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Forums  :  Vos écrits  :  Le Père

LouiseBe 03/10/2004 @ 13:57:26
-Tu vois, il faut le sentir avant. C’est important.
Il est là, grand, tendu vers sa tranche de pain de campagne, un morceau épais de fromage de brebis sur le dessus. Il prend le temps. D’articuler. Pèse ses mots. Chasse son accent de l’est.
Il fait nuit, un peu plus frais.
Tout à l’heure, les femmes sont sorties de table pour aller chercher une veste, un manteau, un pull. Mais lui reste là, à faire découvrir à son voisin de table, petit autochtone qui ignore encore, tous les secrets gastronomique de sa région.
-Mais moi, je ne suis pas d’ici, je suis né à Lille.
-On s’en fout. Sens le.
Et son voisin s’exécute. Apprécie. Oui, il sent. Il dégage même, on pourrait dire, ce fromage.
Les femmes, curieuses, s’essayent à leur tour.
Gloussent. Elles sont sous le charme de l’homme qui se fait vieux. Le nez collé sur les morceaux de fromage. Presque orgasmique. Le vieil homme touche de ses narines le secret des dieux.
Des bougies sur la table, le gravier crisse. Sa venue est un événement. Tout le monde l’attend. Le vieil homme, encore séduisant. Et lorsqu’il arrive enfin, ils sont aux anges.
Sophie et son amie Carole. Ce soir, Vincent, découvre. Et se laisse emporter. Oui, Vincent comprend, le langage de la brebis, à présent. Il découvre une nouvelle dimension.
Ce n’était rien, pourtant, ce petit bout de fromage avant. On en aurait mangé sans se rendre compte. A présent, tout est différent.
Vincent se grandit. Explore. Goutte. Observe. Mime.
Le vieil homme s’en rend compte, et s’en amuse. Sourit.
Il est facile de rendre la vie aux gens éteint. Un bout de fromage, un morceau de pain. Une ambiance. Et tout repart. Ambiance de fête foraine. Ca clignote de partout dans sa tête. Vincent croit comprendre. Il ne mangera plus le fromage comme avant. Du moins se le promet il. Bien sûr, il ne le fera pas. Oubliera. Mais pour quelques heures, seulement, il aura eu l’impression d’avoir découvert. Comprit.

Le vieil homme regarde sa fille. Furtivement. En passant. Sa fille, elle, tente de repérer, ses faiblesses, sa fatigue. Ce soir, il a l’air bien. Calme. Sûr de ce qui l’attend. Hier soir, lorsqu’ils étaient deux, il lui a appris, une chose encore, nouvelle. Il est en train de s’éteindre. Et sa fille le regardait ce soir. Essayait de trouver, de creuser, de voir, dans un regard, des sourcils froncés, sa tenue, où pouvait se cacher ce mal, qui ne lui allait tellement pas. Qui ne lui irait jamais.

Il avait téléphoné, pour dire qu’il viendrait, passer quelques jours, avec sa fille. Pour travailler au calme. Pour écrire. Pour bien manger et bien boire. Pour prendre des nouvelles de Sophie. Comment va Carole ? Il fait froid chez toi ? Je viens. Tu peux ?
Oui, sa fille pouvait. Bien sûr. Lorsque son père vient, il a quelque chose en tête. Il faut qu’il lui parle. Face à face. Ils n’ont jamais été très bons, tous les deux, pour parler sérieusement au téléphone.

Ce soir, il était séduisant. Cheveux en bataille. Lunette sur le bout du nez. Du charme, à sa voisine de table. Sophie lui souriait. Il lui inspirait une immense tendresse. Et le vieil homme était touché par ce sentiment. Il le cherchait, le demandait. Lui sortait le grand jeu.

Hier soir, ils étaient deux, lui et sa fille. Cote à cote. Le dîner s’était éternisé. Elle s’était levée pour lui montrer l’évolution des plantes dans la cour. Elle était montée sur le canapé, avait ouvert la fenêtre, et s’était penché dehors. Il avait fait de même. Tu vois, je crois que l’érable n’est pas très en forme. J’aime bien tes pâquerettes. Elles vont durer encore quelques semaines et puis, ce sera fini. Oui, et les boutures que ta mère t’avait donné ? Mortes. Elles n’ont pas supporté le voyage je crois. Tu crois ? Et puis, j’ai oublié de les arroser. Oui, je crois surtout.

Sa fille l’avait regardé, sérieusement, son profil. Curieux profil. Elle était toujours étonnée de ses fines rides, comme si il ne vieillirait jamais.

-Tu sais, je crois que je vais faire comme tes pâquerettes.
-Tu vas te coucher ?
-Oui.

Il fronçait les sourcils, regardait en bas. Sa fille recula, pour chercher une cigarette, puis en alluma une. « Je vais aller te chercher une lampe, j’ai oublié d’en mettre une dans la chambre d’amis ».

-Et je ne vais pas me réveiller tu sais.
-De quoi ?
-Comment tu les appelles déjà ? Des annuelles ? Tes pâquerettes..
-Papa..
-Oui ma fille. Il souriait. Avait prit une voix grave, pédante. Ca l’amusait.

