Nathafi
avatar 08/05/2014 @ 11:40:27
Aujourd'hui, c'est son anniversaire... ça fait 30 ans que je lève ma flûte à sa santé, je vois les bulles de champagne monter, puis disparaître, chacune est chargée d'un message à son intention, les reçoit-elle seulement ?

J'imagine qu'elle est entourée de sa famille, de ses amis, que nullement elle ne pense à moi, moi, qui l'ai tout simplement abandonnée comme ça, sans un regard de plus, sans un signe d'espoir.

J'espère qu'elle a vécu sans moi, qu'elle a ri encore, qu'elle s'est émue face à la vie, qu'à nouveau son coeur a battu à tout rompre, que plus que jamais son corps s'est offert, et qu'elle a été aimée, comme il se doit, comme elle le méritait.

Peut-être aurait-il fallu que je la regarde un peu mieux, que je l'entende plus souvent, que je rompe le silence qui s'installait, subrepticement. Mais non, je suis simplement parti, parce qu'une autre me tendait les bras, plus vive, plus fraîche, plus jeune, et que l'amour m'appelait ailleurs.

Pourtant, je pense à elle aujourd'hui, comme chaque année, étrangement, cette date me hante, j'ai pourtant essayé de l'effacer de mon esprit, comme le reste. J'ai brûlé ses lettres, supprimé son numéro de téléphone du répertoire, mais il me revient, comme une leçon apprise dans l'enfance et que l'on n'oublie pas. C'est ridicule, de plus, elle a du en changer. Phénomène étrange, ce jour-là, je ne me sens pas très bien. C'est un jour de joie pour elle, je le lui souhaite, mais pour moi c'est comme un jour de deuil, de chagrin, de silence et d'épuisement. Je me replie sur moi-même, insensible à tout ce qui se passe autour de moi, j'ignore jusqu'à ma femme et mes enfants, et je me laisse envahir par de sombres pensées.

Je m'en veux terriblement, dans ces moments, de ne pas avoir su agir autrement, peut-être en me taisant, en cachant ce qui ne fut, au final, qu'une passade, je serais resté avec elle, on avait tant et tant de choses à faire ensemble, encore...

J'éprouve comme un sentiment d'inachevé, c'est une partie de moi que j'ai laissée en la quittant, je préfère penser que c'est elle qui s'est emparée d'une partie de mon souffle, d'un de mes bras, d'une de mes mains, d'un de mes doigts... Comment expliquer ce sentiment étrange ?

Je ne me souviens plus de l'année, précisément, celle où elle a vu le jour... Son image est devenue intemporelle, je la vois à vingt ans, toujours, je ne l'imagine pas avec cette trentaine d'années de plus, quelques rides ayant creusé son visage. Elle est toujours la même...

Et sa voix qui me revient... Ce que j'aimais l'entendre, assez particulière, plutôt rauque, incomparable. Rien que d'y penser, j'attrape un cafard monstrueux. Je crois que j'aimerais l'entendre, à nouveau, rien qu'une phrase, des banalités...

J'ai froid, la maison s'endort, je ne perçois plus que la respiration du chien. Je me couvre d'un plaid, je suis comme pétrifié, j'ai attrapé la fièvre. Quelques images me reviennent, moments inoubliables de bonheur pur, de ceux qui valent à la vie d'être vécue, malgré son lot de désagréments et de peines. C'est vrai, avec elle, tout semblait plus simple, peut-être aurais-je eu un tout autre destin si je l'avais accompagnée...

Je me réveille, soudain, il est 23h50, plus que quelques minutes de cette horrible souffrance, et demain je serai libéré, enfin. J'aurai un an de plus devant moi, pour oublier. Ou pour l'appeler, enfin, pour son anniversaire...

Spirit
avatar 08/05/2014 @ 11:47:13
Nath que de mélancolie pour un beau texte, lorsque l'on se retrouve seul avec soi même de petits démons viennent nous chatouiller la mémoire la ou elle est le plus sensible...

Pieronnelle

avatar 08/05/2014 @ 12:46:07
Très beau ! Ca coule comme des accents de vérité et la nostalgie et le regret s'installent jusqu'au...jour suivant ! Quand le coeur et la mémoire se rejoignent cela donne de biens belles choses même douloureuses...merci Nath !

Provisette1 08/05/2014 @ 20:48:25
Cette immense, insaisissable douleur du, des si...
L'infini du, des souvenirs qui pleurent, nostalgiques, dans le coeur...
Douce mélancolie slave toujours...

J'aime: oui et xxxx encore.

Darius
avatar 08/05/2014 @ 21:01:21
Un abandon d'une personne qu'on aime encore.. et qui reste toujours présente, même trente ans plus tard..

Pour laisser planer le mystère sur la raison de cet abandon, j'aurai omis cette explication "Mais non, je suis simplement parti, parce qu'une autre me tendait les bras, plus vive, plus fraîche, plus jeune, et que l'amour m'appelait ailleurs...."

Sinon, j'ai bien aimé, c'est plein de poésie, mais l'explication casse un peu l'harmonie et ramène au terre à terre..

Marvic

avatar 08/05/2014 @ 21:11:19
Superbe ce récit masculin chargé de tristesse, de remords, de regrets. Ces souvenirs égrenés, la vie de l'absente imaginée...
Un beau texte rempli de sensibilité... comme son auteure.

Valadon
avatar 08/05/2014 @ 22:20:33
On en a tous, de ces dates qui laissent planer un gros nuage noir au dessus de nos tetes, et faites que vite, on passe au lendemain, que les souvenirs retournent dans leur boite...
C'est si joliement dit Nath! Et j'aime bien cette idee qu'une personne ait pu en quitter une autre, et continue de penser a elle ainsi. Souvent, on parle de la douleur de ceux qui sont quittes, jamais de celle eprouvee par ceux qui quittent....

