Hubert Mingarelli par Tistou, le 7 novembre 2004

Entretien avec Hubert Mingarelli, le 14 octobre 2004, dans sa maison, à 1000 m d’altitude. Nous sommes dans les nuages, il crachine. Nous venons de prendre le café en essayant de faire connaissance. Hubert Mingarelli est né en 1956. Il a publié 11 livres et obtenu le prix Médicis 2003 pour « Quatre soldats ». Dernier livre paru : « Hommes sans mère », en mai 2004.

Vous disiez en préalable que vous souhaitiez changer ?

En fait, ça fait une quinzaine d’années que j’écris. Pendant une dizaine d’années, plutôt à mi-temps. Je faisais plein de petits boulots pour avoir le temps d’écrire. Et depuis, j’écris à plein-temps. Je vis de mes livres et je ne fais que cela.

Une quinzaine d’années. Qu’est-ce qui vous a amené à l’écriture à cet âge-là ? Et pourquoi pas avant ?

Voilà, là on arrive au coeur du sujet. Je n’ai plus envie, je n’ai plus envie de le dire. Je trouve cela bien plus intéressant plutôt que je vous raconte toute ma vie, et puis voilà. Parce que si on choisit justement ce métier-là - mais on met du temps avant de s’en rendre compte - cette activité-là, c’est justement parce qu’on n’aime pas raconter sa vie. Bien qu’on mette toute sa vie dedans. On n’aime pas raconter sa vie, parce qu’avec les mots, de vive voix, on est maladroit. On oublie plein de choses. On ne sait pas la raconter. Donc on se dit, tiens je vais écrire. Parce que là, j’aurai le temps de choisir mes mots. Alors on ne dit pas non pour cette raison. Puis, quand on commence à être un peu connu …

C’est pesant ?

C’est terrible !

Et vous ne vous sentez pas dire : non, je n’ai pas envie qu’on me pose ces questions ?

Ben, ça y est. Je viens de prendre la décision, là, il y a 2-3 mois de cela. Je me suis dit : il faut que j’arrête.

Pour être concret, ça représentait quelle fréquence ce genre de questions ? Toutes les semaines, tous les mois ?

Plusieurs fois par mois. Ce n’était pas tant la fréquence qui était gênante, que, d’un seul coup, réentendre la question. Des questions légitimes de la part d’un public qui vient me voir. En plus on a accepté de venir. Je n’ai jamais dit à personne : ne me posez pas cette question. J’ai toujours répondu. J’ai toujours pris sur moi, mais au bout d’un moment, on devient un peu schizophrène ! C’est-à-dire, je me suis aperçu qu’on se vide un peu. Je n’arrive pas à comprendre les hommes politiques. Leur métier, en gros, c’est de parler. Ils parlent, ils parlent, ils parlent tout le temps. Et ils en redemandent ! C’est une question de personnalité. Si on a choisi le métier d’écrire, c’est que parler ce n’est pas trop notre truc. Au niveau de la démarche, pratiquement c’est l’inverse pour moi. Introverti/extraverti.

On parlait des gens qui vous sollicitaient pour aller parler dans un théâtre, et qu’en fait, ça vous faisait voyager en permanence ?

D’une part, ça vous enlève de la substance. De la substance de quoi ? Je n’en sais rien. Et en plus, écrire une histoire, c’est vraiment être plongé dedans. Si on part trois, quatre jours, de nouveau, il va falloir réapprendre le texte, que je me réimprègne du sens des mots, de la musique. Il faut repartir à zéro. Quand on le fait d’un jour à l’autre, le matin quand je me lève, je viens d’y bosser la veille, je suis dedans. Alors ces questions qui reviennent pour moi, maintenant elles me … Là, on est ensemble, on est chez moi. Je me sens en sécurité. Enfin tout va bien quoi ! Ces questions qui reviennent toujours, ça m’est insupportable. Du mal à dire pourquoi c’est insupportable. Peut-être un peu c’est rendre des comptes, se justifier ? Mais j’exagère en fait. A force d’avoir entendu ça, c’est comme quand vous tapez sur la tête de quelqu’un, toujours au même endroit. Plus vous tapez sur la tête et plus ça fait mal. Et là, on tape toujours au même endroit. Et ça fait de plus en plus mal.

