Pucksimberg
avatar 02/02/2014 @ 12:18:41
Ça y est, je suis parvenue à entrer dans ce livre. Finalement le style d'écriture est bien trouvé car il faut reconnaître que le sujet est très lourd, très douloureux. J'en suis à la page 100. Un paragraphe m'a largement interpellé :

" Ainsi, avec un ciseau transparent,
Sa mort incise en moi une nouvelle :
Celui qui a perdu un enfant
Est éternellement
Une femme."

Très étrange pensée.


Tout à fait d'accord avec toi LesieG, cette phrase m'a marqué aussi ! David Grossman a trouvé certaines images parlantes et frappantes pour décrire l'absence ou le manque.

Pucksimberg
avatar 02/02/2014 @ 12:25:53
p.114.

D'autres scènes ou propos m'ont marqué : cette sage-femme qui permettait la vie et que l'on rattache ici à la mort, ce cordonnier qui a dans sa bouche dix clous rouillés qui rappellent les doigts de l'enfant ...

J'aime cette idée, même si elle est douloureuse, que le mort occupe une place en nous, que son absence physique est transformée en une présence intime. Oui, il est question de la perte d'un enfant, mais certaines remarques renvoient à la perte d'un être cher. Celui qui a perdu un père, une mère, un cousin ... se reconnaît dans ce qui est décrit dans ce texte. Il y a un caractère universel dans ce texte et c'est en cela aussi qu'il est bouleversant.

Même si les personnages disent ne pas toujours trouver les mots pour définir leur souffrance, certaines images ou phrases créées par l'écrivain sont neuves et justes. Je pense par exemple à la phrase citée par LesieG ci-dessus.

Pucksimberg
avatar 02/02/2014 @ 12:34:13
J'ai beaucoup aimé aussi le passage où le centaure qui allie révolte et impuissance invente le verbe "morter" et ses dérivés ( p.99, grand format ) pour blesser la mort par le langage, seule arme entre nos mains :

"Et parfois je joue
Avec elle, avec cette maudite
Pute, je la conjugue :"La mort
Mort", lui dis-je en clignant de l’œil, comme
S'il s'agissait d'un petit jeu
Entre nous :"La mort mortera, ou
Peut-être se mortera ? Sera mortée ?
S'emmortera ?" Je récite avec elle, patiemment, encore
Et encore, j'essaie, je remâche, "Nous
Nous sommes mortés, vous vous
Morterez, elles se morteront" ... Je la combats
Comme ça, que puis-je faire d'autre,
Pas écrire, pas
Vivre, il reste au moins
La langue, elle au moins est encore un peu
Libre ..."

Bravo au traducteur qui a pu restituer un tel passage !
Même ces néologismes sont parlants. Le verbe "S'emmortera" donne vraiment l'impression que le centaure souhaiterait que la mort s'étouffe elle-même.

Ndeprez
avatar 02/02/2014 @ 20:55:11
J'ai bien aimé le passage que tu cites...Il m'a fait penser à l'omniprésence de la mort quand celle ci vous prend un enfant.
Tellement présente qu'elle se conjugue à toutes les sauces.
J'en suis à la page 170 ...je n'accroche pas plus que ça , le style me pose problème.
Il me semble que les marcheurs sont au purgatoire , l'errance , le fait de "tourner en rond" semblent réunir les protagonistes.
Et puis cette muraille que nul n'avait vu auparavant , signifie t-elle qu'ils ne peuvent pas sortir ? Seraient ils donc "emmurés" dans leur souffrance ?

Paofaia
avatar 03/02/2014 @ 03:01:44
Je trouve que c'est un très beau livre,je n'ai pas fini ( p148, mais j'ai repris au départ)

@Donatien: tout n'est pas poésie. Chaque personnage a un langage, et, effectivement, comme c'est très travaillé et que l'on sent que l'on va vers un choeur, oui, je crois aussi qu'il faut lire lentement. les voix vont se réunir? Elles ont déjà commencé où j'en suis, puisque ce sont maintenant: " ceux qui marchent" ; Le chroniqueur est la voix off, oui, qui rapporte les actions observées au Duc. Mais c'est aussi un acteur, il a perdu un enfant aussi. Mais le Duc lui avait interdit d'en parler. Et lui aussi.. Le lieu regroupe tous ceux qui ont perdu un enfant?

