Hortense Dufour par Sorcius, le 17 août 2001
Pourquoi Marie-Antoinette, alors qu’on a déjà beaucoup écrit sur elle ? Qu'est-ce qui vous a attirée dans son personnage ?
J'ai toujours défendu les figures opprimées et je trouve que la fin de cette reine acquiert la dimension d’une tragédie. En plus, j'aime lire les tragédies et son histoire en était digne, donc je l'ai suivie pas à pas, de la naissance à la mort, et j'ai essayé de comprendre les paradoxes troublants, voire inquiétants de ce personnage. De plus, il semblerait que notre beau drapeau tricolore français soit taché à tout jamais par le sang de Marie-Antoinette.
Oui, mais le sang du roi aussi a coulé, il n’y a pas que son sang à elle…
Alors, Louis XVI, c'est autre chose. J’ai également étudié son portrait, comme j’ai parlé de la révolution, parce que je ne pouvais écrire sur Marie-Antoinette sans parler de ces deux pôles importants. C'est pourquoi le livre est si épais.
Louis XVI était quelqu'un d’inhibé, mais de très intéressant. Sa mort était, malheureusement, tristement nécessaire, parce qu’il fallait radicalement changer d’état d'esprit, du moins écarter définitivement le symbole. On aurait pu se contenter de l’exiler, et la république en aurait été plus belle encore sans ce bain de sang, mais voilà, la foule en délire est une force terrible que seul le sang peut calmer. En plus, c’est l’époque de la Terreur, ce qui veut tout dire. Au moment où on va les tuer, on est au paroxysme du rejet de la monarchie. La société entière a déjà basculé.
Marie-Antoinette, plus particulièrement, avait accumulé contre elle une chose terrible contre laquelle on ne peut rien, c’est la calomnie et la rumeur. C’est Beaumarchais, en 1784, avec le Mariage de Figaro, qui parle le premier de la calomnie. Le roi ne voulait pas que cette pièce soit jouée, mais la reine insiste et va jusqu'à jouer elle-même le rôle de Rosine. Elle est d'une folle imprudence dans un monde qui est en train de changer. Elle est, si l’on peut dire, la " chèvre-émissaire " de tous les fantasmes les plus outranciers. Des pamphlets circulent dans toute la France, faisant entendre que c'est une Messaline, une reine ivre de stupre et de sang. On dit d’elle les choses les plus fausses, les plus obscènes, les plus dégoûtantes. Elle-même n'était pas aveugle et disait à madame Campan durant les horribles journées des Tuileries : " Oh, ils ne m’auront pas comme ça, la calomnie aura raison de moi "…
Vous montrez Marie-Antoinette sous un jour nouveau : vous la présentez enfant, mère, tous des côtés qu'on n’a pas beaucoup montrés auparavant. Vous trouvez qu'on a été un peu injuste avec elle ?
Oui, certainement. Il y a des choses justes, comme sa frivolité, ses dépenses. Mais elle fut aussi une mère extraordinaire. Sur quatre enfants, elle en a perdu deux et en a eu un chagrin fou, surtout pour la mort du premier dauphin, son fils aîné, que les révolutionnaires ont ensuite déterré et dont ils ont jeté les restes dans une brouette… Ensuite, elle a eu une peine énorme d'être séparée d’eux, et encore plus lorsque, pendant le procès, on l'a accusée d'inceste. Ce procès fut affreux : elle avait un cancer à l'utérus qui la faisait beaucoup souffrir, et elle perdait énormément de sang, sans que personne ne la soigne. Elle devait se changer et se laver devant les deux gendarmes qui la gardaient nuit et jour. Elle a vécu un véritable calvaire, presque christique. Et progressivement, elle " grandit ", elle acquiert une grandeur qui en imposera à tous.
C'est vrai que, de petite fille gâtée, elle devient une grande dame.
