Dominique Baudis par Jules, le 22 octobre 2001

Dominique Baudis a été, pendant plusieurs années, présentateur du Journal de vingt heures à la télévision française. Ensuite, il est entré en politique et est devenu Maire de Toulouse, place qu'il a gardée pendant trois mandats.

Est-ce que c’est votre implantation toulousaine qui vous a attiré vers le monde de l’Orient et vous a fait écrire ce livre ?

Il est certain que le fait que la première croisade ait été dirigée par Raimond de Saint-Gilles, comte de Toulouse, avec Godefroid de Bouillon, est pour quelque chose dans l’intérêt que je porte à cette période. Mais j’ai aussi été journaliste au Liban pendant quatre ans et Raimond est le fondateur du comté de Tripoli. Ces années m’ont permis de connaître ce pays, ces lumières, la nature, ses coutumes, ses populations. Cela m’a évidemment beaucoup aidé !

Votre livre est vraiment passionnant depuis la première ligne, tant il est vivant et tellement les personnages nous semblent authentiques. C’est cependant un roman. Alors jusqu’où va la réalité des personnages, ont-ils tous existé et leurs rôles sont-ils bien ceux qui nous est présentés ?

Tout à fait ! Tous les personnages sont authentiques, à l’une ou l’autre petite exception comme pour le nain qui sert de tueur à Agnès et à Héraclius ou le responsable des pigeons messagers. Agnès était bien ce qu’elle était, Baudouin IV aussi, ainsi que Raimond de Tripoli. C’est bien Gérard de Ridefort qui devient Grand Maître des Templiers et a réellement joué le rôle que je lui donne. Héraclius, petit prêtre du fond de l’Auvergne a bien eu le destin qu’il a dans mon livre. Il en est de même pour tous les autres personnages.

Et Saladin ? Un homme d’une grande intelligence mais qui connaît une ascension fulgurante dans votre livre…

Saladin est un personnage hors du commun. Au départ, il n’est quasiment rien et il arrivera aux sommets de la hiérarchie. C’est très rare dans le monde musulman ! Le Roi de Syrie Nur ed-Din, préoccupé de la seule Jérusalem, envoie son oncle en Egypte pour y rétablir l’ordre, et ce dernier y meurt. Il confie alors le commandement à Saladin qui va réorganiser le royaume d’Egypte. Son succès va inquiéter Nur ed-Din qui exigera son retour en Syrie. Saladin va tergiverser et entre-temps Nur ed-Din meurt. Son successeur n’est qu’un enfant maladif. Saladin va en profiter pour s’emparer du pouvoir en Syrie et n’aura de cesse de rassembler le monde arabe. Son but : reconquérir Jérusalem. Mais il ne voudra le faire qu’après avoir rassemblé et avoir constitué une armée soudée et disciplinée. Un homme d’une grande intelligence et d’une grande volonté. En outre, il était vraiment capable de gestes qui ont aidé à sa légende. Saladin s’attira le respect des siens, mais aussi celui des Chrétiens. Il va reconquérir Jérusalem et, à la différence des Francs qui avaient exterminé toute sa population lorsqu’ils s’en étaient emparé, lui, il la laissa sortir saine et sauve.

Il a en face de lui un homme aussi intelligent et volontaire que Raimond, comte de Tripoli et, un temps, régent du Royaume de Jérusalem. Ils s’entendront très bien…

Oui, car Raimond a du respect pour cette culture musulmane qu’il a étudiée dans son cachot pendant les six années durant lesquelles il a été prisonnier des Arabes. Il a appris à lire leurs caractères, a découvert le Coran, leur maître Averroès, ainsi que les chiffres arabes, tellement plus légers que la numérotation romaine. Ce système de numérotation repose en entier sur le 0. Raimond comprend leur façon de penser et est donc bien plus à même que les autres de négocier avec eux. C’est d’ailleurs ce qui va sauver son comté de Tripoli. Mais, pour le plus grand malheur des Francs, à la majorité de Baudouin IV, il va perdre la régence et l’entourage de Baudouin, tous à la dévotion de sa mère Agnès, va faire que Raimond va se retirer sur ses terres.

Dans votre livre, on découvre que Saladin devait unir ce qui était séparé par des positions religieuses, alors que les Francs n’étaient divisés que par la cupidité, l’avidité, la soif de puissance et la jalousie. Est-ce exact ?

