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Forums  :  Vos écrits  :  Un amour.

Martin1

avatar 20/02/2023 @ 00:40:49
Dans une petite ville de France, un homme aux cheveux noirs, à la stature élégante, vivait sous le nom de Sylvain. Le drame de Sylvain était d’être tombé amoureux d’une collègue de travail, une femme sans doute charmante, mais qui par malheur en épousa un autre. Cette mésaventure paraîtra peut-être sans originalité à mon lecteur. Sans doute après vingt siècles de littérature, ce thème n’est pas le moins éculé. Mais il est de ces thèmes qui ne finissent jamais de remuer les cœurs, et les générations se lassent et se délassent continûment dans l’amour, en redécouvrent toujours avec innocence la joie que l’amour donne, sans que jamais ils aient jugé utiles les leçons des Anciens portant sur ce chapitre.
L’âme de Sylvain connut une passion vraie, qui, née dans un regard troublé, soumettait patiemment à son empire l’ensemble de ses sens et de ses réflexions. La personne aimée avait beau essayer de refroidir ses ardeurs, au moins pour que l’air de l’entreprise soit respirable, celles-ci ne désarmaient ni la nuit, ni le jour. Le moindre échange avec sa collègue procédait du calcul. Non content de l’accabler de travail, il l’accablait aussi de ces regards brûlants et fiévreux, ces immortels tisons sans lesquels l’amour ne serait pas l’amour. Ces tentatives avortaient mais il les amortissait assez pour conserver l’Espoir. Ainsi nomme-t-on ici-bas, le plus raffiné de tous les instruments de torture.
Son intelligence, qui était des plus aigües, accroissait sa férocité. C’est que Sylvain appartenait à cette race d’hommes, qui comprennent mal que les objets ne se modèlent pas sur les désirs. Comme des taureaux chargeant encore et encore sur le même obstacle, jusqu’à s’y rogner les cornes, Sylvain frappait continuellement ses désirs de bronze contre un monde d’acier, persuadé que ce dernier céderait tôt ou tard.
Pourtant, disons-le, la femme était liée à son mari, premièrement par le sentiment, secondement par la parole, troisièmement par la progéniture, et quatrièmement par le sceau sacré des institutions. C’est dire que l’affaire était mal engagée pour notre héros.
Mais hélas ! Son désir ne semblait pas vouloir capituler. Il s’échauffa sans se consumer ; et son âme bascula peu à peu dans la sourde violence des amours vrais, lorsqu'ils tournent à vide. Deux possibilités : ou bien la femme cèdera ; ou bien le mari périra. Il échafaudait alors mille hypothèses dans lesquelles l’un ou l’autre de ses faits se réalisait.
Initialement il se convainquit que la proie se laisserait prendre. Il n’y aura qu’à édulcorer un peu sa voix et agir avec audace. Il jeta des perches, beaucoup, beaucoup de perches. Probablement plus de perches que n’en contient la Garonne. Mais – que voulez-vous ! – la belle ne les saisissait point. Troublé, il s’arrangeait toujours pour voir dans ses réflexions, une réciprocité inavouée de son sentiment, si bien qu’il revenait le jour suivant en prenant plus d’élan. Son désir était un droit. Le réel devait plier. Il le devait. Il le devait assurément, car sinon le bonheur n’existerait pas, le bonheur serait impossible, bafoué, ne laissant à sa place que l’insupportable absence de la femme aimée, sans laquelle toutes les autres beautés sont fausses, toutes les amitiés sont des intrusions, tous les miroirs sont opaques. Il faut qu’elle cède, de grâce, et pourtant elle ne cède pas !
La tête courbée, il finit par entrevoir une issue différente. Une mauvaise chute, un chasseur maladroit, un coma, une morsure fatale : toutes les fins les plus tragiques furent assignées en imagination à ce mari dont l’existence posait un problème insoluble. Souvent il lui réservait un sort généreux : une mort douce, ou bien trop rapide pour qu’il souffrît. Sylvain était un homme profondément bon et craignait que cette mort pesât trop sur sa conscience. Seulement, il fallait qu’elle advienne, c’est tout. Oui, le mari mourrait, mais il mourrait de mort naturelle, et lui Sylvain, ferait tout pour le sauver, il serait l’homme du massage cardiaque, et il serait aussi le suiveur de l’ambulance, le compagnon de la famille du défunt, le poseur de chrysanthèmes et le discoureur de la sépulture. Oui, il serait l’homme droit dans ce couple dévasté, ce nouveau pilier sur lequel la famille pourra s’appuyer. Il voulait bien que le mari meure dans une impeccable dignité, pourvu qu’il meure. Il accorderait de bonne grâce cette faveur, car il faut être clément avec l’ennemi vaincu.
Mais hélas ! Le temps passait. La femme multipliait les démonstrations de froideur et de fermeté ; et le mari n’avait pas l’air de vouloir mourir.
Sylvain fut bientôt atteint de la maladie des amoureux ; il promena ses regards sur tout ce que l’être aimé avait d’amis de sexe masculin, et vit en chacun autant de victimes surnuméraires dans cette hécatombe qui devait mener à son bonheur. Les amis étaient des adversaires, et les connaissances des rivaux. Les maîtres de l’école où elle mettait ses enfants, les médecins qui l’auscultaient, les facteurs, les conducteurs de bus, les voisins, les voisins des voisins, et tout être masculin possédant des yeux et un cerveau (c’est-à-dire une partie non négligeable de la race d’Adam) étaient traités par lui comme des insectes sans nombre s’acheminant autour de la chenille pour la traîner dans d’ineffables souterrains où elle échapperait à son regard, le seul regard qu’elle méritât.
Un beau jour, son imagination tourna trop fort. Il prononça quelques temps le nom de la personne aimée, mais – ô stupeur – son visage n’apparaissait plus dans sa mémoire. Cela faisait trop longtemps qu’il ne l’avait pas vue. Il se rendit compte avec effroi, qu’il l’avait oubliée ; il se précipita vers une pièce sombre, et tenta de recomposer le visage avec quelques lambeaux de sa mémoire défaillante. Rien n’y fit. Il jeta alors ce regard que les hommes intelligents connaissent bien – la scrutation de l'obscurité, ce regard qui perce le chaos même. Son esprit produisait alors de nouvelles images, mais la femme qui s’y trouvait ne lui ressemblait plus. Il transpira, se coucha dans l’ombre et murmura : je l’ai perdue.
Une semaine plus tard, il fut éconduit par une demoiselle de son pallier qu’il avait trouvée belle à ravir.

