Magicite
avatar 15/04/2025 @ 23:00:39
Vol de nuit

Le petit avion lutte contre la tempête.
Ballotté comme un cerf-volant au bout de son fil par les vents rugissants son pilote est concentré à percer de son regard à travers des colonnes de bruines grises en tourmente printanière par le cockpit et consulter les indicateurs du tableau de bord du coin de l’œil.
L’effort prolongé aiguise une douleur sourde derrière l’écaille de l’os frontal de son crâne.
Il semble comme entendre des voies par-delà les vagues des rafales, par dessus les tracassants grincements et tictacquements de la maigre carlingue de son monomoteur.
Il y a sa propre voie intérieure se voulant rassurante répétant que les vérifications garantissent au fuselage de tenir la dilation du froid et le choc de la furie des airs en vol quand les nuages d’altitude chamboulés sont vapeurs et grains de givres secoués comme les pièces d’un puzzle dans leur boîte retournée dans tous les sens. Et ça tangue pour le pilote dans l’avion.
Il lui semble qu’il y a d’autres voies, des murmures indistincts dans les bourrasques chaotiques auxquels il ne peut prêter l’oreille tout à son affaire à maintenir son appareil stable contre les souffles le bousculant de l’extérieur.
Il y la voie de son père lui faisant la leçon alors qu’il était un tout petit enfant, un murmure lointain dans les murmures indécis des éléments.
La pluie inonde de nappes cinglantes la vitre en pleine face et dans l’horizon sombre de la nuit il se sent tel un marin sur une mer déchaînée bravant Léviathan, Charybde et Scylla.
L’un des murmures se fait plus insistant à son oreille, un hou-hou lancinant.
Aucun oiseau ne volerait à une telle altitude, pas pendant un grain pareil se dit-il.
Par la vitre à sa droite pourtant le reflet d’un hibou en vol estompé par le gros temps dérive à son regard.
L’homme se retient de lâcher son manche pour se frotter les yeux, continuant à empêcher ses ailes de le faire partir en spirale fatale si l’engin perds son assiette en se cramponnant du plus fort qu’il peut au commandes.
Il pense à son père qui aimait observer les oiseaux jusqu’à la fin de sa vie et lui avait apprit alors qu’il était tout enfant qu’il n’y a pas de cruauté chez ces rapaces, que même haït par superstition ce sont des animaux bénéfiques.
Depuis les sorties famille en camping enfant en forêt il avait prit goût à la nature. Il espérait avoir la chance d’apercevoir un de ces oiseaux de proie nocturne, ce qui arrivait parfois avec de la chance et de la patience. La journée il y a avait d’autres oiseaux et il adorait grimper aux arbres lui le petit des villes. Il grimpait sur tout les arbres les plus hauts qu’il voyait jusqu’à ce qu’en grandissant il soit devenu plus lourd et moins téméraire pour s’agripper aux branches les plus hautes et frêles. Tous les membres de sa famille disait toujours qu’il finirait par lui pousser des ailes et s’envoler. Et c’est ce qu’il avait fait même si ce n’était pas d’un arbre.

Il cligne tout juste des yeux alors qu’un éclair ébouriffe l’air à l’est.
Le reflet de hibou disparaît de la vitre.

Il voit maintenant par la fenêtre un autre pilote à travers un antique avion qui file droit et sans paraître affecté par l’orage. L’autre pilote semble lui sourire, sur le toit de son avion est juché un enfant blond avec une écharpe rouge. Antoine Saint-Exupéry lui lance un bref salut avant de la main avant de prendre de la vitesse et disparaissant devant lui dans les nuages.

Le pilote de l’avion en difficulté prends rapidement deux brèves et amples inspirations et expire les jointures de ses mains toujours crispées sur le levier de pilotage.
Ça y est il manque d’oxygène pense t-il ; son cerveau se mettrait il à défaillir à cause de l’accélération ?
Comme une radio mal réglée – Bayern de Munich contre Liverpool - toujours à sa lutte pour la survie il capte dans les murmures des mots brouillés. Spectaculaire arrêt et relance au numéro 13.
Tonnerre, murs de fer laiteux de la pluie en rideaux dans la nuit illuminée des flashes sporadiques des feux électriques des éclairs zébrant l’intérieur de sa rétine.
Puis soudain le calme, une blancheur aveuglante partout autour de lui, éblouissant l’intérieur de son habitacle. Il se penche comme pour voir le sol, la terre au dessous de lui.
Un désert de dunes dorées s’étend en contrebas.
Il y a un dromadaire dans ses atours laineux qui chemine vers un avion posé au sol, à côté de St-Ex et du petit Prince qui sont en train de s’agiter en bas.
Ils jouent avec un ballon de foot, l’une des dunes est creusée pour faire comme une cage de but.
Le dromadaire porte une veste d’arbitre recouvrant la moitié de son dos et ses pattes avants.

Lorsque qu’il regarde à nouveau l’horizon sa main est molle, la grisaille s’est dissipée en une nuit atone. Il est sortit de la zone de danger.
Le ciel est dégagé et il expire enfin de soulagement.

Il lance un appel avec sa radio de bord pour signaler sa position à son aéroport de destination.
Le visage toujours tendu il échange avec la tour de contrôle, la tempête et les éclairs ont bousculé toutes les transmissions et ils sont heureux d’avoir des nouvelles. Il réajustent ensemble son plan de vol depuis sa nouvelle position chamboulée par les intempéries.
Puis c’est avec surprise et émotion qu’il entends son jeune fils à la radio. Il est venu l’attendre au petit aéroport de tourisme et a été invité à rejoindre le poste de communication en attendant avec angoisse des nouvelles.
Il lui dit que quand il aura atterri ils iront observer les oiseaux ensemble dans la forêt, demain peut-être.
_Mais papa il y a match tu devait ramener des places. Tu les a toujours ?
_Bien sûr on pourra aller camper en forêt la semaine suivante. Et on ira au match.
_trop chouette je m’inquiétais GRAVE que tu ne ramène pas les places pour le maatchhhhh.
_C'est bien ce que font les pères et leurs fils, non ? Aller voir le foot ensemble ?

