Nina Bouraoui par Sirocco, le 8 janvier 2006

Née à Rennes en 1967, de père algérien et de mère bretonne. Elle a reçu le Prix Livre Inter 1991 pour 'la Voyeuse interdite'. Elle a vécu en Algérie de 1970 à 1980, dans le Hoggar et le Tassili, avant de revenir en France. Elle a reçu, pour son livre 'les Mauvaises Pensées', le Prix Renaudot 2005.

« Pendant trois ans, je me suis rendue une fois par semaine chez le docteur C. À chaque séance, j’avais l’impression de lui donner un livre. Il s’agissait toujours de liens, de séparations, de rencontres. A chaque séance, je construisais et déconstruisais un édifice amoureux. Mes Mauvaises Pensées est le récit de cette confession. J’ai voulu raconter le métier de vivre et le métier d’aimer. Ce n’est pas le récit d’une thérapie, ce n’est pas une légende, c’est un roman, parce que c’est une histoire rapportée ; c’est l’histoire de ma famille, de l’Amie, de la Chanteuse, d’Hervé Guibert, c’est l’histoire de mes deux pays. Je n’ai jamais quitté l’Algérie, on m’a enlevée à l’Algérie, je n’ai jamais fait mes adieux, j’ai appris à devenir en France, et je crois que je suis née deux fois. Mes Mauvaises Pensées est aussi mon retour vers le pays où j’ai laissé quelque chose qui n’a jamais cessé de grandir dans mon dos, et qui n’a jamais cessé de m’effrayer. » Nina Bouraoui


La première question qui vient à l’esprit lorsque l’on termine le livre, c’est de savoir comment vous vous sentez après l’écriture de ce livre qui semble important pour vous et dont vous dites vous-même qu’il est une thérapie ?

Ce n’est pas un livre qui soigne, je ne crois pas du tout à l’écriture qui soigne. L’acte d’écrire, déjà, me soigne. Quand l’écriture vient, je suis équilibrée, je suis moi, je suis tranquille, je suis quelqu’un d’heureux. Ce livre est un travail d’un an, à raison d’à peu près 10 heures de travail par jour. C’était très condensé, mais j’étais très concentrée. Ce n’était pas comme « la Vie heureuse » où il y avait comme une sorte de rendez-vous amoureux où j’étais très légère. Là, je savais que c’était un livre important pour moi car, à la fois, il clôt des thèmes qui me sont assez chers, et puis il ouvre sur quelque chose d’autre parce que c’est quand même un livre qui est fait, aussi, d’inventions. Il y beaucoup de déformations, même si la part autobiographique est assez importante. Il y a des choses que j’ai prises à beaucoup de gens. J’ai vraiment fait mon vampire. Pardon ! Je ne pense pas les avoir heurtés. Je le fais toujours dans un soucis de respect, parce que je trouve que c’est assez facile de régler ses comptes dans l’écriture et moi, je ne suis pas un auteur qui règle des comptes. C’est vrai que, quand j’ai eu fini le livre, il y avait un vide, mais comme dans chaque métier, lorsque l’on est concentré pendant un an sur quelque chose. Mais ce qui est bien c’est qu’en racontant ces phobies d’impulsion, j’avais beaucoup de distance, car j’ai terminé ma thérapie il y a trois, quatre ans maintenant. C’est déjà assez loin de moi et je ne voulais pas raconter ça dans une extrême sincérité ou une extrême vérité. Je voulais raconter le processus de l’inconscient. Ce qui se passe lorsque l’inconscient se libère et que la parole est très libre. Quel livre ça pourrait donner ? Parce que, quelque part, c’est un livre quand on va chez un thérapeute et que l’on se confie, un livre personnel et puis après quand on fait ce métier, on raccroche d’autres wagons à ce train-là. La thérapie, c’est proche de la littérature, ça agit sur la mémoire, ça fait des liens, il y a des souvenirs et ce livre, c’est le livre des liens, c’est le livre des correspondances entre des gens qui n’auraient jamais pu se rencontrer normalement mais qui, là, sont invités et cohabitent ensemble. Tous les temps des années 60 à 2000, tout le monde est ramassé dans une sorte de spirale. C’est vrai que le livre est écrit en spirale, il n’y a aucun blanc. Le lecteur n’est pas pris en otage, parce que je trouve ça peu violent, mais, en tous les cas, il est hypnotisé. C’est un peu un livre de charmeur de serpent, et j’aime bien l’idée que le langage puisse être un langage hypnotique. C’est vrai que pour moi, la forme est souvent plus importante que le fond. J’aime beaucoup la musique, je fais très attention à la musique des mots.

C’est vrai, on aurait presque envie de le lire à voix haute…

C’est vrai, c’est un livre qui se dit.

