Philippe Besson par Sirocco, le 17 mai 2006
On pourrait croire que vous avez changé de maison d' édition. Ce n’est pas le cas. Il s’agit du premier roman qui ouvre une nouvelle collection chez Grasset. Pouvez-vous nous expliquer l’idée de cette nouvelle collection?
Grasset a créé une collection qui s’appelle « Ceci n’est pas un fait divers », dans laquelle les gens de Grasset ont demandé à une douzaine d’écrivains parmi lesquels Benoît Duteurtre, David Foenkinos, Eric Neuhoff, Patrick Rambaud, de s’emparer d’un fait divers et d’en faire une relecture subjective et romanesque. C’est quelque chose qui avait déjà existé en 1930 chez Gallimard, puisque André Gide avait créé en 1930 une collection qui s’appelait « Ne jugez pas » ; c’est donc le prolongement de cette idée de Gide. Et puis, c’est en cohérence avec l’histoire littéraire puisque "le Rouge et le Noir" de Stendhal, c’est l’affaire Berthet qui s’était produite trois ans auparavant. L’idée est de s’inscrire dans cette tradition littéraire où l’on demande à des écrivains de réconcilier littérature et fait divers. Je suis le premier à ouvrir la collection.
Est-ce que vous avez choisi le fait divers que vous avez romancé et en sera-t-il ainsi pour les prochains auteurs ?
Chacun d’entre nous a choisi son fait divers. Je l’ai choisi pour plein de raisons. La première parce que c’est un fait divers qui est en cohérence avec la totalité de mes obsessions d’écrivain et les thèmes qui sont récurrents dans mes livres. La plupart de mes livres évoquent la disparition d’un être cher, le lien mère-fils. L’exploration du lien familial est quelque chose qui m’intéresse beaucoup, la façon dont on accomplit son deuil, ça aussi, c’est très présent dans ce que j’écris. L’idée de la solitude du coupable idéal face à la meute, il y avait ça dans mon précédent livre « Un instant d’abandon ». Toutes ces thématiques-là, je les ai retrouvées dans cette affaire particulière, et puis après, cette affaire, elle relève pour moi d’une sorte de mythologie c’est-à-dire qu’elle appartient à l’inconscient collectif. Elle commence à appartenir à l’histoire puisqu’elle s’est produite au début des années 80.
Avez-vous rapidement accepté de vous lancer dans cette collection de faits divers. Ou cela a-t-il suscité des hésitations, une longue réflexion ?
Non, je n’ai pas hésité. C’était l’occasion de travailler avec un autre éditeur dans un autre contexte. C’est vrai qu’en littérature, il faut aussi trouver des nouvelles façons de s’exprimer. J’ai pris ça comme une expérience extrêmement intéressante et enrichissante. J’ai tout de suite accepté. J’avais envie d’aller chercher du côté des faits divers et du réel, et de comprendre. C’est quelque chose qui m’intéressait !
On peut dire que ça dépasse la fiction ?
C’est exactement ça le fait divers, c’est le moment où le réel dépasse la fiction. Pour un romancier, c’est forcément source de questionnement. C’est pour cela que tant de romanciers vont travailler pour cette collection.
C’est une occasion de découvrir une autre façon de travailler. Comment s’est passé ce travail de recherche ? Combien de temps avez-vous mis pour vous imprégner de cette affaire ?
Effectivement, on m’a fourni un dossier de presse de plusieurs étages, des livres qui se sont écrits sur l’affaire. Je n’ai fait que lire pendant deux mois. Ensuite il a fallu oublier toute cette documentation pour être juste dans la dynamique d’un romancier en train de réinventer une histoire avec son propre univers et ses propres images dans la tête. J’ai fait la même chose lorsque j’ai écrit les six derniers mois de la vie de Rimbaud. J’ai lu énormément.Ensuite, j’oublie et je me mets dans la tête et dans la peau d’un personnage et j’essaie de porter un regard sur une histoire
Le fait de vous emparer d’un fait divers dont les personnes sont toujours vivantes ne vous a pas posé de problème dans l’écriture romanesque de ce livre ?