Et ça, si vous êtes amené à l’exprimer de manière officielle, ça peut être mal pris, ça peut vous nuire ?

Alors je ne vais pas faire une déclaration à l’AFP ! C’est vrai que maintenant je refuse des invitations pour aller discuter. Je réponds non systématiquement. Et en plus, c’est très dur de dire non ! C’est un truc que j’apprends à faire tout le temps. Malgré tout, on n’écrit pas pour des lecteurs. Moi je n’écris pas pour des lecteurs. C’est une très mauvaise idée, je pense, d’écrire pour des lecteurs. On peut comparer ça à la télévision, à des téléfilms. C’est flou un téléfilm. Tant qu’à faire, j’ai choisi ce métier. J’ai la chance de pouvoir le faire. Je suis persuadé qu’avec les moyens que j’ai, j’essaie de faire des films d’auteur. Je le dis modestement, mais je ne vais pas faire des téléfilms ! Ca marche, ça marche pas mais … Le metteur en scène, il fait le film qu’il a envie de faire. Il ne fait pas le film qu’on a envie de voir ! Sinon, je pourrais écouter tout ce qu’on m’a dit depuis que j’écris. Je finirais par faire un amalgame de tout ça, quelque chose de bien formaté. Voilà le danger aussi de ces rencontres. Parce que les trois-quarts du temps, c’est ça. Les gens qui viennent, en général, ils aiment ce que je fais. Ils sont en empathie avec ce que je fais. C’est vachement bien ? Sauf que maintenant, je sais ce qui leur plait dans ce que je fais. Et ça, c’est le danger. C’est un vrai danger. Le vrai danger aussi, c’est qu’on m’explique ce que je fais. Parce que moi je ne connais pas le résultat ! Un lecteur sait mieux interpréter mon livre que moi. Il aura une vision neuve par rapport à moi qui suis dedans et qui ne sais pas trop comprendre ce que je fais, en fait.

Et quelquefois, quand quelqu’un vous explique ce que vous avez voulu écrire, ou ce que lui comprend, ça peut vous choquer ?

Oui, ça me surprend. Evidemment. Parce que quand on écrit une histoire, on pense imaginer entièrement l’histoire. On sait bien qu’il y a plein de moments dans l’histoire qui sont des choses vécues et qui sont des choses qu’on ressent sincèrement et consciemment. Mais tout le reste, c’est de l’inconscient. Mais l’inconscient, c’est nous-mêmes. Et quand les gens mettent le doigt sur votre inconscient … On se sent complètement mis à poil en fait.

Au niveau de l’écriture, c’est s’exposer ? Certains ont un mal fou à ne pas faire de la fiction totale, à ne pas se rattacher à quelque chose qu’ils connaissent ou ont vécu ?

Moi, c’est pareil. Mais en écrivant et en publiant, je ne m’expose pas. Sauf quand je suis devant les gens. Il y a une manière de faire aussi. Je crois que je passe mon temps à cacher plein de choses dans mes histoires. Enfin, à écrire entre les mots, entre les lignes et tout ça … Et quand les gens découvrent ça, voient ce qu’il y a entre les lignes, ils me le disent. Et moi j’en ai l’intuition aussi, je sais, mais je n’en ai pas envie. Tout à coup, c’est une espèce d’impudeur alors que moi, pour écrire, c’est plutôt dans la pudeur, dans la retenue. Et donc, d’un seul coup, ça éclate et … pfft ! C’est vraiment pas facile tout ça.

