Fanou03
avatar 28/05/2015 @ 22:13:13
Merci Martin pour ce compte-rendu très étoffé et très intéressant !

Je veux te faire part ici de quelques remarques et questions sur l'Histoire de l'Empire ottoman et sur le livre lui-même.

- En ce qui concerne les relations entre l'Empire Ottoman et l'Europe, que tu évoques dans ton introduction, n'oublions pas non plus que la France, l'Angleterre et l'Empire Ottoman furent des alliés dans les années 1850, ce qui expliqua l'intervention de la France et de l’Angleterre contre la Russie menaçant l'Empire Ottoman, d'où la Guerre de Crimée (1853-1856).

- Du point de vue méthodologique, Je suis curieux de savoir si les auteurs du livre ont privilégié telles ou telles sources documentaires (ottomanes, occidentales...), notamment vu le pas de temps extrêmement important abordé par le livre.

- Enfin, la problématique de l'autonomie des provinces dont tu rends compte m'a interpellé. Dans ma lecture de l'Histoire de l'Empire Perse en effet, (empire qui se calque d'ailleurs quelque peu territorialement sur l'Empire Ottoman), Pierre Briant, son auteur, explique que l'organisation de l'Empire Perse donne lieu a deux lectures: l'une qui en fait une "fédération lâche de pays autonomes", l'autre qui "souligne la dynamique organisationnelle du centre". Je suis frappé de voir que pour l'Empire Ottoman nous sommes un peu dans le même questionnement me semble-t-il.

Martin1

avatar 29/05/2015 @ 11:53:47
Bonjour Fanou, merci

1) Tout à fait, la France et l'Angleterre étaient alliées de l'Empire Ottoman par l'alliance de 1854.
Mais je ne résiste pas de te citer Napoléon III à ce sujet : "J'ai fait la guerre pour éviter la prépondérance russe en Méditerranée orientale, pas pour soutenir aveuglément le gouvernement stupide, immoral, barbare et païen des Turcs.". "Le démembrement de l'Empire ottoman est le dernier de mes soucis pourvu qu'il ne se fasse pas au profit de la Russie."
On voit ici que Napoléon III est très dur à l'égard des Ottomans. Non pas qu'il soit particulièrement catholique (il deviendra lui-même en conflit ouvert avec le pape), ni qu'il ne méprise le peuple turc (au contraire, il se veut le gardien de la souverainetés des peuples), mais il n'a que mépris pour cette puissance en déclin qui passe son temps à mater dans le sang les révoltes balkaniques.
La preuve : à l'issue de la guerre de Crimée, Napoléon III force l'indépendance des provinces moldo-valaques, qui sont devenues... notre Roumanie, et oui.
En 1860, il critiquera de nouveau leur inaction devant le massacre des Maronites catholiques par les Druzes musulmans, avant de débarquer lui-même en Syrie.

2) La bibliographie est très longue : je trouve beaucoup de sources anglaises et allemandes, concernant le début de l'Empire. Sur l'apogée de l'Empire (Süleymân), il y a pas mal de sources turques du XXème. Les révoltes des Balkans a fait couler beaucoup d'encre chez les intellectuels grecs et bulgares. Sinon, les sources me paraissent assez diverses sur la fin (auteurs de toutes contrées), mais il y a bonne part accordée à des auteurs occidentaux qui auraient eux-même épluché les documents écrits en arabe ancien (la traduction n'a pas dû être aisée).
Il y a relativement peu de sources d'époque : c'est souvent ainsi dans les ouvrages à large ambition (les sources d'époque étant elles-mêmes étudiées par les sources citées dans la bibliographie)

3) Oui, il semble y avoir ressemblance entre les deux. L'Etat Ottoman semble très décentralisé (autonomie des provinces) mais il n'en demeure pas moins que c'est la Sublime Porte qui déclare les guerres, ordonne la levée en masse, s'enrichit avec les impôts prélevés sur l'ensemble du territoire, etc. Il se pose aussi en grand protecteur de l'islam (il attache beaucoup d'importance par exemple à l'organisation et l'escorte des pèlerins vers La Mecque).
Mais quand on y réfléchit, dès que la Porte tente d'aller à contre-courant, elle fait apparaître la faiblesse de son autorité. ça m'étonnerait, par exemple, qu'un paysan de Palestine ou qu'un petit propriétaire irakien ait jamais entendu parler des Tanzimât, ou des projets d'éducation publique. Ces réformes ont été appliquées en Anatolie, sans doute, et dans les provinces où les gouverneurs les approuvaient eux-mêmes. Mais pas au-delà...

Fanou03
avatar 30/05/2015 @ 10:59:46
Je ne connaissais pas le commentaire sévère de Napoléon III au sujet de l'Empire Ottoman ! Cela me fait aussi penser que Alain Gouttman, dans son livre sur La Guerre de Crimée, évoque (même s'il ne rentre pas dans le détail sur le sujet) les intérêts financiers et commerciaux que les puissances occidentales avaient du côté de Constantinople. France et Angleterre étaient apparemment très motivées pour défendre ses intérêts contre le péril russe. Business is Business...

Radetsky
avatar 30/05/2015 @ 21:32:13
France et Angleterre étaient apparemment très motivées pour défendre ses intérêts contre le péril russe. Business is Business...
N'oublions pas le tropisme fortement développé par les Allemands (chemin de fer de Bagdad...) en vue d'enfoncer un coin dans l'influence anglaise en Orient. La politique bismarckienne prolonge et précède un mouvement qui n'a pas vraiment cessé. L'expansion vers l'est et au travers des Balkans est une vieille tendance germanique. D'où l'alliance avec les Turcs d'où, bien plus près de nous, la reconnaissance précipitée et aveugle de Berlin des républiques nées par l'éclatement de la Yougoslavie. Une connerie équivalente au démantèlement de l'Autriche-Hongrie en 1918.
En tout cas la remarquable critique de Martin est du pain bénit pour ceux qui connaissent mal la Sublime Porte... que je ne vois pas entrer dans l'Europe, mais alors pas du tout. Autre débat.

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