Je le prends en compte, évidemment. C’est quelque chose qu’on intègre tout de suite. Il y a plusieurs réponses à ça. Tout d’abord, ce n’est pas la première fois que la littérature s’empare d’un fait divers dont les personnes sont toujours vivantes. Je pense à Truman Capote, Roberto Zucco de Bernard Marie Koltés, ou même à Norman Mailer. Donc il y a déjà une grande tradition dans ce domaine-là. La deuxième chose, c’est une histoire qui a dépassé le strict cadre des gens que ça concerne, pour devenir une histoire à propos de laquelle tout le monde a un regard et un avis. C’est mon regard sur une affaire qui appartient à notre patrimoine d’une certaine manière. Et puis autre chose, c’est que les Villemin eux-mêmes ont accepté qu’une fiction télévisuelle soit tournée à partir de leur histoire. Vous savez qu’en septembre prochain, il y aura, sur France 3, six épisodes sur l’affaire Villemin. Donc, à partir du moment ou la famille elle-même accepte l’idée d’une fiction autour de son histoire, je ne vois pas pourquoi un romancier aurait été interdit de faire ça.
Vous avez pensé à changer les noms ?
L’histoire est tellement forte que changez les noms aurait été un faux nez.
Tout au long du livre, vous défendez l’innocence de Christine Villemin ; vous parlez également en son nom dans une sorte de journal intime. Est-ce votre intime conviction ou juste un point de vue ? Vous auriez pu défendre sa culpabilité ?
Oui je prends sa défense du début à la fin du livre Il y a 20 ans, Marguerite Duras avait écrit un article dans Libération dans lequel elle pointait la culpabilité de la mère. Elle disait : « Je suis allée devant la maison, j’ai vu la maison et je suis certaine maintenant que le crime a été commis dans la maison et que c’est la mère qui a tué l’enfant ». C’était en 1985. Il y a eu pas mal de rebondissements. Elle n’a d’ailleurs pas été condamnée. Moi, j’ai une intime conviction qui est d’ailleurs corroborée par ce qu’a décidé la justice, c’est l’innocence de Christine Villemin. Donc je l’ai développé dans ce roman
Vous auriez pu aussi prendre le point de vue du père, car en tant qu’homme, ça aurait été plus facile pour vous de parler au masculin ? Mais je pense que vous aimez écrire au féminin ?
C’est pour ça que ce livre est cohérent dans mon parcours littéraire, c’est la quatrième fois que je prends la voix d’une femme. J’adore l’idée de me mettre dans la peau d’une femme. C’était évident pour moi. C’est la mère qui a occupé tour à tour le statut de mère suppliciée et puis de mère soupçonnée ; elle va quand même être inculpée et mise en prison. Le père, lui, n’a jamais été soupçonné d’avoir tué l’enfant. Il a fait de la prison car il a commis un crime J’avais envie de montrer la façon dont la folle machine médiatique et judiciaire se met en branle pour rayer quelqu’un, et comment la mère va faire face à la meute de ses accusateurs au tribunal de l’opinion, et comment elle va essayer de s’en sortir.
Etes-vous en train d’écrire un nouveau roman ?
J’ai quasiment terminé le livre que je publierai, je pense, chez Julliard, l’année prochaine en mars 2007. Ce sera un roman autour de la séparation et de la façon dont ont accompli le deuil de quelqu’un qui a décidé un jour que vous ne deviez plus partager sa vie.
Quels sont les auteurs que vous aimez lire pour le moment ?
J’adore Philippe Claudel. « Les Ames grises », c’est un livre sublime sur une histoire tragique. J’aime beaucoup Laurent Gaudé. Il y a une sorte de souffle hippique, il a le sens de l’épopée. Dans « le Soleil des Scorta », il arrive à avoir le souffle tragique de l’épopée rapportée à des petites choses, des petites gens avec leur bar-tabac, et c’est vraiment beau. Je suis très admiratif. Je serais incapable de faire ça, mais je le lis avec beaucoup d’admiration.
Et les Classiques ?
Il y en a énormément. J’ai relu le Rouge et le Noir, c’est juste une pure merveille !!! Les correspondances de Flaubert, c’est un des plus grand livre de la littérature. Je suis un vrai fan de Proust. Il était d’ailleurs un personnage de mon premier roman.
Pour terminer cette interview je vous cite l’exergue du livre :
« Ce crime est insondable. Souvent, on le perd de vue là ou on croyait le trouver, et il disparaît quand on s’en approche. De très près il n’en reste rien que la monstruosité de l’innocence. Dans ce crime, on est allé jusqu'à la dernière couche du mal ». Marguerite Duras libération, 17 juillet 1985