Valadon
avatar 08/05/2014 @ 14:10:20
A l’aube, la ville est deserte. Sous une fine pluie, je traverse le quartier du Courlay. Toutes les maisons sont endormies, volets tires. Trop tot pour l’ecole, pour le travail, pour le cafe du matin.
Centre ville. Sur la dizaine de cafes et de restaurants qui bordent la place, seuls trois ou quatre leveront leurs stores. Les gens de l’office du tourisme appellent cela “la moyenne saison”.
Quelques rues encore, et je coupe le contact. Face a moi, la mer.
J’ai roule toute la nuit. Paris, Orleans, Tours, Poitiers. Cafe-clope dans des stations services en courant d’air, Clapton et Johnny Cash comme compagnie. La voix chaude de Johnny Cash dessine si bien les contours de mes nuits. Jamais deserte, l’autoroute. Je ne sais pas si ca me rassure ou si ca m’ennuie. Derniere clope avant Niort. Je n’ai meme pas sommeil. Je tremble dans mon blouson trop leger pour l’automne qui s’annonce.
Enfin, j’arrive. Pour le lever du soleil. Chez moi.
La portiere qui claque me fait sursauter. Mes membres sont engourdis. L’air de la mer m’arrache de ma torpeur. J’ai envie de rire, comme une folle, comme une gamine. Sur le sentier, un jogger passe sans me voir. Je longe la route avant de descendre les marches qui menent aux rochers.
Les vagues sont fortes, c’est maree montante. Tout a l’heure, il ne restera peut etre plus rien de la plage. J’ai deja vu la mer monter plus haut que le parapet qui borde la promenade. Les grandes marees de septembre.
Comment ais-je pu rester si longtemps sans venir ici ?
Je marche sur les rochers. J’esperais etre emue, touchee, de recaler mes pas dans ceux de la petite fille que j’ai ete. C’est bien plus fort que ca.

Mon esprit et mon corps se rappellent les souvenirs d’enfance, les sensations d’adolescence si intensement eprouves ici.
La petite fille sans inquietude qui courait pieds nus sur les rochers, qui batissait des empires de sable et marchait en equilibre sur les murets qui s’elevaient au dessus de la plage. Un peu funambule, jamais vraiment puisque Pierre etait toujours la pour me tenir la main.
Les rochers etaient des montagnes que nous seuls, les meilleurs alpiniste du monde, parvenions a gravir. Des iles, ou notre navire echouait et sur lesquelles il etait difficile de survivre. Des maisons, des cavernes, des cachettes, des nids.
Entre les murs de pierre et l’ocean, nos jeux ne connaissaient pas de limites. Les rochers etaient tordus, vifs, creuses, sculptes par les marees millenaires. Leur contact meutrissait les pieds, je m’y dechirais les jambes. Mais devant Pierre, pour rien au monde je n’aurais avoue ma douleur. Je la subissais les premiers jours, et puis elle s’estompait.
Plus ages, a l’abri des regards, nous echangions tout ce que deux adolescents ont a s’offrir. Des livres, des idees, des chansons, des cigarettes, des baisers.
Ici, le vent soufflait, caressait nos corps, se glissait dans nos tympans. Les jeux de mon enfance s’accompagnent de la musique du vent, des frissons qu’il laisse sur la peau. Du chant incessant des vagues, du film un peu poisseux dont la mer recouvre tout ce qui s’aventure sur son bord.

Je tremble de plus en plus. Je deniche une pierre plate, m’y pose un instant. La pluie a cesse.
Vingt ans. Cela fera vingt ans, dans tres exactement deux heures, que je suis venue ici pour la premiere fois. Que Pierre, silencieusement, tendrement, m’a offert son royaume.
Vingt ans. Je ne sais pas s’il viendra. Dans mon sac, j’ai ma thermos, j'ai mon pull, mon roman.
Je l’attends.

