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Avant de redéposer mon exemplaire de l'île des perroquets dans la boîte à livre où je l'avais trouvé, je transcris ici pour mémoire un extrait de la note de l'éditeur qui y figure. Mon exemplaire est une édition "France Loisir" de 1985 mais proviens originellement d'une édition Phébusde 1984. La note étant signée de J.P.S, il est donc fort possible que son auteur soit Jean-Pierre Sicre, le fondateur des éditions Phébus.
Dans cette note l'éditeur évoque la conception de l'île des perroquets, paru dans la semi-clandestinité, et regrette la faible audience de Robert Margerit. Il commence surtout par un vibrant hommage au roman de genre en général, et d'aventure en particulier. Certes, certains points avancés sans doute ont vieilli, mais j’ai trouvé le texte d’abord fort bien écrit et ensuite révélateur du fossé qu'il peut y avoir encore de nos jours, peut-être, entre la littérature générale et le roman de genre.
En France, à la différence de ce qui se passe dans les pays anglo-saxons par exemple, le roman d’aventure a toujours souffert d’un préjugé de défaveur.
Les Français lisent peu – même si l’on s’emploie à nous démontrer que de puis la dernière guerre, la prospérité matérielle aidant, ils achètent de plus en plus de livres. Encore faut-il s’interroger sur la nature des livres en question. La littérature, au sens même le plus large du mot, ne semble pas les retenir beaucoup plus qu’autrefois. Suivant le courant des modes (toutes ne sont pas mauvaises admettons-le !) il paraîtrait qu’ils s’intéressent un peu davantage aux écrivains étrangers, bien que le phénomène soit timide à d’assez rares exceptions près. Mais surtout, on les voit accorder depuis quelque vingt ans une préférence gourmande à des livres qui ne ressorte que de fort loin au domaine littéraire : guides pratiques, manuels spécialisés, encyclopédies divers. L’image, cette idole de la société, y a plus de part que le texte. Mais ne sont ce pas-là des livres utiles ? au lieu que la littérature proprement dite, dont on leur a inculqué le morne respect à l’école, ne cesse justement de proclamer à hauteur de pages sa hautaine inutilité.
Sans doute n’osent-ils pas disqualifier publiquement cette déesse qui les snobe et les ennuie même un brin sans qu’ils se l’avouent. On leur a appris à la vénérer ; ils l’encensent donc à tout hasard, et, avec des protestations de fidélité d’autant plus vibrantes qu’ils se sentent secrètement coupables à son endroit. Cet excès de respect ne fait pourtant pas la fortune du livre, on le sait depuis longtemps. Il n’est pas facile de faire avouer à un Français que les romans de Balzac sont parfois faibles, que la poésie de Hugo sonne terriblement creux, que Voltaire n’est qu’un piètre Philosophe. Se risque-t-on à dévaluer les divinités du Panthéon ? Il s’insurge. Les a-t-il seulement lus ? Peu, ou alors il y a si longtemps…Ce qui ne l’empêche pas de leur vouer en paroles, sinon en actes, un culte sourcilleux. Et ce qui l’amène, tout aussi logiquement, à professer un attachement naïvement confiant envers les hiérarchies que des générations d’universitaires ont établi à son usage.
Ainsi distinguera-t-il soigneusement entre les « grandes œuvres » qu’il ne lit pas ou guère, mais qu’il se garde bien d’évaluer à l’aune de son plaisir (ce serait prendre trop de risque) et celles qui lui apportent une honteuse délectation : romans policiers, histoires à faire peur, coquinerie de second rayon. Le roman dit « d’aventure » dans notre cher et vieux pays en tout cas, appartient à cette catégorie roturière. On admet qu’il puisse figurer utilement aux mains des enfants, point assez murs à ce qu’on entend souvent dire, pour tâter du vin pur des valeurs adultes. Les grandes personnes quant à elles le liront pour se distraire, pour « s’évader », en s’excusant par avance de ce qui pourrait bien passer pour une faiblesse ou une faute de goût, comme si nous ne savions pas, depuis Baudelaire, que l’écriture dans son exigence la plus extrême, insurgée de toute sa violence contre la frustration d’être au monde, répond précisément à un besoin central d’évasion.
Plus curieux des choses du vaste monde, le Français aurait pu se rappeler que depuis deux siècles et plus, les lecteurs britanniques ou américains, loin de bouder le plaisir que leur offrait le vent du large, ne dédaignent pas de donner pour compagnon d’éternité à Shakespeare et à Dickens ces grands frères de nos enfances que sont Defoe, Melville ou Stevensons. Mais ce même Français répugne invinciblement à comparer le plaisir qu’il éprouvera à la lecture de « l'île aux trésors » et celui que sont censés lui procurer par exemple Flaubert ou Proust. Il a mis sous clé, une bonne fois pour toutes, ce qui enchanta son jeune âge, préférant ignorer — ou feindre d’ignorer — que la littérature la plus « adulte » (et le nom de Proust n’est sûrement pas venu ici par hasard) est justement pétrie de cette enfance qui lui plaît à reléguer au placard d’infamie. A-t-il oublié qu’au levant comme au couchant de son imaginaire veille la figure d'Ulysse, que ses romanciers et ses poètes n’ont jamais cessé d’interroger depuis Homère jusqu’à Joyce ?
...