"La seconde surprise est de voir réagir le père après cinq ans!!Il me semble assister au "réveil" des parents , au sortir de l'hébétude provoquée par la tragédie.":
Il y a toutes les étapes du deuil, et là, c'est la sidération. Le couple continue à vivre :

Mais nous nous le sommes promis
Nous en avons fait le serment
Nous serons, nous aurons le mal
De lui, il nous manquera
Et nous vivrons.
Alors que se passe-t-il, maintenant,
Que s'est-il passé tout d'un coup
Pour que tu déchires tout
Comme ça?


La femme semble être en avance sur le chemin du deuil. L'homme qui marche , qui cherche un là-bas, n'en est pas encore là.
Il n'est plus en sidération, mais il lui faut agir, se révolter.

@Leslie:
" Ainsi, avec un ciseau transparent,
Sa mort incise en moi une nouvelle :
Celui qui a perdu un enfant
Est éternellement
Une femme."


Oui, en fait peut être pour mettre en mot ce qu'est la paternité qui n'a pas l'évidence de la maternité?

@Pucksimberg : oui..Mais le centaure est l'écrivain.
Incapable de comprendre quoi que ce soit tant que je ne l'écris pas.. Ecrire réellement, te dis-je, pas seulement ruminer ce que mille personnes ont mâché et vomi avant moi...: Je dois le recréer sous forme d'histoire..

Le traducteur, c'est Emmanuel Moses:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Emmanuel_Moses

Donc l'homme qui marche entraîne les autres, libère leurs paroles. Certains n'en avaient pas parlé depuis des années, certains ( le prof de math!) ont des remords.
Il est plus facile de " partir" , d'agir, que de rester dit sa femme.

p 91, on voit qu'il avance vers un adieu..

Et tous, réunis , se posent une seule et même question: qu'est ce que la mort.. J'en suis là , pas encore à la muraille.

Ndeprez
avatar 03/02/2014 @ 07:02:11
Voila je l'ai fini...
Mes impressions : je ne suis pas fan du style, le texte est vraiment admirable mais ne lisant jamais de poésie j'ai parfois été décontenancé par cette façon d'écrire.
Mais c'est une très belle histoire , je suis d'accord avec la sidération dont tu parles Paofaia , les parents étaient trop choqués pour réagir.
Il n'empêche que je m'interroge sur ce monde où tous ont subi la perte d'un enfant.
Afin de ne pas dévoiler, la fin j'attend que tout le monde finisse sa lecture.

FranBlan

avatar 03/02/2014 @ 07:18:45
D'autres occupations aujourd'hui, très peu lu...

Page 81


@ Donatien
La première surprise est la forme choisie par l'auteur, ce qui décuple notre attention. Je crois qu'il a utilisé la poésie pour que le pouvoir des mots choisis soit augmenté, sollicite une plus grande attention.

D'une part sûrement, d'autre part par pudeur, cette forme de style et tous les autres personnages procurent à l'auteur beaucoup plus de liberté, de latitude qu'un récit au "je" ...

Et qui sont ces personnages?
Toutes les facettes de sa douleur, de sa souffrance?

Toute cette poésie est très belle même si douleureuse à la limite de l'insoutenable, c'est l'hermétisme du style qui m'achève!

LesieG

avatar 03/02/2014 @ 09:15:17
J'ai aussi terminé ce livre. Un peu du même avis que Ndeprez, le style est difficile à appréhender d'autant que le sujet est particulièrement douloureux.
J'ai aussi beaucoup apprécié la conjugaison du mot "mort".
Malgré tout je ne regrette pas d'avoir participé à cette lecture commune.

Pucksimberg
avatar 03/02/2014 @ 15:17:38

@Pucksimberg : oui..Mais le centaure est l'écrivain.

Incapable de comprendre quoi que ce soit tant que je ne l'écris pas.. Ecrire réellement, te dis-je, pas seulement ruminer ce que mille personnes ont mâché et vomi avant moi...: Je dois le recréer sous forme d'histoire...


Oui, je viens de lire un passage où c'est clairement dit. Le centaure allie la brutalité animale et à la fois le raisonnement de l'homme, mais c'est surtout une figure de l'écrivain :
" ... Est-ce que tu as déjà vu un tel croisement, une telle malédiction ? Mi-écrivain mi-bureau ? Voilà ..." ( p.123, grand format )

J'aime beaucoup cette image comme si l'écrivain ne pouvait se détacher de son bureau ...

