Lobe
avatar 19/07/2022 @ 22:17:01
La maison de vacances donnait sur un assemblage d’autres maisons blanches, qui se découpaient nettement sur le ciel très bleu. C'étaient des vacances dont Sandra, Jules, Maria et Nathan parlaient depuis des mois. Le rêve de se repaître de farniente grecque, de s’abîmer dans une mer d’huile, de photographier des chats triangulaires et de laisser les enfants faire à leur aise tous les châteaux de galets qu’ils voudront.

Ils ont été ravis d’arriver au tout petit matin, de voir les petits s’éparpiller dans la villa, de poser une enceinte pour faire résonner la voix de Marina Satti dans le grand salon, de remplir le frigo de feta, de retsina et de Mythos. Et puis, jour après jour, la chaleur s’est mise à monter. Le mercure, comme partout, devenait fou. Lentement mais sûrement, ils ont commencé à vriller.

Le deuxième jour, Maria a passé plusieurs heures à regarder le monde au prisme du kaléidoscope d’Emma, son aînée. Elle regardait ébahie les carrelages, les visages, les branchages. C’est seulement après avoir observé de tout son saoul le coucher du soleil à travers le tube aux miroirs qu’elle a consenti à laisser l’objet de côté.

Le troisième jour, Nathan s’est mis à pleurer à chaudes larmes. Il venait de voir son reflet dans un miroir en forme de soleil dans le salon. Il a d’abord sangloté encore et encore, sans que la joue rebondie de sa Jade encore-un-peu-bébé, l’amitié franche mais virile de Jules, ou l’empathie tendre de Maria n’y fassent rien. Quand il a pu reprendre son souffle, en pointant le miroir, il a dit qu’il n’arrivait pas à s’en remettre, d’être arrivé à cette « quarantaine poussive, cet âge moyen vraiment pas rose, ce, ce… cet âge pire que le Moyen Âge plein de clichés, ouais, cet âge plus que moyen, cet âge bof, carrément bof ». Roman, 5 ans, a demandé à sa mère pourquoi papa pleurait, Maria lui a répondu avec un petit sourire contrit que papa avait des insécurités liées au vieillissement, mais c’est normal parce que l’image de papa est importante pour son métier, tu comprends mon chéri.

Le quatrième jour, Sandra s’est enfermée dans les toilettes. Pendant un temps, ça n’a alerté personne. Et puis comme il n’y avait qu’un cabinet de toilette pour les deux couples, hydratés à la Mythos, et les quatre enfants, ça a fini par se remarquer. C’est Jules, un peu goguenard, qui est allé pour toquer et la sortir de là. Il s’est arrêté devant la porte en entendant les bruits d’une conversation passionnée. La première voix était celle de sa femme, il n’y avait pas de doute. La deuxième était haut perchée, avec un impossible accent grec. Elle discutait philosophie, élaborant sur Hippocrate et la théorie des climats. Sandra, qui avait eu une tocade pour Socrate en hypokhâgne, rebondissait sur la porosité des humeurs humaines à la température. Jules a vu noir, a secoué la porte jusqu’à la faire sortir de ses gonds, pour trouver Sandra assise sur la lunette des toilettes, une statuette du hibou de la déesse Athéna à la main.

Le cinquième jour, tous les adultes se sont endormis d’un coup après le déjeuner. Emma, Roman, Basile et Jade, qui n’atteignaient pas la majorité à eux quatre, ont enfin pu commencer la plus formidable des parties de cache-cache. Mimant des branches, ils ont grimpé à tous les oliviers du jardinet. Ils se sont glissés sous les meubles. Ils ont rempli la baignoire de mousse et s’y sont dissimulés un temps. Comme la chaleur montait toujours, ils ont fini par se diriger vers le grand frigo américain, le vidant d’abord de ce qu’il restait de feta, retsina et Mythos.

Quand le quatuor le plus mature se réveilla, étrangement régénéré, quelques minutes s’écoulèrent avant qu’ils se remémorent leur parentalité. Ils suivirent la poussière, les feuilles allongées des oliviers et les traces de mousse jusqu’à la cuisine. Dans le frigo dont la porte était entrouverte, les enfants, effondrés les uns sur les autres, dormaient à leur tour, les lèvres un peu bleuies.

Minoritaire

avatar 20/07/2022 @ 22:53:22
C'est quoi, Mythos ? ça se boit aussi, je suppose. Mauvais de boire au soleil. Parole de buveur.
Je me suis d'abord un peu perdu dans cette abondance de prénoms. Et puis j'ai lu un peu trop vite. J'ai donc remonté le fil pour lire plus attentivement, remarquer la conversation et me poser cette question : avec quoi peut-on philosopher -puisque c'est de ça qu'il s'agit- dans un cabinet de toilette sinon la cuvette du wc ? Était-ce Platon qui prêtait sa voix caverneuse à l'objet ? Quoi qu'il en soit, j'aime beaucoup cette image.
Et celle des enfants laissés à eux-mêmes, qui d'ombre en piscine, finissent par trouver la fraicheur au frigo. J'aime moins les lèvres un peu bleuies.

Magicite
avatar 22/07/2022 @ 14:44:12
une maisonnée de corps fous alanguie par la chaleur... récit à toute allure se passant la patate chaude de délires en délires jusqu’à des enfants saufs et rafraîchis.
Un soleil qui tape vite et fort, de saison :)

Tistou 22/07/2022 @ 15:26:52
J'ai dû également aller chercher ce que pouvait être un Mythos apte à aller au frigo. De la bière ! Grecque ! Beurk !
Texte fortement influencé par l'actualité climatique, qui révèle un des fantasmes actuels de Lobe ; s'endormir lèvres bleuies la tête dans le frigo porte ouverte !
L'instrument qui parle c'est donc la statuette du hibou. Et le Moyen Age celui de la quarantaine ... OK mais la soixantaine c'est quoi comme âge ? L'âge de fer ?!
Ca m'a paru moins aérien que de coutume. Comme si tu étais accablée par la chaleur ...

Cyclo
avatar 27/07/2022 @ 11:01:58
Une évocation de vacances à la grecque ! Je me suis demandé jusqu'où ça irait, et je n'ai pas été déçu avec le coup du frigo, et les gamins qui profitent de l'endormissement des parents pour jouer...
Bien aussi, le vieillissement vu dans le miroir. Moralité : mieux vaut ne pas partir en vacances !

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