Un livre, comme « Hommes sans mère » par exemple, votre dernier livre, entre la maturation, l’écriture et la publication, ça demande combien de temps ?

La publication, c’est autre chose, c’est un problème d’éditeur. Mais entre la maturation de l’idée et l ‘écriture, ça demande une petite année.

Et quand vous écrivez, que vous êtes plongé dans un ouvrage, vous vous forcez à écrire ou ça vient plutôt naturellement ?

Ecrire, faire des phrases ? Ecrire un livre, il y a deux choses quand on écrit un livre. Il y a d’abord l’idée du livre qu’on a en tête, l’idée des personnages, l’idée de ce qu’on va dire. Il faut le concrétiser, mais on n’a pas les moyens de dire exactement ce qu’on a envie de dire. Il faut s’en rapprocher le plus possible. Mais même … On a un chef-d’oeuvre dans la tête. Chacun a son histoire. Sa propre histoire est un chef d’oeuvre. Mais la mettre noir sur blanc, … elle va perdre tout ou perdre un peu. Même si c’est banal c’est un chef d’oeuvre. Même une histoire simple est un chef d’oeuvre. Moi je préfère raconter des histoires possibles, simplement humaines, à hauteur d’homme. Pas de grandes choses mais des choses justes et les plus vraies possibles.

Sans être très précis, comment ça naît dans votre tête l’idée d’un livre ? Ça se ramène forcément à un évènement de votre vie ?

Bien sûr. A part ceux qui font de la science-fiction, des romans de genre. Mais en général ça parle de soi tout le temps. Après, il y a l’art et la manière. Comment on va en parler, quel biais on va prendre. Ce ne sont jamais des histoires au premier degré, vécues. Si ! Quelques petites parts, de petits épisodes dans des livres sont des choses que j’ai vécues, exactement comme ça. Mais la trame générale, c’est quand même une fiction. C’est une histoire que j’invente. Tout est inventé. Mais en même temps, je n’invente rien.

D’ailleurs, à la limite, on peut concevoir qu’écrire certains épisodes de sa vie, ça peut constituer un exorcisme de choses qu’on veut chasser ?

qu’il y en a dans le fait d’écrire. Je le vois plus dans le sens où j’ai une vie de tous les jours, je vois du monde, je parle. Et j’ai une vie parallèle qui m’est propre, strictement personnelle : l’écriture de mes livres. J’ai un monde, j’ai une famille à moi. C’est avoir deux vies en fait. C’est pouvoir maîtriser un monde à côté, qui n’est qu’à soi. Ça c’est vachement fort, vachement bien quoi.

D’ailleurs, à la limite, on peut concevoir qu’écrire certains épisodes de sa vie, ça peut constituer un exorcisme de choses qu’on veut chasser ?

Alors la part de thérapie dans tout cela, je l’ignore moi. Je pense qu’il y en a dans le fait d’écrire. Je le vois plus dans le sens où j’ai une vie de tous les jours, je vois du monde, je parle. Et j’ai une vie parallèle qui m’est propre, strictement personnelle : l’écriture de mes livres. J’ai un monde, j’ai une famille à moi. C’est avoir deux vies en fait. C’est pouvoir maîtriser un monde à côté, qui n’est qu’à soi. Ça c’est vachement fort, vachement bien quoi.

Quand vous terminez un livre, vous avez immédiatement quelque chose qui vous remet au bureau pour réécrire ou vous avez besoin de couper, de partir … ?

Pendant longtemps, je finissais un roman et une semaine après je repartais. Maintenant je marque un peu le coup. Quand même, quinze ans c’est long. Quinze ans à se creuser la tête. J’ai peut-être plus de facilité dans l’expression … En gros je sais écrire un livre (ce qui n’est pas très difficile en soi), mais ce qui est difficile, c’est de vouloir faire mieux à chaque fois.

Finalement, dans vos écrits, il y a quand même toujours un nombre réduit de personnages ?