Tout à fait ! Le monde arabe était, en gros, divisé entre deux tendances : celle des sunnites et celle des chiites, parmi lesquels la secte des " assassins ". Pendant des années Saladin fera d’ailleurs l’objet d’une Fatwa de la part de la secte des assassins et échappera à un incroyable nombre de tentatives d’assassinats. Pour simplifier, nous pourrions dire que les sunnites sont, et de loin, les plus nombreux dans le monde arabe et sont aussi les plus pacifiques. De l’autre côté, force nous est d’admettre, qu’à l’origine, les Francs n’étaient qu’un vaste assemblage de personnes frustes et par moments tout à fait barbares. Les descendants de ces premiers croisés, qui se sont établis là-bas, ont évolué et ont appris à vivre dans ce monde et à en respecter certaines règles et modes de vie. Les nouveaux venus les appelaient un peu péjorativement " les Poulains " Mais ce monde attirait de nombreux aventuriers d’Occident, comme des cadets de familles qui n’avaient plus rien et venaient en Orient pour tenter de faire fortune ou acquérir du pouvoir. Leur cupidité était aussi grande que leur ignorance et leur fatuité. Ils se sentaient supérieurs parce qu’ils débarquaient fraîchement du monde " civilisé " et chrétien et méprisaient les " Poulains ". L’avidité de ces gens était sans bornes et leur influence des plus néfastes !

On pourrait presque faire un rapprochement avec ce qu’ont été les colonisations en Afrique par nos grands pays au XIXe siècle. Là aussi c’était souvent les moins favorisés qui partaient tenter l’aventure…

C’est vrai. Mais là-bas, ils ont aidé à construire et à développer quelque chose pour leurs pays d’origine, tandis qu’en Orient, à cette époque, ils seront plus un élément de discorde et de défaite qu’une aide. Prenez par exemple Aymeri et Guy de Lusignan ainsi qu'Héraclius qui deviendra Patriarche de l’église. Quant à Gérard de Ridefort, il complotera pour devenir le nouveau Grand Maître des Templiers et finira par envoyer ses chevaliers et toute l’armée au désastre par simple haine de Raimond de Tripoli…

Dans votre livre, il est clair que Saladin et Raimond ont de l’estime l’un pour l’autre. Mais il est tout aussi clair que Saladin n’abandonnera pas son objectif de s’emparer de Jérusalem.

En effet, toute l’énergie de Saladin est tournée vers ce but, mais il a l’intelligence de ne pas vouloir tenter cette aventure trop tôt. Quant à Raimond, il tente de gagner du temps car il est convaincu, qu’à terme, la seule solution sera une certaine forme de coexistence entre les Arabes et les Francs. Pour lui, les descendants des croisades sont aussi nés sur cette terre et Jérusalem était chrétienne avant le neuvième siècle. Il pense donc qu’il y aurait moyen de trouver une solution. Mais, devant la montée en puissance de Saladin, qu’il n’avait jamais pensé aussi rapide, et le comportement des Francs, il comprend finalement qu’il rêvait et que la défaite est inéluctable. L’Islam est trop vaste et trop puissant pour eux. Les Francs peuvent gagner quelques batailles, mais finiront toujours par être écrasés sous le poids de la multitude.

Je n’ai pas pu m’empêcher de penser, à ce moment du livre, au problème d’Israël et de la Palestine…

C’est un peu vrai… Israël peut gagner beaucoup de batailles, mais il n’empêche qu’ils sont entourés d’un monde arabe immense et bien plus peuplé. Ils peuvent grappiller des territoires, mais ceux-ci ne seront toujours que des avant-postes avec l’immensité ennemie devant eux. Cependant, le monde arabe est à nouveau divisé, même si l’ensemble de ce monde voudrait les voir partir. Une autre différence est qu’Israël a développé sur place un véritable état avec toutes ses structures, son organisation, son économie, son armée des plus efficaces et sa culture.

En plus, le peuple juif est issu de ces contrées, comme les Palestiniens, et qu’ils aient été obligés de fuir ces territoires pendant des siècles ne change rien à leur appartenance.

C’est vrai, mais n’oubliez pas que les Chrétiens de l’empire Byzantins étaient aussi à Jérusalem avant les croisades et que ce n’est qu’au neuvième siècle que les Arabes ont conquis Jérusalem.

J’avoue avoir encore discuté assez longtemps avec Dominique Baudis, que j’avais déjà rencontré par ailleurs quinze ans plus tôt à Toulouse, mais je crois qu’il est bon d’arrêter ici la transcription de cette interview par ailleurs très agréable.


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