Pucksimberg
avatar 03/02/2014 @ 15:19:07


Et qui sont ces personnages?
Toutes les facettes de sa douleur, de sa souffrance?



Je pense un peu comme toi FranBlan. On a vraiment l'impression que tous ces personnages incarnent les diverses facettes de sa douleur.

Pucksimberg
avatar 03/02/2014 @ 15:32:46
p.184.

Je me suis habitué au style, à cet univers qui rappelle les grands mythes ... et comme Paofaia, j'aime beaucoup !

Ce voyage dont il est question dans tout le roman semble être davantage un voyage intérieur. Je ne sais plus à quelle page l'un des personnages affirme que "là-bas" c'est peut-être en nous, parce que la douleur est prisonnière de notre corps.
Et ce grand mur, la nostalgie, renvoie bien à un ressenti intime.

" ... Je lui ai dit : Puis-je
Te demander une faveur ?
Je veux apprendre à séparer
La mémoire
De la douleur. Du moins en partie,
Autant que possible, afin que tout le passé
Ne soit pas à ce point imprégné de douleur."

Ce sont des personnages qui souffrent et ne parviennent plus à vivre pleinement, d'où les problèmes de respiration évoqués parfois. Par cette marche, souhaitent-ils réussir à dire au revoir à ceux qu'ils aiment tant ? Sans pour autant tirer un trait sur eux, évidemment !

FranBlan

avatar 04/02/2014 @ 00:15:31
p. 133

Je m'habitue aussi de plus en plus au style, de moins en moins à toute l'expression de cette souffrance sous toutes ces formes.

À la lecture du passage où le personnage conjugue le mot «mort», il y a consensus!
Nous sommes tous raliés à la même émotion douleureuse.

Une ode polyphonique aux affres du deuil d’un enfant: la douleur, la souffrance, le remords, la culpabilité, le déni, la colère, l’isolement, la solitude et autres…, formulée au moyen de symboles, d’allégories, de métaphores et j’en oublie!

Si l’auteur avait été peintre, de la même façon il aurait brossé un tableau magistral qui aurait exprimé les mêmes affres à multiples coups de pinceaux, brosses, spatules, aux couleurs plus violentes les unes que les autres.

Un texte d'une rare beauté, qui ne peut être consommé dans l'indifférece.

Paofaia
avatar 04/02/2014 @ 04:35:02
"Un texte d'une rare beauté, qui ne peut être consommé dans l'indifférece."

C'est vrai, c'est un texte magnifique.

je ne sais pas si les personnages incarnent toutes les facettes de sa douleur, car ils sont bien personnalisés. Leur point commun est la perte d'un enfant, mais c'est tout. Le laps de temps écoulé depuis la mort est différent, la mort elle-même est différente, en fait leur autre point commun est de ne pas avoir pu exprimer cette douleur. L'homme qui marche leur permet, en avançant dans le chemin du deuil , de la dire. Et le centaure, de l'écrire . C'est vrai que c'est une très belle image d'écrivain!
On les sent tous progresser, avec des retours en arrière, qui ne cesseront pas bien sûr.
Mais ils avancent..

Seul le désir persiste
En moi, comme une malédiction,
Comme une maladie-
Marcher, continuer à marcher
Encore-
Peut être
Qu'arrivé à une ultime frontière
Où ma raison ne parvient
Pas, je pourrai m'incliner
Et déposer
Ce lourd fardeau, pour ensuite
Reculer d'un pas
Guère plus, d'un petit
Pas grand comme le monde
Me résigner
Et concéder: Je
Suis ici
Il est
Là-bas
Et une frontière éternelle
Passe entre ici et là-bas.
Me tenir ainsi,
Et ensuite, lentement,
Prendre conscience,
Me remplir tout entier
De cette conscience
Comme la plaie se remplit
De sang:
Voilà ce qu'est
La condition humaine.

Donatien
avatar 04/02/2014 @ 11:18:39
La forme donnée au texte implique le ralentissement de la lecture.
La ponctuation joue un rôle très important pour les respirations
suggérées au lecteur. Elle favorise sa participation et son empathie.