Et bien oui. Les choses de la vie ne se passent pas à cinq cents ! On est deux, trois, même pendant une bataille. On a juste nos potes à côté de nous. Les autres, ça reste des figurants malgré tout, même s’ils ont leur vie à eux. Moi, j’essaie de me concentrer sur les personnages principaux.

On imagine plutôt l’écrivain comme quelqu’un de sédentaire, assis sur son siège ?

Il y en a qui écrivent dans le train, sur un coin de table au café. Moi je suis obligé d’être dans mon bureau, avec de la musique...

Avec de la musique ? Quel style de musique ?

Plutôt de la musique classique, ou des chanteurs, mais anglo-saxons.

Une question complètement bête, mais comment écrivez vous ? A la main ou à la machine ?

A la machine, au traitement de texte. Ce qui compte … écrire, ce n’est pas du dessin, faire du graphisme, ce sont des pensées qui sont mises en mots. Moi je ne pourrais plus maintenant m’en passer. Je n’écris que dans mon bureau. Il faut qu’il y ait mon texte aussi. Un chapitre que j’ai écrit il y a six mois, je suis tout le temps dessus, en train de le regarder, de le reprendre. Je n’ai pas beaucoup de facilité d’écriture. J’ai besoin de temps, de réflexion. J’ai une phrase qui me trotte dans la tête, qui ne me plaît pas pendant quinze jours, ça m’énerve, ça m’énerve et hop, au bout de quinze jours, je me décide enfin à la retirer. Je suis constamment dans le texte, comme dans une structure, toujours en train de tourner autour pour refaire un truc. Ce que ne permettent pas des feuilles manuscrites, par exemple.

Vous n’avez pas d’activité de traducteur ?

Moi, traducteur ? Non.

Mais vous êtes traduit ?

Oui.

Vous avez un droit de regard sur la manière dont la traduction est conduite ? Quelquefois, le traducteur vous contacte-t-il pour vous demander ce que vous avez voulu dire ?

Non, jamais. Je pense que mes livres doivent être faciles à traduire. La syntaxe est très simple dans mes livres. Peu de vocabulaire, peu de mots. Italien, japonais, coréen, allemand. Ni en anglais ni en américain. Difficile ça.

Dans une journée classique d’écriture d’un livre, vous consacrez combien d’heures … ?

Très peu, très peu. C’est le matin toujours. J’ai très peu de réserve. Ça peut être deux parfois trois heures. Trois, c’est beaucoup. Mais jour après jour, on avance. C’est très fatigant, usant. On le paye quand même malgré tout. Ca paraît un boulot de fainéant parce qu’on travaille deux, trois heures par jour, mais on va chercher loin. C’est un vrai travail. Faire une phrase qui tient la route, même la plus simple possible. Justement les plus simples possibles sont les plus difficiles à trouver.

Vous lisez les critiques qui sont émises sur vos livres ?

Quand le livre sort, oui, je les lis.

Et vous y êtes très sensible ?

Oui, j’y suis sensible. Au bout d’un moment quand le temps passe, je suis un peu rassuré sur le livre (quand les critiques sont bonnes). Pendant un an, on ne sait pas, on a la tête dans le mur. On ne sait pas ce qu’on fait exactement. Ce qu’on a à écrire, on ne sait pas ce que c’est. On se dit : voila, j’ai bien travaillé. Parce que c’est un métier où personne ne vous dit jamais qu’on a bien travaillé. Pendant l’année d’écriture, personne ne peut vous le dire. C’est un travail solitaire. Je l’ai choisi, soit, mais le fait est qu’on n’est confronté qu’à son propre jugement et personne ne vous dit jamais rien. Il n’y a rien de concret qui arrive. Il n’y a pas un chiffre d’affaires... Alors, quand le livre sort, on est malgré tout impatient de savoir ; est-ce qu’on a bien travaillé ? Dans tout métier, on a besoin d’une reconnaissance. Ecrire, c’est peut-être un acte solitaire et égoïste, mais c’est aussi une manière de se trouver une petite place dans la société. Et donc, si la société ne veut pas du tout, du tout de ce qu’on a écrit, ça ne va pas quoi. On ne veut pas que toute la société aime ce qu’on fait, mais … ! Parce que moi, j’en suis très loin. Je suis plutôt confidentiel comme écrivain.