Pieronnelle

avatar 08/05/2014 @ 15:11:03
Oh que de belles bouffées de souvenirs dans ces textes !
D'abord Val tu fumes trop :-))
Cela m'a rappelé le livre "Un garçon singulier" où il revient dans une cité de son enfance.
Ce Pierre (clin d'oeil hein ?:-) quelle empreinte il a laissé ! Je suis admirative de ces souvenirs encore si puissants 20 ou 30 ans après. Je ne sais qui a inventé la mémoire mais bon sang heureusement qu'elle existe ! Cette malle aux trésors garde des pays, des visages, des sensations qui nous accompagnent toute notre vie. Prends en bien soin, hein Val ?

Marvic

avatar 08/05/2014 @ 17:25:18
Oui, moi aussi j'ai pensé à Philippe Grimbert mais surtout à Olivier Adam. Comme eux, le retour "aux sources", dans ce cas aux bords de mer, pour essayer de retrouver un passé disparu, revivre des souvenirs heureux.
J'espère que Pierre ne va pas tarder Valadon !

Nathafi
avatar 08/05/2014 @ 19:09:47
Beaucoup de nostalgie dans ton texte, Val, la valse des souvenirs que cette mer semble ramener par paquets.

Très beau...

Garance62
avatar 08/05/2014 @ 19:29:01
Un beau texte, Valadon, bien rythmé, très joliment écrit, on a envie d'y être, on attend Pierre avec toi.
Réussi ! Mais les filles sont curieuses (et pas que les filles...), dis, il est venu ? :)

Débézed

avatar 08/05/2014 @ 23:27:47
Beaucoup de sensibilité et d'émotion dans ce texte bien écrit et bien conduit. j'aime son rythme trépidant qui se coule dans celui du pèlerinage qu'il décrit pour déboucher sur un "J'attends" planté là comme la fille sur son caillou. C'est joli !

Sissi

avatar 09/05/2014 @ 00:16:00
Oui c'est vraiment beau...j'aime ta façon de décrire les choses, les sensations du moment, ces phrases courtes, le présent de narration qui alterne avec l'imparfait et les phrases plus longues.
C'est hyper prenant, empreint d'une douce nostalgie tout en mesure.
Et puis il y a la mer...
Arf.....mais il est venu?????

Saint Jean-Baptiste 09/05/2014 @ 11:07:22
Ah ah ! Il aurait bien tort de ne pas venir le Pierre, il aura chaud !
Quel beau texte ! Que de beaux souvenirs !
J'ai pensé à la chanson :
« Là-bas l'océan rend les gens heureux
« Là-bas, les jours sont gris
« Mais il fait beaux quand même...
(air connu)
C'est admirable, cette précision des souvenirs qui reviennent au fur et à mesure qu'on retrouve les lieux de son enfance. Et cette perspective heureuse de retrouver quelqu'un...
Bravo, vraiment !

Débézed

avatar 09/05/2014 @ 13:20:23

Arf.....mais il est venu?????


Toute la magie est dans l'attente, fais nous encore lanterner pendant un moment.

Darius
avatar 09/05/2014 @ 13:27:13
intéressant ces phrases courtes qui en disent long... un amour d'adolescence dont on se souvient... et qu'on voudrait revoir.. Mais n'aura t'il pas changé ? N'est il pas préférable de garder le souvenir de ce qui a été..

Lobe
avatar 09/05/2014 @ 22:30:33
Ron, ron, ron (chat qui ronronne de plaisir). Un titre intrigant, la mer, la mémoire. La mémoire des jeux d'enfant au bord de l'eau, forcément beau. Me fait penser à une bd dont j'ai tout oublié (dont le titre!), sauf ce garçon et cette fille qui se retrouvaient chaque été, et un été il sent bien que quelque chose chez elle a changé. Le début d'une autre aventure. Tu fais remonter plein de souvenirs, vagues qui affleurent, souvenir qui charrient du bonheur. Hon, beaucoup aimé.