Elle, petite fille futile qui n’aimait que les roses, les bijoux, la danse, la beauté, devient une martyre, et sans maudire encore, sans injurier. Elle reste admirable en demandant de pardonner à ses bourreaux. Encore une fois, c’est très christique comme fin. J'ai souffert physiquement en écrivant ce livre. Je l'ai accompagnée tout le temps, cette femme qui a l'air d'une vieille femme, avec son corps qui s'effondre. La Convention avait espéré un moment qu'elle meurt de son cancer à l’utérus, mais pendant la Terreur, la haine était trop forte, il fallait la guillotiner, la supprimer. Quand le roi est mort, le peuple a pleuré, il y a eu un grand silence, mais elle, on a acclamé sa mort. Toute la haine s’était concentrée sur elle, elle a cristallisé les phobies. C'est comme un divorce : on l'a adulée puis haïe. Elle est en partie responsable, sans méchanceté cependant, mais les circonstances n'ont pas joué pour elle. L'affaire du collier en est un exemple : c’est une affaire de détournement de fonds dans laquelle on a utilisé son nom… Mais elle n'est plus crédible, tout le monde dit : " mais ça ne m'étonne pas ".
En fait, il est trop tard.
Oui, il est déjà trop tard, la rumeur a fait son Ïuvre. Comme disait Beaumarchais dans les Noces de Figaro : " la rumeur est en route, vous ne pouvez rien contre la rumeur ". Elle a quelque part d’ailleurs accéléré le processus de la république, de la démocratie. Mais je ne sais pas s'il n’y a pas un vague remords dans le cÏur des Français, parce que sa mort fut parfaitement ignominieuse.
Est-ce que la France aujourd'hui se souvient de Marie-Antoinette avec, justement, des remords ?
Ajourd'hui, on en parle, on la retrouve, on la reconnaît, on la voit avec une sympathie qu'on n’avait pas auparavant. Je me souviens qu’à l’école, quand une fille mettait beaucoup de bijoux, on disait d'elle " tiens, c'est une Marie-Antoinette ". «a servait encore d'injure aux futiles et frivoles, jusque dans les années 60. Aujourd’hui, on a plus de sympathie pour elle. Elle a bien sûr des adorateurs, mais ce sont plutôt des excentriques. Moi, je suis républicaine et j’aime la démocratie, mais j'ai pour elle beaucoup de sympathie, je la comprends. Par exemple, ses frivolités, ses folies, ce n’est pas tout à fait de sa faute. Elle a quatorze ans, est à peine femme, quand sa mère, le " roi Marie-Thérèse ", la marie, la vend en fait à la France. Elle est très peu instruite, ne sait que rire et danser. elle est trop jeune.
Oui, certainement, mais c’est le lot de toutes les reines…
Bien sûr, mais ici, il y a un élément qui n'a pas joué chez les autres reines, et c'est le caractère, la personnalité, les problèmes du dauphin. Le futur Louis XVI était complètement inhibé sexuellement. Il avait non seulement un handicap physique, mais en plus une grande timidité naturelle. Pendant sept ans, Marie-Antoinette est restée vierge. Pendant sept ans, elle est frôlée par des jeunes gens, il y a de quoi devenir hystérique ! Et pour oublier, elle passe dans une sorte de folie. On peut la comprendre, à travers les lettres qu’elle envoie à sa mère : " Ma chère maman, mon triste état est toujours le même. " Pendant tout ce temps, des courriers partent de la France vers l'Autriche, avec l’état gynécologique de la reine, c’est assez épouvantable comme situation. Tout le monde ne parle que de ça, c’est une véritable obsession pour la cour, le peuple… C'est en fait l'impuissance du roi qui a accéléré la destruction de l'image de Marie-Antoinette, parce qu'il la gâtait beaucoup, pour compenser, coupable qu’il se sentait de ne pas lui donner d'enfant. Elle est passée par des angoisses terribles, il fallait consommer ce mariage.
La situation a en fait beaucoup joué dans le déroulement de ce qui s'est passé par après ?