-Qu’est ce qu’il y a ?
-Je crois que je suis sur la plus mauvaise pente sur laquelle les hommes glissent.
Il ne l’a regardait toujours pas. Ce qu’il disait le prenait à la gorge. Ou alors, ce qu’il s’apprêtait à dire.

-Tu vas mourir ?
Elle n’en revenait pas. Ce qu’elle venait de dire lui paraissait tellement incongru. Pourquoi cette question ? Pourquoi pas d’abord, tu es fatigué ? Dis moi. Tu ne vas pas bien en ce moment ?Ou.. arrête de dire des bêtises.

Elle ne sentait plus vraiment ses jambes. Sa question l’avait coupé net. Les jambes, et le reste.
Il s’était mit à pouffer. Elle s’était dis, que si il riait, ce n’était pas ça. Commençait à chercher d’autre hypothèse. Tu es vieux, c’est ça que tu veux dire. Une baisse de moral. Oui. Mais c’est normal, c’est la vie ça. Il ne lui laissait pas le temps.

-Je crois oui.

Elle le regardait. Le scrutait. Cherchait l’erreur. Chercher, sur sa joue, le reflet dans son œil, sa barbe naissante, la veine sur son front. Les yeux grands ouverts, elle cherchait.

-Tu vas mourir ?

Sa voix s’était cassée. Elle se racla la gorge. Le ton qu’elle avait prit, elle le détestait. Une voix de petite fille, qui aurait dit à son père « tu vas partir ? ».

-On se répète là non ? Il se tournait enfin vers elle. Un sourire aux lèvres.
-Tu rigoles ? Cette question là, elle ne l’a posa pas. La ravala. Non, il ne rigolait pas. Ce n’était pas drôle.

Elle n’avait jamais comprit, elle, ce que c’était de regarder son père, en sachant qu’il allait disparaître. Pour toujours. Qu’il ne serait plus là. Jamais. Jusqu’à la fin de sa vie, elle n’aurait plus son père. Plus de numéro de téléphone pour l’appeler, plus de maison de famille où le retrouver. Plus de gens, pour lui parler de lui. J’ai vu ton père, il va bien.
Il en était à expliquer qu’après la brebis, il fallait choisir son vin. Sophie, Carole, Vincent, à l’écoute. Des rires, des silences studieux. Et sa fille le regardait. Comme elle ne l’avait jamais regardé. Une autre dimension.

Elle tentait de goûter le vin. Comme tous ceux autour de la table. Il était tard à présent. Les flammes des bougies dansaient une étrange danse du ventre. Son père l’a regarda, pour la première fois, longuement. Très longuement. Une esquisse de sourire vint tendre leurs lèvres. Il allait mourir. Elle le savait. C’était encore un secret à deux. Pas pour longtemps..

Ocenebres 03/10/2004 @ 14:34:01
Pas de Livre de “recettes” pour l’expression des sentiments, source de complicité vitale mais on trouve des “recettes” : en voilà une bien belle !
Je suppose que tu dois consacrer beaucoup de temps à ce métier : écrire ?
Eh ben, continue. Ça bout dans ta cafetière et je pense que tu retravailles tes écrits. Si c’est le cas, je ne peux que te « conseiller » de continuer.

Azed 03/10/2004 @ 15:17:32
Les flammes des bougies dansaient une étrange danse du ventre.

cest le top cette phrase!! bravo, tres triste mais beau, le plus beau texte , meme plus que jesus et valerie

Sido

avatar 03/10/2004 @ 15:51:19
Je suppose que l'on va me tomber dessus si j'ose dire que je n'aime pas. tant pis, je me risque. Dès le début, je m'ennuie, ça me fait penser à du Gavalda, et je n'accroche pas. Tout est d'un sentimentalisme très banal. C'est peut-être le genre terroir qui me hérisse.
Désolée. Cela dit je n'en ferais pas autant. : )

LouiseBe 03/10/2004 @ 17:10:30
Je suppose que l'on va me tomber dessus si j'ose dire que je n'aime pas. tant pis, je me risque. Dès le début, je m'ennuie, ça me fait penser à du Gavalda, et je n'accroche pas. Tout est d'un sentimentalisme très banal. C'est peut-être le genre terroir qui me hérisse.
Désolée. Cela dit je n'en ferais pas autant. : )


