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Magicite
avatar 27/09/2022 @ 22:15:58
21 jours plus tard

J’étais là.
Sur ce lit.
Allongé.
De retour d’une autre vie.
Intubé.
Perfusé.
Couvert de bandages des pieds à la tête.
J’ouvre un œil, l’autre est sous une compresse et je m’en aperçois pas.
De retour du coma provoqué des opiacés.
Enfin quand je dis de retour j’étais plutôt entre ces deux mondes.
L’esprit comme une chaude chiasse coulant dans le pantalon.
Liquide, volatile, répandu.
Mais conscient après ces jours et l’amnésie post-traumatique.
Enfin partiellement conscient.
L’instant était un de ceux qui peuvent durer quelques secondes, quelques heures ou quelques jours comme dans ma vie vie rêvée, celle que je retenais et qui me retenais encore.
Fantasmatique.
Souvenir irréels et vécus d’un univers interne.
Où j’étais aventurier dans des forêts et marécages près de l’île isolée aux infirmières aguicheuses et joueuses.
Résistant dans la cache, tunnel d’égouts cerné par les soldats ennemis avec mes compagnons d’armes acculés au muret et trahis mais valeureux et prêt à l’ultime assaut.
Blessé et soumis aux soins des anguilles électriques dans les fesses avant de me détacher des sangles à la pointe d’un couteau et pouvoir télécommander le lit brancard à roulettes qui m’envole par la fenêtre.
Prisonnier attaché sous le dôme sous-marin et torturé d’électrochocs des heures durant.
Messie révélé, ressuscitant les âmes errantes par la force de ma pensée.
Pirate sautant sur les trains qui roulaient vers la fin du monde, lance bricolée à la main au côté des adolescents orphelins punks bardés de cuirs et piercings.
J’entendais mes amis qui criaient sur la colline par la fenêtre en faisant des rodéos de voitures aux pneus crissants et claquaient le verre vert de bouteilles de bières en étoiles constellées sur le bitume.
Combien de mois, combien d’histoires, ai-je parcouru les contrées du rêve?
Cet instant dura bien plus que mes trois semaines de coma, comme en songe où le temps et les espaces n’ont plus de limites ni de repères.
Sensations.
Fortes.
Corps faiblard, esprit délirant recouvrant l’éveil anesthésié pour les opérations et les souffrances, revenant à la vie progressivement.
La mère des infirmières, une grosse dame antillaise pleine de prévenance, me donna la charité d’une poche de nouvelles drogues qui fit passer ma souffrance hurlante du vent du désert.
Lumières réfléchies par la pluie sur les trottoirs vides et humides de la nuit fuyante vers le petit matin en quête du chaud sourire de la fille d’une amitié aimée après l’enfermement dans le sas du cinéma géant.
Le collier de bonbons et le compagnon à la chemise bariolée qui m’envoya près de l’arbre sec unique dans le désert où je rencontrais le roi mage, homme noir céleste qui me montra le futur et le passé et m’apprit les savoirs hermétiques qui me serviraient plus tard.
Les robots au bras pinces qui m’abreuvaient au biberon quand la sueur me vidait mais passaient avec le chariot leur écran TV sans que j’ai le droit de regarder de film alors que l’ennui des jours se succédaient.
Chaque histoire vécue en lentes traversées fantastiques, réminiscences de souvenirs amalgamés aux détails du monde éveillé des salles d’opérations, des brouhahas distincts dans le ventre de l’hôpital, de l’horloge et des parois de verre de la chambre.
Des cris des voisins en réanimation et machines aux allures d’engins de chantiers, de dinosaures revenus avec des becs de tractopelles et des pieds vérins hydrauliques qui fouaillent mon corps.
Un livreur de pizza pendant les heures persistantes de neurochirurgie et qu’il faut bien que le personnel mange.
J’étais la table, couverte d’un drap vert et les mains prenaient des parts rouge tomate avec des fils coulants et jaunes. Ma boîte crânienne le carton et ma face la pizza, je n’avais plus beaucoup de dents intactes dans ma mâchoire fracturée alors ça ne me donnais pas très faim.
La lumière au bout du tunnel de la cage d’escalier où les ascenseurs charriaient les formes oblongues des cercueils aux extrémités hexagonales. Vers le bas un vide terrifiant en abysses angoissants de ténèbres qui aspirent toute lumière.
A cet étage je restais longtemps dans une sorte de salle d’attente, espace en demi-tube entourant un côté de l’ascenseur. Un très jeune enfant jouait avec des cubes, à chaque fois que sa pile formait une structure assez haute il la renversait visiblement mécontent du résultat. Tout cela en silence et de nombreuses fois.
J’étais dans un couloir. Langue sèche comme du papier de verre, gorge sans salive, les yeux exorbités fixés sur la machine le long du tuyau sur mon bras. Une sorte d’oscilloscope sur une étagère roulante pour être au même niveau que mon brancard.
Et je souffrais intensément à l’intérieur de mon crâne.
Je pensais ma fin prochaine tellement la douleur enflait en moi. A ce moment passa un homme en blouse qui regarda l’appareil à mes côtés. Étonné il frappa un coup sonore l’appareil et les diodes, l’écran et vumètres de leur positions mortes reprirent du service comme s’allume soudain un arbre de Noël.
Ma vie revint avec le souvenir d’un autre monde.
Et d’autres mois et d’autres histoires vécues en rêves, s’estompèrent pendant les jours de mon réveil, de ma nouvelle naissance.
Venu au monde une seconde fois j’avais à réapprendre.
Parler quand mes cordes vocales froissées par l’intubation furent capable d’émettre des mots au lieu d’un souffle rauque.
Redresser mon buste de ma position allongée.
Me lever pour aller uriner aux toilettes.
Quitter le lit pour un fauteuil roulant.
Puis me remettre debout, faire chaque jour les exercices de rééducation pour marcher en claudiquant.
Apprendre à transférer le poids sur mes jambes aux os brisés et rafistolés sans trop de gêne.
Ces mois passèrent en un éclair rapide, chaque jour une nouvelle victoire.

Par les soins prodigués par le personnel de trois hôpitaux public, compétences des médecins, sourire tantôt d’une jolie infirmière, la sympathie des aides-soignant(e)s, d’un oreiller relevé pour que je sois mieux installé, ma seconde vie commença à 21 ans. Merci à elles et eux.

Minoritaire

avatar 30/09/2022 @ 22:28:57
J'ai cru comprendre que ta vie était parsemée de problèmes médicaux, Magicité. Je suppose que cette belle chronique d'un retour à la vie en fait partie.

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