.normément, énormément… C'est une hystérie, une obsession qui a gagné toute la France et même toute l'Europe. La reine n’était plus qu’un corps, un ventre à déflorer, à remplir… Lors de son premier accouchement, la foule se précipitait pour assister à la délivrance, des gens du peuple même parvenaient à se glisser dans sa chambre et grimpaient sur des armoires pour " voir ". Ce fut atroce pour elle, tellement atroce qu’elle a refusé, par après, d’accoucher en public. Dans les pamphlets, on parle du " con d'Antoinette " : elle est obsédante sexuellement…
Elle invente également une coiffure très intéressante d’un point de vue psychologique : un échafaudage qui monte, qui monte, à mesure que rien ne se passe. C’est une forme de folie, c’est une dépression en réalité. Elle adopte un enfant trouvé sur la route, elle fait n’importe quoi, elle est impulsive, maladroite, charmante, adorable, agaçante, c'est une femme-enfant. Elle est exactement la reine qu'il ne fallait pas à cette époque où les idées étaient en train de changer. Il eut fallu une reine comme Marie-Thérèse ou un roi comme Louis XIV. D’ailleurs, la puissance sexuelle tenait en respect, était confondue avec la puissance sacrée. Ici, on ne respecte plus les souverains, on les malmène.
De toute façon, le monde était en train de changer, les choses n’étaient plus comme sous Louis XIV…
Et puis, il y a eu les idées américaines qui arrivèrent petit à petit. La société entière bascule vers des idées nouvelles.
Pourtant, Marie-Antoinette avait beaucoup de partisans aussi.
Elle compte autant d'admirateurs que de détracteurs. Tous ceux qui l'approchent tombent amoureux d'elle, même Mirabeau, même le général Dumouriez, même ses gardiens au Temple, même à la Concièrgerie, jusqu’au pied de l'échafaud presque… On l’aime certes, mais la haine est plus forte, le déchaînement est monstrueux. Sa mort est terrible, mais alors quelle dimension, elle ! Elle est arrivée à l’échafaud la tête haute, tellement droite. Et le pire, c’est que la haine a continué après sa mort. On l’a laissé pourrir pendant deux semaines dans le cimetière de la Madeleine, la tête sur le sol, entre les jambes, avant de la mettre dans un cercueil bon marché. Ceci est une leçon majestueuse de mort et de vie. Cela peut arriver à tout le monde, de terminer ainsi, enfin, je veux dire, enterré dans un vieux cercueil pourri. C’est une leçon terrifiante, je crois, d'humilité.
Ce qui m'a le plus impressionnée, c’est le martyre de son fils, au Temple, abandonné des mois, des années dans la misère. Heureusement, elle n'en a rien su, ça lui a été épargné.
Marie-Antoinette adorait ses enfants, et elle est morte dans une angoisse épouvantable. Elle était certaine qu’on allait les tuer. Madame Elisabeth, la sÏur de Louis XVI fut guillotinée un an après la reine, quant à Madame Royale, on ne l’a pas tuée parce qu’elle était trop jeune, mais lorsqu'elle sortit de sa prison, elle était apathique, enlaidie, vieillie, elle ne parlait plus… Quand elle a eu 16 ans, on l’a ramenée aux frontières de l’Autriche où elle a servi de monnaie d’échange. Elle a survécu encore 45 ans à peu près à cette tragédie et est devenue duchesse d’Angoulême. Quant au petit duc de Normandie, Louis XVII, quelle tristesse. Il avait la tuberculeuse, et après la mort de sa mère et de sa tante, on l'a laissé pourrir dans l'ancienne chambre où son père avait été enfermé, dans le noir. Il déféquait et urinait sous lui, il se traînait à quatre pattes, ses vêtements devenaient trop petits. Ce fut épouvantable. Et un jour, on s'est souvenu de lui, en 1995. Il hurlait de souffrance, il n'avait pas 10 ans… Il en est mort… Lors de son autopsie & très fréquentes en ce temps-là – on lui a enlevé le cœur et mis dans de l’esprit-de-vin. C'est ainsi qu’il est arrivé jusqu’à nous, par miracle, et qu'avec les tests d’ADN, on a pu affirmer qu'il s’agissait bien de Louis XVII, et surtout, que c'était bien l’enfant de Marie-Antoinette et de Louis XVI (c’est arrivé il y a un an à peine). Ainsi, ce cœur, après plus de deux siècles, a réparé l'honneur de la reine : elle n’a pas été infidèle au roi…
Quand vous avez écrit votre premier livre, qu’est ce qui avait poussé à l’écrire, vous avez eu cette envie déjà toute-petite ?