Tu supposes bien, je vais te tomber dessus ( ça ne va pas faire mal, je te rassure ) attention : hop ! ( je te tombe dessus là )
Alors, effectivement, on ne pouvait pas mieux faire pour critiquer mon texte que de le comparer à Gavalda ( terrible comparaison, ça fait mal, aie, je souffre ) donc, bien vue, pour me faire comprendre que c'est nul, on ne pouvait pas mieux faire.
Sans doute parce que c'est sur le vif, parce que c'est ce qui se passe en ce moment dans ma vie, parce que c'est arrivée hier soir, parce que j'avais besoin de l'écrire ( une mauvaise idée à la base ça ), sans le relire, je lai envoyé ( seconde mauvaise idée )
Bien sûr, cela n'excuse pas la mievrerie, d'ailleurs, je me suis surprise moi meme à sentir que j'allais peut etre y verser ma petite larme en l'écrivant, et ça, c'est toujours très mauvais signe les petites larmouillettes sur ce que l'on écrit. ( mais bon, mon père va mourir, c'est pas très très joyeux non plus, néanmoins quoiqu'il en soit, mieux vaut toujours en rire, donc, troisième mauvaise idée )
Bien sûr, j'aurai pu faire plus trash, en le relisant par exemple, j'aurai pu dire que je comptais bien sur le fait de communiquer avec lui après sa mort ( et là, c'est sur moi qu'on va tomber, je m'en excuses à l'avance, c'est un exemple ) ou qu'il prenne ma voix par téléphone.. enfin bref..j'aurai pu faire plus incisif aussi, et ça, ça aurait été peut etre une bonne idée. ( raté ;-))

Quoiqu'il en soit, une très mauvaise idée tout ça. Et hop, merci Sido pour ton avis. ;-)

Sido

avatar 03/10/2004 @ 23:25:37
D'abord ce n'est pas une très mauvaise idée, et si je maintiens mon avis négatif, j'avoue que j'ai parlé de mon ressenti sans vraiment critiquer. Piège dans le quel je tombe par manque de savoir faire. Je sui désolée. Sans rancune. :-)

Balamento 04/10/2004 @ 01:03:29
J'aime. Mais la précision est-elle utile tant il semblerait que j'y sois abonné? J'aime, autant que la femme que j'aime, ce qui n'est pas peu dire ;-)).

Tistou 04/10/2004 @ 09:29:25
Pourquoi une mauvaise idée? Tu as eu envie de le faire, tu l'as fait. En plus, il n'apparait pas de façon évidente qu'il s'agit de ta réalité du moment.
Non, moi ce qui m'a gêné, ce sont les ruptures de ton. Tu installes très bien un climat au tout début, et très vite, on ne se reconnait plus. On revient en arrière, on essaie de recoller mais le charme est en partie rompu. Et puis tu le réinstalles, et d'autres ruptures encore. Ca, c'est ce que j'ai ressenti. Sinon, pas de doute, tu t'y entends bien pour installer une ambiance.
Bon, les fautes, c'est aussi un petit souci. Je ne compte plus les l'a au lieu de la.

LouiseBe 04/10/2004 @ 09:56:19
D'abord ce n'est pas une très mauvaise idée, et si je maintiens mon avis négatif, j'avoue que j'ai parlé de mon ressenti sans vraiment critiquer. Piège dans le quel je tombe par manque de savoir faire. Je sui désolée. Sans rancune. :-)


Pas besoin d'etre désolée, vraiment. Je suis, oui, d'accord, avec toi. ( c'est dire si ce n'est pas la peine de s'excuser ;-)) sans rancune, donc. ( et puis, une personne qui n'aime pas Gavalda ne peut décidement pas avoir très très mauvais gout, tu n'y peux rien, et sur ce texte là, j'aurai du m'abstenir ;-))

LouiseBe 04/10/2004 @ 09:58:24
Pourquoi une mauvaise idée? Tu as eu envie de le faire, tu l'as fait. En plus, il n'apparait pas de façon évidente qu'il s'agit de ta réalité du moment.
Non, moi ce qui m'a gêné, ce sont les ruptures de ton. Tu installes très bien un climat au tout début, et très vite, on ne se reconnait plus. On revient en arrière, on essaie de recoller mais le charme est en partie rompu. Et puis tu le réinstalles, et d'autres ruptures encore. Ca, c'est ce que j'ai ressenti. Sinon, pas de doute, tu t'y entends bien pour installer une ambiance.
Bon, les fautes, c'est aussi un petit souci. Je ne compte plus les l'a au lieu de la.

Une idée comme une autre alors, mais qui s'est mal terminée ;-) Oui, je note, les l'a là, là, et là ;-) ( et un peu partout, oui, "pas bien !" ;- ))

Tistou 04/10/2004 @ 09:59:42
J'aime autant être franc avec toi LouiseBe, moi, j'aime GAVALDA!

LouiseBe 04/10/2004 @ 10:00:51
J'aime. Mais la précision est-elle utile tant il semblerait que j'y sois abonné? J'aime, autant que la femme que j'aime, ce qui n'est pas peu dire ;-)).


Tu m'en trouve ravie ;-) ( quoique, oui, allez, une dernière fois, ça fait du bien par où ça passe à croire, ce texte n'a pas lieu d'etre ici ;-))

LouiseBe 04/10/2004 @ 10:04:04
J'aime autant être franc avec toi LouiseBe, moi, j'aime GAVALDA!


Moi je n'ai rien contre, sauf cette grosse deception sur son premier roman " long". ( j'étais "déçue,déçue, déçue" ) autant etre franc, ça, parfaitement d'accord. ;-) ( mais rien grave, rassurons nous, à croire que j'en veux à Gavalda d'avoir fait un bouquin qui ne m'a pas plu, c'est dire jusqu'où ça va, parfois ;-))

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