Débézed

avatar 08/05/2014 @ 23:41:08
J'aime bien Nath' ce parti pris de se mettre dans la peau de celui qui a rompu et qui le regrette, ça donne un autre ton au texte, un regard sous un angle plus original qui implique plus le lecteur dans cette rupture douloureuse à jamais. Et comme l'histoire est belle, pleine de sensibilité et de sensualité jamais révélée mais présente en filigrane, ça donne un beau texte.

Saint Jean-Baptiste 09/05/2014 @ 10:52:26
Nostalgie quand tu nous tient !
Que c'est beau, que c'est puissant comme texte ! Tu as su te mettre dans les pensées d'un autre, c'est très littéraire, très fort, très bien écrit.

L’embellissement des choses après trente ans ! Et que c'est dur de tourner les pages ! La mémoire est une curieuse faculté qui ne retient que les bons souvenirs et l'imagination, cette folle du logis, nous fait penser que la vie aurait été plus belle, si...

Allez, Nathafi, vide ta coupe qui fait des bulles avec nous et oublie ! si ce n'est pour nous pondre encore de si beaux textes...

Saint Jean-Baptiste 09/05/2014 @ 10:53:36
Quand tu nous tienS...

Nathafi
avatar 09/05/2014 @ 19:51:31
Oh vous me faites rougir !

Magicite
avatar 09/05/2014 @ 20:09:25
Moi j'aime bien l'aspect un peu surréaliste de cet oubli impossible.
mis à part ou à cause de ça, je trouve cela très juste psychologiquement: c'est bien l'oubli qui seul nous permet de ne pas sombrer dans la tristesse du passé perdu.
C'est très inventif et joliment écrit,
une personnification de ce sentiment entre remords et regrets, de la mélancolie.
Bravo et merci.

Sissi

avatar 09/05/2014 @ 21:17:02
Ah ça a tout pour me plaire, tout ça...de l'introspection, du tourment, des sentiments, des amours un peu contrariées quand même. Et un point de vue masculin, dieu que ça fait du bien, un peu...
Donc j'aime les textes sur l'amour et le tourment amoureux, et pourtant je n'aime pas lire Barbara Cartland.
Alors qu'est-ce qui fait la différence? C'est tout simplement par ce que ton texte à toi, il est bien. Super bien. J'aurais d'ailleurs tellement aimé qu'il soit tellement plus long!

Lobe
avatar 09/05/2014 @ 22:18:45
Rien que d'y penser, j'attrape un cafard monstrueux.


Oui, rien que d'y penser, à toutes ses vies parallèles que chaque choix génère. Mais les choix amoureux, alors là... ohlala. C'est un très beau texte, dans lequel j'ai été plongée au bout d'une demie-phrase, et jusqu'à la fin. Ne se demande-t-il pas aussi si elle pense à lui, un autre jour de l'année? Ou l'abandon préserve-t-il de ce type d'anniversaire? Ah, les regrets les regrets les regrets... Très beau texte, définitivement.

Nathafi
avatar 10/05/2014 @ 09:04:48
Ah ça a tout pour me plaire, tout ça...de l'introspection, du tourment, des sentiments, des amours un peu contrariées quand même. Et un point de vue masculin, dieu que ça fait du bien, un peu...



Pas facile d'imaginer les pensées d'un homme, mais j'aime bien essayer, quand même !

Sissi

avatar 10/05/2014 @ 09:11:06

Pas facile d'imaginer les pensées d'un homme,


Tu m'étonnes....

mais j'aime bien essayer, quand même !


Je trouve que tu y es parvenue, on ne "voit" pas que l'auteur du texte est une femme.
Et c'était une superbe idée, ça sort un peu des sentiers battus et de la femme qui pleure son amour perdu en soupirant etc.

Antinea
avatar 10/05/2014 @ 10:59:49
Il y a carrément une montée en puissance très efficace dans ce texte. Un bon cru. D'abord une petite pensée, et puis de plus en plus de remords, de douleur (on la sent), de torture interne... Les paragraphes sont séparés par des sauts de ligne, ce qui ajoute encore au sentiment de changement, de phases, dans cette maladie du remords et de l'amour qu'on n'a pas su garder. La fièvre enfin et puis la résignation. J'a-d-o-r-e !

Débézed

avatar 10/05/2014 @ 13:09:15
Ah ça a tout pour me plaire, tout ça...de l'introspection, du tourment, des sentiments, des amours un peu contrariées quand même. Et un point de vue masculin, dieu que ça fait du bien, un peu...

Pas facile d'imaginer les pensées d'un homme, mais j'aime bien essayer, quand même !


Bel exercice Nath', fallait oser, c'est réussi.

Garance62
avatar 13/05/2014 @ 21:44:17
Aïe, ouïlle, j'ai eu mal pour le narrateur ! Réussi, donc ! Après, ce que j'aurais à en dire c'est que ni les regrets ni les remords ne servent ! (Je suis donc bien rentrée dans le texte :)). Là, c'est pire, chaque année rajoute à la culpabilité, à la tristesse, au meilleur d'une autre vie qui aurait pu ...

Pas un couac dans le texte, pas un que je n'ai trouvé. Beau récit. Bravo Nathafi !

Tistou 14/05/2014 @ 23:28:26
Nathafi, Nathafi, dans le catalogue, j'ai attribué ton texte à Frunny. Désolé, je pense que j'ai dû le rentrer juste après le sien et que j'ai dû oublier de changer de nom d'auteur ! Du coup je le remets, à ton nom cette fois ci ... Mille excuses !

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