Martin1

avatar 20/02/2023 @ 00:54:08
Pardon, il y a plusieurs fautes, mais je ne relis qu'en diagonale, c'est dommage.

Radetsky 20/02/2023 @ 14:33:26
C'est bien tourné et bien mené. Je ne reviendrai pas sur la forme. Faut-il examiner le fond ?
Ton texte ressemble à s'y méprendre au compte rendu d'une cure psychanalytique.
Notre homme n'est plus un adolescent boutonneux, si on en juge de par son statut social. Il l'est pourtant bel et bien d'après son histoire. Un pervers narcissique et macho qui trépigne à tout va parce que le joujou convoité ne cède pas...
En passant, je m'étonne que la dame, poursuivie sans cesse par les assiduités d'un goujat, ne lui ait pas flanqué une paire de baffes. De plus, concocter mille plans tout aussi délirants les uns que les autres afin que le mari et autres "ennemis" disparaissent, tirent en plus le diagnostic vers la sénilité précoce assorti de délire paranoïaque.
Les autres, pour ce type, sont un troupeau où il est loisible de piocher, sûr qu'on est de son fait et de son droit, ou d'en éliminer autant que possible si c'est nécessaire à la réalisation de son fantasme..
On hésite entre le satrape pétrolifère et Poutine.
Le cas est grave, désespéré, il ne devrait plus circuler librement dans la rue.
C'est une fiction, certes, mais fais-nous une suite où quelqu'un viendrait nous en débarrasser ;-)

Martin1

avatar 21/02/2023 @ 12:22:09
Ha! Je n'aurais pas dit que c'est un pervers narcissique, mais c'est intéressant de voir l'effet que le texte a donné sur toi.
Tous les amoureux du monde, lorsqu'ils sont au stade de la passion, ne fonctionnent pas foncièrement différemment!
J'ai peut-être forcé un peu certains traits, cela dit!

Martin1

avatar 21/02/2023 @ 12:23:59
Parce que, remarque bien qu'à aucun moment il ne "provoque" l'un des innombrables scenarii morbides qu'il imagine. En revanche, il est vraiment bloqué sur son problème!

Radetsky 22/02/2023 @ 15:09:21
Ha! Je n'aurais pas dit que c'est un pervers narcissique, mais c'est intéressant de voir l'effet que le texte a donné sur toi......

Figure-toi que j'ai vécu une sorte de scénario identique "à l'envers", où la prédatrice était une femme. C'est vrai que, faute de traitement, les p.n. vont jusqu'au bout et ne lésinent pas sur les moyens (chantage, menaces, harcèlement, etc.) tandis que ton bonhomme évite le passage à l'acte.
Si on est pris dans le piège, il y a deux solutions :
- le Glock (ou le Colt si on préfère),
- la fuite, vite et loin, en rompant toute espèce de lien et c'est parfois douloureux s'il y a un enfant dans l'histoire.

Alors, mon garçon, méfie-toi si tu tombes sous le charme... le cadeau est parfois empoisonné et d'autant plus si on croit avoir affaire à quelqu'un de proche par les valeurs ou les sentiments. ...errare humanum est...

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