Le centaure est pour moi l'écrivain et le père. Voir sa proclamation reprise en caractères gras "JE DOIS LE RECREER SOUS FORME
D'HISTOIRE. (p.83) Je ne peux pas faire autrement. Lui insuffler mon propre souffle. Que les personnages aèrent un peu ma geôle";

L'important du texte est le constat que les parents en deuil d'enfants sont nombreux autour de nous, mais ils sont en général discret et taiseux.
Mais leur nombre doit nous interpeller. Il n'est pas naturel de perdre son enfant! La douleur de la perte est encore différente puisque incompréhensible!
"Seule une certaine catégorie de personnes est en mesure de distinguer l 'INCANDESCENCE émanant de ces parents", parce qu'ils brûlent en effet.
Souvent la crainte de ce malheur empêchent de les accompagner dans leur marche.
Je trouve magnifique ces cortèges de parents vers la mort afin de rejoindre leurs enfants "tombés hors du temps".
Même si certains déclarent "Retrouve
La paix,
Vite
L'obscurité,
L'oubli.
(p.130)

Ce livre devrait être comme un missel pour cultiver la fraternité humaine, que ce soit pour la joie ou la douleur de vivre.

A+

Ndeprez
avatar 04/02/2014 @ 12:44:57
La fin fait penser à une lente procession où les parents , unis dans la douleur , tentent de rejoindre leurs enfants.
Le sujet de ce livre est très délicat , l'auteur a su le traiter avec une grande élégance.
Comme je l'ai dit plus haut , le style m'a un peu heurté mais je pense que je le relirai d'ici quelques temps.

Pucksimberg
avatar 04/02/2014 @ 17:15:39

Une ode polyphonique aux affres du deuil d’un enfant: la douleur, la souffrance, le remords, la culpabilité, le déni, la colère, l’isolement, la solitude et autres…, formulée au moyen de symboles, d’allégories, de métaphores et j’en oublie!

Si l’auteur avait été peintre, de la même façon il aurait brossé un tableau magistral qui aurait exprimé les mêmes affres à multiples coups de pinceaux, brosses, spatules, aux couleurs plus violentes les unes que les autres.


Dans sa construction et dans le choix de certains procédés, le roman est d'une grande richesse. On avait parfois l'impression que les personnages ne parvenaient pas à trouver les bons mots pour définir l'indicible, pourtant l'auteur y parvient par des trouvailles frappantes.

Pucksimberg
avatar 04/02/2014 @ 17:16:19

Ce livre devrait être comme un missel pour cultiver la fraternité humaine, que ce soit pour la joie ou la douleur de vivre.


Tout à fait d'accord avec cette idée !

Pucksimberg
avatar 04/02/2014 @ 17:20:58
La fin fait penser à une lente procession où les parents , unis dans la douleur , tentent de rejoindre leurs enfants.


Unis dans la douleurs, ils parlent même d'une seule voix. Dans les répliques de "Ceux qui marchent", on reconnaît à certaines phrases certains personnages, mais l'auteur amalgame leurs propos. C'est la voix de la douleur et de l'incompréhension.

Pucksimberg
avatar 04/02/2014 @ 17:34:54
p.204. ( SPOILER : à ne pas lire si vous n'avez pas terminé le roman ... )

J'ai terminé le roman.

Certaines scènes sont vraiment frappantes et très visuelles, comme ces parents qui se déshabillent et se couchent dans la terre comme si cette dernière voulait les ingérer, tout comme ces visages aussi qui apparaissent sur ce haut mur. Cette vision est assez impressionnante et l'on voit tout ce que projettent les hommes sur ce mur, qui est comme un écran de cinéma, stimulé ici par la nostalgie, le souvenir ... L'image des braises aussi est forte.

Même si le texte reste digne et pudique, la courte réplique dans laquelle les parents appellent leur enfant est très émouvante. ( p.196-197, grand format ). Tout aussi émouvante est l'affirmation de l'homme qui marche :

" ... L'enfant
Est mort,
Je reconnais
Qu'il y a du vrai
Dans ces mots. Il est mort,
Il est
Mort.
Mais
Sa mort,

Sa mort
N'est pas morte."

Et cette réplique finale !!!!

Saule

avatar 05/02/2014 @ 21:59:11
Ouf, je l'ai fini. Je n'ai été sensible à la forme et du coup je suis passé à côté du livre. Dommage, quand je lis vos avis je me doute que je j'ai raté quelque chose.

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