant la nuit. Les sédatifs mettent du temps à faire effet sur son organisme. C'est un homme fort. On ne peut s'occuper de lui que vers deux ou trois heures du matin, ce qui perturbe nos emplois du temps.
– Je crois qu'il se doute de quelque chose...
– C'est bien ce qui nous semblait.
– Vous pouvez doubler les doses ?
– Cela pourrait s'avérer dangereux pour son rythme cardiaque, et je crois qu'il est dans votre intérêt qu'il soit en bonne santé non ?
– Il faut que vous trouviez quelque chose ! Je ne supporte pas de le voir dans cet état !
– Bien. Écoutez, je ferai part de vos remarques à Monsieur le Directeur et nous verrons ce que nous pourrons faire sans trop brusquer les choses.
– Merci. il se leva. Au revoir, lui dit-il en lui serrant la main.
– Merci Monsieur Laquille, bonne soirée.
Freddy fit de demi-tour et s'éloigna dans le couloir recouvert de lino vert.
– Monsieur Laquille ? le rappela l'infirmière dans l'embrasure de la porte.
Il se retourna.
– Oui ?
Elle parla sur un ton bas.
– Si vous voulez prendre vos doses du mois directement en bas, ça nous éviterait de vous les envoyer ! Et puis avec les grèves de la Poste...
– Non merci, ça ira. Il m'en reste encore une douzaine à la maison !
– Ah d'accord tant pis alors, bonne journée à vous !
– Vous de même !

Freddy sortit du bâtiment et gagna le parking. Il reprit la route au volant de son 4x4 break, inquiet.
Durant le trajet, il pensa à son grand-père, trop perspicace et rusé à son goût.
Il pensa à son état de santé déclinant, ce qui était inquiétant pour l'avenir. Il avait investi une sacrée somme d'argent dans cette maison de retraite. Ils lui avaient promis au moins cinq ans de consommation. Si son grand-père mourrait bientôt, il devrait réduire la fréquence de ses repas et retourner chasser la nuit, ce qui ne le réjouissait pas.
Il n'avait jamais aimé tuer des étrangers pour leur sang.
Il préférait que cela reste en famille.

FIN
w.thomasdesmond.fr.st

Tistou 18/12/2004 @ 10:22:27
Bien ThomasDesmond! Ah dans quel monde on vit quand même?
Bien écrit, suspense conservé jusqu'à la fin.
Bonne maîtrise du déroulement de l'action.
Et un coup en passant sur les maisons de retraite. Ca n'est pas la première fois que tu y situes une action me semble-t-il?

Thomasdesmond
avatar 20/12/2004 @ 08:41:03
Merci à vous deux d'avoir pris le temps de me lire !!
Pour la fin, même si je n'explique pas tout explicitement, je pense que qu'elle est quand même claire ?...
Sinon pour les maisons de retraite cher Tistou, effectivement c'est la deuxième histoire qui en utilise le décor ! Ma chérie+maman+belle-maman sont infirmières alors... j'entends de ces choses...ça inspire !

Sahkti
avatar 20/12/2004 @ 10:42:35
Je trouve justement très bien que tu n'expliques pas tout, cela me paraît assez clair comme cela et trop de précisions finirait par tuer le charme du récit, cette ambiance prenante qui se dégage au fur et à mesure.

Tistou 27/12/2004 @ 14:34:50
Y a vraiment personne d'autre qui veut critique ce texte?

Benoit
avatar 05/01/2005 @ 21:59:50
Je le remets en haut pour ne pas oublier de le lire!!
J'y reviendrai plus tard!!

Thomasdesmond
avatar 06/01/2005 @ 08:35:14
c'est gentil messieurs !

Olivier Michael Kim
19/01/2005 @ 12:54:58
Quand je pense que tu l'as sortie "pour moi" cette nouvelle, et que je ne l'avais pas lue.

Très bien ! J'ai beaucoup aimé l'histoire !

C'est vrai que les dialogues sont bien. Je crois que l'équilibre dialogues/narration est inversé par rapport à "L"eau de là".

Il faudrait trouver le juste équilibre , non?

D'habitude tu es doué pour poser les ambiances, mais là c'est un peu trop succint...

Je constate que c'est encore une histoire avec un hôpital... C'est une marrote? ;-)

Lyra will 19/01/2005 @ 13:47:37
Pfff, j'ai bien aimé, c'est vrai que tu parviens à nous tenir en haleine !
C'est bien écrit, j'ai juste relevé (histoire de dire quelque chose ;0)) une petite répétition au départ "petit fils" qui aurait pu être remplacée par "enfant" ou quelque chose du genre?
Autrement ça se lit très vite, il y'a du suspense, et on rentre très vite dedans.

Une petite question qui me trote dans la tête :0) :
Les machines, elles servent à...?

Bon je sais que tu as dit que tu n'expliquais pas tout, mais ça j'aimerai bien savoir quand même... ;0)

Mentor 06/06/2005 @ 10:07:23
Super Thomas! J'ai adoré! Tu maîtrises parfaitement les dialogues. C'est très réaliste, je croyais vraiment les entendre discuter les 2. Et j'adore le langage cru du vieux!... ;-))
Malgré la longueur du texte, pas d'ennui du tout. En fait, la discussion est si bien menée que tu donnes envie d'aller au bout, ce qui est parfait. Et ce bout, la chute, est inattendu. En tout cas moi j'ai été surpris! Donc réussite parfaite pour ce que j'en ai ressenti! Bravo.
PS: Thomas, tu n'es pas obligé de commenter mon commentaire... ;-)))

Thomasdesmond
avatar 06/06/2005 @ 10:15:10
mdr !! je dirai juste merci d'avoir fait remonter ce vieux fil !!!!!

ps : un directeur littéraire m'a dit que mes dialogues étaient lourds !!!...

Mentor 06/06/2005 @ 10:19:35
un directeur littéraire m'a dit que mes dialogues étaient lourds !!!...
Dis-lui d'aller diriger autre chose... ;-)))
Eh... psssst... Thomas: tu es toujours aux aguets sur CL??! ;-))

Thomasdesmond
avatar 06/06/2005 @ 10:51:43
bah non mais ce matin j'ai vu que tu avais resorti du grenier quelques vieux textes à moi donc je passe...

Sinon tous les matins je vais voir tous les sites que j'aime bien. CL en fait partie...

Sinon, promis cette semaine, je lis du texte à donf' !!!!

Mentor 06/06/2005 @ 10:55:39
tous les matins je vais voir tous les sites que j'aime bien. CL en fait partie...
Sinon, promis cette semaine, je lis du texte à donf' !!!!
Je connais un Tistou qui va être content... tu sais "le père fouettard" de CL... ;-))) Aïe! Arrête Tistou, ça fait mal! Stop! ,-((

Tistou 06/06/2005 @ 13:46:01
tous les matins je vais voir tous les sites que j'aime bien. CL en fait partie...
Sinon, promis cette semaine, je lis du texte à donf' !!!!
Je connais un Tistou qui va être content... tu sais "le père fouettard" de CL... ;-))) Aïe! Arrête Tistou, ça fait mal! Stop! ,-((

Tu déconnes grave Mentor ! Père Fouettard ! De mieux en mieux.

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