Votre livre est écrit comme un long monologue, vous donnez l’impression de l’avoir écrit d’une traite. On imagine bien que ce n’est pas le cas. Comment travaillez-vous et quelles difficultés avez-vous rencontrées lors de l’écriture ?

Je rédige à l’ordinateur, mais avant, il y a deux cent pages qui ont été jetées et avant les ces deux cents pages, il a des notes, mais surtout un plan très serré, très précis, un plan de cinq pages. Et puis, quand je rédige à l’ordinateur, j’ai une petite feuille à côté qui serait comme un conducteur où je note mes scènes, et je sais exactement où je vais. Pour ce livre, c’était vraiment important de savoir, car c’était très facile de faire des redites, des répétitions, de faire des contradictions, car c’est tellement touffu, il y a tellement de choses, un événement renvoie toujours à un autre qui renvoie à autre et ainsi de suite, et puis ça forme une sorte de cohésion. Il y a une logique à tout. C’est un peu le principe des poupées russes. C’est aussi le principe de la mémoire et de l’amour. Je dis souvent qu’on est composé de strates amoureuses, mais c’est vrai que d’un premier amour en découlent d’autres, d’un premier souvenir en découlent d’autres…Ce livre c’est peu un millefeuille.

Vous parlez beaucoup de l’écriture dans votre livre, Vous écrivez que vous rêvez d’un livre de transformation qui vous suivrait depuis votre enfance. Vous voulez TOUT écrire, vous dites : « c’est ma théorie de l’écriture qui saigne » ?

Quand je parle de l’écriture qui saigne, ce n’est pas négatif. Quand je dis « le sang, pour moi c’est la vie », c’est l’écriture qui déborde, qui ne s’arrête jamais. Un livre qui contiendrait toute une vie, c’est le mythe du livre idéal. C’est un peu le fantasme de tous les écrivains.

Vous dites aussi : « l’écriture est une prison, je dois la justifier, la réparer, je dois la supporter quand elle ne vient pas, quand elle est mauvaise » ou encore que vous êtes folle d’écriture car elle ferme votre petite enfance et aussi qu’elle est une façon de fuir la vie… Il y a quand même beaucoup de souffrance pour vous dans l’acte d’écriture ?

Je trouve que l’on vit dans un monde d’une violence extrême. Moi, je suis quelqu’un de très gai et de très heureux, même si j’écris des livres un peu graves, mais je suis très consciente de la violence du monde et je n’ai pas mis de barrière, c’est-à-dire que cette violence-là me traverse. Je ne suis pas violente et celle que j’ai est directement dirigée contre moi-même. J’ai très peur de la violence. Mais j’ai quand même conscience que ça aide à vivre parce que l’écriture, c’est entrer dans un autre monde. Il y a l’expérience de la transcendance, en tout cas, j’en suis persuadée. Lorsque j’écris, je ne me sens pas écrivain ou intellectuelle. Je me sens vraiment artiste, et je trouve que l’acte de création, c’est vraiment rentrer dans un deuxième monde qui serait tout d’un coup assez fou, pas un monde poli ou lisse, mais en tous les cas doux et violents. Et puis, elle est douloureuse, cette écriture-là, quand elle ne vient pas. Comme je pense qu’il y a des gens qui donnent l’écriture, d’autres qui la retirent. Il y a des gens qui vous inspirent et d’autres qui vous enlèvent tout.

Vous êtes vous déjà retrouvée face à une perte d’écriture ?

Une écriture qui disparaît, ça m’est arrivé à deux reprises, à chaque fois pendant un an et c’est vraiment très difficile. C’est épouvantable, car je ne sais faire que ça. Et puis écrire, c’est désirer. J’ai toujours fais ce lien entre l’amour, le désir, la vie, l’écriture. Je crois que créer, avoir des projets, c’est toujours aller dans la vie.

Vous parlez beaucoup de l’écrivain Hervé Guibert ; quels sont vos autres auteurs de prédilection ?

Ma première rencontre, c’était Marguerite Duras ; j’étais assez jeune, donc je ne comprenais pas tout, mais j’avais saisi l’importance de la musique. J’ai eu la chance inouïe de la rencontrer ; j’avais 24 ans, j’ai été chez elle dans le cadre d’une émission. On avait fait un reportage sur le parcours d’un premier roman ; j’étais le fil conducteur mais illustré par des auteurs plus que confirmés dont Marguerite Duras. J’étais comme une groupie, j’avais vraiment l’impression d’être devant un mythe.Une femme qui parlait comme elle écrivait, et j’ai trouvé ça tellement émouvant. Un personnage vraiment envoûtant ! Et puis, j’ai beaucoup lu Oscar Wilde, Annie Ernaux,, Dostoïevski, Flaubert… J’ai toujours mélangé classiques et modernes…

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