J'avais 8 ans et je rêvais déjà d'écrire. C'est ma mère qui m'avait dit : " tu seras écrivain toi ! ". Elle m'offrait des petits cahiers et j'écrivais, j'écrivais… Je n’ai jamais arrêté. J’ai commencé à publier il y a plus de 30 ans et j'ai une trentaine de livres à mon actif.
Vous écrivez aussi bien de l'Histoire pure que des romans ; est-ce que l'approche est différente ?
Oui et non. L'Histoire vous offre un roman extraordinaire, mais vous n’avez pas le droit de vous tromper. Mais là où les historiens purs sont très secs, nous romanciers, mettons une intuition en plus. Donc finalement, on se laisse emporter par l'intuition et la seule différence entre un roman et un livre historique, c'est que dans ce dernier, il faut suivre un corridor, mais les deux sont très agréables à écrire.
Vous écrivez à un rythme soutenu, et des livres épais, en plus. Comment faites-vous ?
Oui, ici j’ai battu mon record ! Mais dans une histoire aussi troublante et riche, je ne voulais pas occulter la révolution. Donc après l'arrestation de la reine, il y a encore deux années riches en événements à raconter. Je me devais de le faire.
J’écris désormais sur l’ordinateur, et pendant la nuit, j’ai des prémonitions, des illuminations, je me souviens d'un texte, d'une archive, et je retravaille une deuxième fois, voire une troisième.
Vous écrivez sur des personnages très divers : Marie-Antoinette, Néron, Cléopâtre, la comtesse de Ségur. Qu'est-ce qui vous guide ? L'instinct ou bien une réflexion profonde ?
Il s’agit souvent de personnages en détresse, mis en situation de terreur, et ça m’a toujours intéressé.
Et pour la comtesse de Ségur ?
Elle a traversé de grands deuils et de grandes terreurs. Elle a vécu l'exil, ce qui est très dur. Elle est une Russe camouflée en Française.
Y a-t-il un homme (femme) sur lequel ou laquelle vous aimeriez encore écrire ? Quels sont vos projets ?
Oui, je suis en train d’écrire sur Georges Sand… Je me sens très proche d’elle, et je suis ravie d'écrire ce livre. Comme elle, dès que j’ai terminé d'écrire un livre, dans la même journée, j’en commence un nouveau. Elle disait que lorsqu'une telle passion s'empare d’une pauvre tête, elle ne la quitte jamais. Et c’est vrai que j'en ai besoin pour vivre.
Quel genre de lecture préférez-vous ?
Je lis beaucoup, et mes livres de chevet sont ceux de Colette (sur laquelle j'ai d’ailleurs écrit une biographie). J’aime la comtesse de Ségur, et particulièrement le Général Dourakine. Et puis je lis bien sûr beaucoup d’Histoire et j’adore les correspondances. Je lis, mais je relis aussi, quand j’aime.
Est&ce qu'il y a un ou plusieurs livres qui vous ont particulièrement marquée ?
" La Naissance du jour ", de Colette, " la Sœur de Gribouille ", de la comtesse de Ségur, " la Pitié dangereuse " de Stefan Sweig, et les " Lettres d'une religieuse portugaise ".