Spirit
avatar 16/04/2025 @ 09:16:48
Long texte qui respecte les données et nous apporte une visions paternel dans la tourmente des cieux. En si peu de temps écrire aussi long c'est une performance . Agréable à lire.

Pieronnelle

avatar 16/04/2025 @ 13:25:07
J'adore ce texte et j'aurais voulu l'écrire ! Tout ce que j'aime ,passé présent, souvenirs, la vie ! Un Magicite un peu différent et qu'on découvre avec beaucoup de plaisir...aussi :-)

SpaceCadet
avatar 16/04/2025 @ 16:32:02
Quelle traversée! Avec ce cerveau qui semble lui jouer des tours, on se demande un peu si le pilote va finir par arriver à destination le pauvre!

Tistou 16/04/2025 @ 18:53:14
J'ai même cru qu'il avait trépassé notre pilote : voir St Ex avec le Petit Prince sur le toit de l'avion semble indiquer qu'il est passé de l'autre côté. Celui qu'on ne connait pas ... Et même, voler à touche-touche dans la tempête avec un hibou à côté de son petit avion, déjà, ça fait penser à un qui est, ou est en train, passé de l'autre côté ?
En rassemblant "le petit avion ..." puis le dromadaire dans les contraintes, je me suis bien douté que le Petit Prince était comme une évidence. Et je ne l'ai pas fait exprès, je le jure !
Ton texte pour autant sonne juste, avec une bonne cohérence. En plus la end est happy !
Remarque incidente, je me suis quand même déchiré les yeux sur voies au lieu de voix. Ca, ça me déstabilise, quand même. Je suis sûr que tu serais capable de nous indiquer que les voix du Seigneur sont impénétrables ! (ce qui ne serait pas faux par ailleurs !)
Une chose certaine ; j'aurais lu ton texte sans indication d'auteur que je t'aurais désigné d'autorité. Il y a une veine "Magicite" ...

Lobe
avatar 16/04/2025 @ 21:21:24
J'adOre cette image du dromadaire en habits d'arbitre. Et j'adorerais aussi voir une chouette ou un hibou un jour dans la forêt. Ce texte est charmant, la façon dont tu balances des images très dynamiques, dont tu fais entrer en collision des mots pas forcément habituels, c'est un truc qui me cueille à chaque fois.

Magicite
avatar 17/04/2025 @ 15:19:28
Oups oui voix et non voies...regrettable erreur.
j'ai toujours du mal avec ces mots, d'habitude je pense à l'étymologie(via et vox) pour pas les confondre. Là dans la précipitation et occupé à penser le récit j'ai pas fait ce cheminement de pensée.
A vrai dire je voulais toujours développer plus, rajouter de la cohérence, faire des recherches sur les tableaux de bord d'avions et tour de contrôle d'aéroport...mais bon vu que j'éclatais de presque une heure le temps sans m'en apercevoir(la gestion du temps pas mon fort- euphémisme-) il était temps de mettre le texte.
C'est très rare de voir les hiboux dans la nature, parce qu'ils voient mieux que nous la nuit et savent très bien se cacher en plus il ont des heures d'activités nocturnes, le plus souvent on les entends plus qu'on les voit et bon par voir c'est souvent un truc sombre qui passe à tire d'ailes entre les arbres.

Pour la vision d'un autre avion il y a une légende sur les pilotes en difficultés qui peuvent voir des escadrons entiers d'avions disparus dans le ciel les guider pour s'en sortir, c'est utilisé par Miyazaki dans Porco Rosso, Miyazaki est fils d'un industriel de l'aéronautique. Ici l'escadron est devenu Saint-Exupéry. L'autre explication est l'altitude et l'accélération qui provoquerait des hallucinations visuelles. Je ne sait pas moi-même ce qu'il en est pour le pilote de mon histoire à vous de voir :)

Pieronnelle

avatar 17/04/2025 @ 15:29:15
C'est tout à ton honneur Magicite d'écrire un texte aussi élaboré. Merci

Nathafi
avatar 18/04/2025 @ 07:18:58

Un texte prolifique, je suis toujours scotchée par ton imagination et ta capacité à allonger les phrases, les descriptions, etc... Et je trouve cela bien maîtrisé et fluide ! Bravo Magicite !

Tistou 18/04/2025 @ 14:56:01
C'est vrai que ce n'est pas simple de voir des hiboux dans la nature. J'ai quand même 2 souvenirs prégnants, et avec des hiboux ... grands-ducs svp (et grand n'est pas un vain adjectif !).
Le premier dans les Rocheuses canadiennes, roulant sur des pistes en quête d'ours et dans un grand arbre (je ne sais plus lequel), au petit matin, se découpant sur le ciel la silhouette impressionnante d'un grand-duc, hiératique et impassible. Ca marque.
Le second en Bretagne, alors en location dans une ferme, on s'est aperçu que dans la grange qui était dans le même corps de bâtiment que notre logis, en début d'AM un grand-duc venait, de l'intérieur, s'encadrer dans l'ouverture qui servait de fenêtre. Bizarre. (vous avez dit blizzard ?!)

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