Valadon
avatar 09/05/2014 @ 23:20:23
Merci a tous!
Quel bonheur vos petits mots....

Mon Pierre (oui Piero, tu l'as deja croise!! ;-)) n'a jamais totalement disparu de la vie de la jeune femme, ils se sont connus, se sont reconnus, se sont perdus de vue, se sont reperdu de vue, se sont retrouves....etc......oui oui, comme dans la chanson...
La memoire, oui, je n'aime pas la nostalgie, mais le souvenir, ca c'est quelque chose de visceral chez moi :)

Gwenael
avatar 10/05/2014 @ 10:09:37
j'ai pris beaucoup de plaisir à lire votre texte, j'aurais bien voulu poursuivre toute la matinée même. c'est frais, c'est un bonheur simple de revenir sur les traces de notre jeunesse, simple mais pas forcément évident.. passer par Paris, Orléans, Tours, Niort un transit long contre des souvenirs. c'est pas donné à tout le monde, il ne faut pas être fainéant mais sûrement être mené/motivé par quelque chose de puissant... je me demande quelle est la raison?

Antinea
avatar 10/05/2014 @ 10:37:51
Hum... Poitiers, Niort... si ça se peut, je connais cette plage ! ;)
C'est le récit d'un amour d'enfance. Simple, émouvant. Réussi. Mais comme pour beaucoup d'autres textes, je trouve qu'on ne peux pas juger sur si court, que ce récit mériterait plus de lignes, plus de partage. Je vois trop peu les rochers, la mer, et pis surtout, ce Pierre énigmatique dont on ne sait pas à la fin s'il viendra ou non... la suite !

Spirit
avatar 10/05/2014 @ 18:45:22
Jolies souvenirs, retour incertain, soués plein d’espérance, beau texte qui nous ramène toujours plus loin en arriére, là ou tout a commencer et ou tout se poursuivre..

Provisette1 11/05/2014 @ 12:23:28
Emotions a fleur de coeur, poesie de chaque mot pour chaque instant que tu contes si bien: c'est doux, c'est tendre, c'est un de ces petits bijoux qui (me) nous font tant de bien.

Merci, Val.

Magicite
avatar 13/05/2014 @ 00:44:23
Il emporte ce texte au rythme trépidant d'un road movie.
Avec une accumulation de moments pleins de détails à l'accent authentique tu atteint les sensations, le souvenir, ceux qui sont les plus forts et qui comme les bons vins prennent de la valeur avec l'âge, ceux qui nous sont cher et quand ils reviennent nous submergent comme une ivresse sans les mauvais effets(et qui monte progressivement au fil du récit).
Ton écriture et précise(parfois même cela me laisse un peu distant comme devant quelqu'un d'inconnu soudainement rencontrée) et plein de tendresse, celle de l'enfance et de l'adolescence.
Merci pour ces beaux souvenirs.

Tistou 16/05/2014 @ 22:46:57
He Valadon, tu m'as fait peur ! J'ai eu peur d'une autre fin, plus tragique. Mais maintenant je t'imagine, dans ton blouson trop léger, assise sur ta pierre, à frissonner dans le vent et l'air frais de l'aube, à espérer, à n'y pas croire ...
Rien de plus beau que ce genre de démarche. Les actes désespérés sont aussi les plus beaux. Nous manquons d'actes désespérés de nos jours (mais peut-être est-ce moi qui vieillit ?).
Foin de pierre exposée au vent dans l'attente hypothétique, ça n'est plus trop à l'ordre du jour.
On reconnait la vraie Célienne. Elle a quoi dans son sac, notre jeune femme ? Une thermos. Un pull. Et ... ? Un roman ! Tu es une vraie Célienne, no doubt !!

Et la suite, après "Vingt ans", tu vas nous faire le Vicomte de Bragelonne ?!

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