Ça a été facile de commencer pour vous ?

J’ai écrit un manuscrit. Je l’ai envoyé chez Gallimard et ils l’ont pris. Ça a été un chemin de croix quand même, parce que je n’ai pas vendu de livres, parce que pas de succès. Pas de succès pendant des années et des années. On ne le fait pas pour le succès en fait, mais parce qu’on a envie et voilà. Et un petit succès arrive, et ce n’est pas non plus un truc facile à vivre. Autant ça fait plaisir, autant on en a tous envie … Mais quand ça arrive … La victoire est toujours amère. Ça retire un peu d’envie. Ça démobilise un peu. Faut pas se laisser avoir quoi.

Là, en fait, « Hommes sans mère » est sorti quand ?

Au mois de mai ou juin 2004.

Et vous l’aviez fini quand ?

Un an avant je pense. Oui.

Il y a un tel décalage entre ce que vous écrivez et la publication ?

Oui. Le problème pour mon éditeur, c’est que j’écris. Même si je fais très peu par jour, ça avance et je finis mes romans et donc lui il ne peut pas publier tout ce que j’écris. Enfin si, il publie, mais avec du retard parce que … Il y a un livre qui va sortir au mois de mars, ça fait presque un an que je l’ai fini. Mes livres sont courts, sont brefs. C’est vrai que ça ne demande pas des années de boulot.

Ça veut dire que quand un livre sort, vous êtes déjà dans un autre livre, la tête tournée vers autre chose ?

Alors il y a ça. On est tellement la tête tournée vers ce qu’on est en train d’écrire. Moi, ce dont je préfèrerais parler, ce qui est impossible, c’est de ce que je suis en train d’écrire ! Ça c’est intéressant, car c’est ma raison de vivre en ce moment. C’est le moment où je me pose plein de questions … Quand le livre est fini, quand il paraît, j’ai fini de me poser des questions. Pour moi, c’est de l’histoire ancienne. Ce qui m’intéresse c’est ce que je suis en train de faire en ce moment. Vous ne pouvez pas me poser de questions dessus parce que personne ne sait ce que c’est.

Grosso modo ?

Moi, si on me pose pas de questions, je ne dis rien.

« Hommes sans mère », ça se rattache à quoi chez vous ?

Ça se rattache à mon expérience quand j’étais militaire, quand j’étais marin. J’ai quitté l’école à dix-sept ans. J’ai un brevet de timonier. Je me suis engagé dans l’armée.

Quand vous l’avez attaqué, vous avez fait un plan ? Vous saviez comment ça allait finir ?

A priori, c’est une espèce de voyage . C’est comme … partir avec quelqu’un en voiture. On sait qu’on va dans une ville, on ne sait pas ce qui va se passer, si on va s’entendre. Mais c’est partir d’un point pour se rendre à un autre sans savoir comment va se passer le trajet. En gros, c’est ça. Moi, je savais que mes deux marins, …, ça allait commencer sur une route perdue, et puis … ils allaient vivre quelque chose et j’allais le découvrir en même temps qu’eux.

Et là, actuellement ?

Là, j’écris un recueil de nouvelles. Il n’y aura que trois longues nouvelles. Je vais encore continuer sur ce moment de ma vie, extrêmement important, qu’étaient ces trois ans d’engagement. Donc, ce sont trois histoires qui se tiennent à peu près, sur la vie dans les bateaux.

Sans vouloir revenir sur votre vie avant l’écriture, vous avez donc passé trois ans comme soldat dans la Marine. Vous les avez bien vécues ces trois années ?