Peut-être accepterons-nous un jour de réécrire l’histoire de la littérature à la lumière du seul flambeau qui eût dû jamais en éclairer les avenues et les sentes buissonnières: nous voulons parler bien évidemment de ce « plaisir du texte » que notre indécrottable bovarysme nous a fait longtemps mépriser.
Dans cette note l'éditeur évoque la conception de l'île des perroquets, paru dans la semi-clandestinité, et regrette la faible audience de Robert Margerit. Il commence surtout par un vibrant hommage au roman de genre en général, et d'aventure en particulier. Certes, certains points avancés sans doute ont vieilli, mais j’ai trouvé le texte d’abord fort bien écrit et ensuite révélateur du fossé qu'il peut y avoir encore de nos jours, peut-être, entre la littérature générale et le roman de genre.
En France, à la différence de ce qui se passe dans les pays anglo-saxons par exemple, le roman d’aventure a toujours souffert d’un préjugé de défaveur.
Les Français lisent peu – même si l’on s’emploie à nous démontrer que de puis la dernière guerre, la prospérité matérielle aidant, ils achètent de plus en plus de livres. Encore faut-il s’interroger sur la nature des livres en question. La littérature, au sens même le plus large du mot, ne semble pas les retenir beaucoup plus qu’autrefois. Suivant le courant des modes (toutes ne sont pas mauvaises admettons-le !) il paraîtrait qu’ils s’intéressent un peu davantage aux écrivains étrangers, bien que le phénomène soit timide à d’assez rares exceptions près. Mais surtout, on les voit accorder depuis quelque vingt ans une préférence gourmande à des livres qui ne ressorte que de fort loin au domaine littéraire : guides pratiques, manuels spécialisés, encyclopédies divers. L’image, cette idole de la société, y a plus de part que le texte. Mais ne sont ce pas-là des livres utiles ? au lieu que la littérature proprement dite, dont on leur a inculqué le morne respect à l’école, ne cesse justement de proclamer à hauteur de pages sa hautaine inutilité.
Sans doute n’osent-ils pas disqualifier publiquement cette déesse qui les snobe et les ennuie même un brin sans qu’ils se l’avouent. On leur a appris à la vénérer ; ils l’encensent donc à tout hasard, et, avec des protestations de fidélité d’autant plus vibrantes qu’ils se sentent secrètement coupables à son endroit. Cet excès de respect ne fait pourtant pas la fortune du livre, on le sait depuis longtemps. Il n’est pas facile de faire avouer à un Français que les romans de Balzac sont parfois faibles, que la poésie de Hugo sonne terriblement creux, que Voltaire n’est qu’un piètre Philosophe. Se risque-t-on à dévaluer les divinités du Panthéon ? Il s’insurge. Les a-t-il seulement lus ? Peu, ou alors il y a si longtemps…Ce qui ne l’empêche pas de leur vouer en paroles, sinon en actes, un culte sourcilleux. Et ce qui l’amène, tout aussi logiquement, à professer un attachement naïvement confiant envers les hiérarchies que des générations d’universitaires ont établi à son usage.
Ainsi distinguera-t-il soigneusement entre les « grandes œuvres » qu’il ne lit pas ou guère, mais qu’il se garde bien d’évaluer à l’aune de son plaisir (ce serait prendre trop de risque) et celles qui lui apportent une honteuse délectation : romans policiers, histoires à faire peur, coquinerie de second rayon. Le roman dit « d’aventure » dans notre cher et vieux pays en tout cas, appartient à cette catégorie roturière. On admet qu’il puisse figurer utilement aux mains des enfants, point assez murs à ce qu’on entend souvent dire, pour tâter du vin pur des valeurs adultes. Les grandes personnes quant à elles le liront pour se distraire, pour « s’évader », en s’excusant par avance de ce qui pourrait bien passer pour une faiblesse ou une faute de goût, comme si nous ne savions pas, depuis Baudelaire, que l’écriture dans son exigence la plus extrême, insurgée de toute sa violence contre la frustration d’être au monde, répond précisément à un besoin central d’évasion.
Plus curieux des choses du vaste monde, le Français aurait pu se rappeler que depuis deux siècles et plus, les lecteurs britanniques ou américains, loin de bouder le plaisir que leur offrait le vent du large, ne dédaignent pas de donner pour compagnon d’éternité à Shakespeare et à Dickens ces grands frères de nos enfances que sont Defoe, Melville ou Stevensons. Mais ce même Français répugne invinciblement à comparer le plaisir qu’il éprouvera à la lecture de « l'île aux trésors » et celui que sont censés lui procurer par exemple Flaubert ou Proust. Il a mis sous clé, une bonne fois pour toutes, ce qui enchanta son jeune âge, préférant ignorer — ou feindre d’ignorer — que la littérature la plus « adulte » (et le nom de Proust n’est sûrement pas venu ici par hasard) est justement pétrie de cette enfance qui lui plaît à reléguer au placard d’infamie. A-t-il oublié qu’au levant comme au couchant de son imaginaire veille la figure d'Ulysse, que ses romanciers et ses poètes n’ont jamais cessé d’interroger depuis Homère jusqu’à Joyce ?
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Peut-être accepterons-nous un jour de réécrire l’histoire de la littérature à la lumière du seul flambeau qui eût dû jamais en éclairer les avenues et les sentes buissonnières: nous voulons parler bien évidemment de ce « plaisir du texte » que notre indécrottable bovarysme nous a fait longtemps mépriser.
Ca n'a pas trop vieilli en effet, et comme tu dis c'est bien écrit.
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