Non, non. Justement, je les ai très mal vécues.

Mais pour autant, ça vous a amené beaucoup de choses car vous en parlez beaucoup finalement ?

Oui, oui.

« Quatre soldats », ça fait référence aussi à ça ?

« Quatre soldats », oui aussi. Comment on fait pour survivre dans un milieu hostile ? L’armée pour moi, c’est un milieu hostile. Comment on fait pour s’en tirer ? Pour survivre à ça ? Là, on a un bon exemple de raconter sa vie sans la raconter. J’ai transposé mes personnages dans un cadre complètement différent de celui d’un bateau, mais pour autant, ils vivent des choses …

Les trois nouvelles dont vous parlez, on n’est pas près de les lire en fait ? Il y aura d’abord un autre roman ? Et ce livre, qui est fini, qui va sortir, vous l’avez fini depuis combien de temps ?

Il y a un an à peu près.

Vous pouvez en parlez un petit peu ou … ?

Ça s’appelle « le voyage d’Eladio ». C’est l’histoire d’Eladio, Eladio c’est un prénom. Ça se passe dans un pays imaginaire, plutôt en Amérique du Sud, un pays en rébellion. C’est un groupe d’hommes en rébellion contre le gouvernement. Ils sont une dizaine, ils rentrent dans une grande maison de maître, non pas pour tout voler, mais pour voler une paire de bottes parce que le chef des rebelles a des chaussures pourries. C’est tout ce qu’ils volent. Ce sont des bons gars au fond, sauf que le vieux monsieur qui s’occupe de cette maison, qui habite derrière, s’aperçoit qu’ils ont volé les bottes de son patron, pour lequel il a beaucoup d’affection … Ça se passe en quatre pages, tout ce que je vous ai dit là, et tout le livre, c’est le vieux qui décide de partir à leur recherche, de marcher derrière eux, pour ramener les bottes.

C’est-à-dire que le livre ne se déroule pas sur un laps de temps très court, comme les dernières choses qu’on connaît de vous ?

Non, celui-ci se déroule sur trois jours et trois nuits. Ce qui est beaucoup pour moi. Et « Quatre soldats » se déroulait dans le temps …

Quand on lit par exemple « la Beauté des loutres » ou « Hommes sans mère », ce sont des choses très bornées dans le temps ?

Moi, je suis plutôt un microscope. C’est-à-dire, … une tranche de vie et je l’ausculte, du début à la fin sans lâcher.

Est-ce qu’il y a parfois des histoires, ou des livres, que vous avez commencés, que finalement vous ne menez pas au bout ?

Oui, c’est arrivé une fois. C’est rigolo parce que j’ai compris les limites de la littérature, mes limites à moi. C’est-à-dire que je ne pouvais plus aborder le sujet, c’était trop. Pourtant, ça reste une fiction. Il y a un moment, un moment précis … Et Dieu sait si j’ai essayé trois, quatre, cinq fois de le reprendre ce roman ! Je relisais, je refaisais et j’arrivais à ce moment fatidique et voilà, mes limites étaient là. Non, pas mes limites techniques, mais mes limites morales. Je ne pouvais pas aller plus loin. Problème d’éthique, de morale - c’est peut-être de grands mots mais ça compte -, de pudeur, et pourtant j’aurais vraiment bien aimé pouvoir finir ce livre-là. Mais voilà, à un moment donné, on ne peut pas. Il y a des trucs qu’on ne peut pas dire. On n’y arrive pas parce que … - Dieu sait que dans mes livres, il m’arrive de faire mourir des personnages ! -, mais là je ne peux pas. Dans ce livre-là, je ne peux pas.

Il vous arrive d’en rêver quelquefois ?

Bonne question. Je crois que je n’ai jamais rêvé de mes personnages, non. Il me semble. Puisque c’est déjà un rêve.

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