Alexandre Millon par Alpha, le 18 juillet 2001

D'origine ukrainienne et sicilienne, Alexandre Millon est né en 1956 dans le Hainaut, et a vécu quelques années à Naples.


Vous avez publié votre premier roman en 1999. Qu'est-ce qui vous a donné envie d'écrire, si cela ne vient pas de votre profession ?
Au départ, j'ai rencontré par hasard des gens à Marseille qui avaient fait une revue. Et on a monté une revue littéraire qui s'appelle " Regart " avec des Québécois, des Marseillais, des Suisses. ‚a n'a pas mal marché, jusqu'au moment où un des principaux collaborateurs est mort d’une saloperie de maladie. ‚a m'a coupé les jambes, et puis je me suis retrouvé avec du temps libre et je me suis dit " Tiens, je vais me donner du temps, je vais écrire un peu ". Et puis, j’ai participé à un concours que Pascal Vrebos, un journaliste, organisait sur RTL-TVI dans le cadre d'une émission qui s’appelle " la Plume et la Souris ". J'ai eu le prix et puis ça m’a poussé. j’ai été publié chez l'Harmattan.

Un de nos critiqueurs a relevé sur notre site la présentation un peu brève et originale que vous faites de vous-mêmes sur le dos de la couverture : " Alexandre Millon, moustachu, vit en Belgique ".
Oui, brève, parce que je crois que tout est dans le bouquin.

C'est en lisant le livre qu'on peut se faire une idée de vous ?
Tout à fait, oui. J'ai publié pas mal en poésie, j’aurais pu mettre une tartine de notices bibliographiques, mais c'est pas mon truc…

Alexandre (celui du livre !), ce fantasmeur qui se construit des scénarios dans toutes les situations, est-ce vous ? Y a-t-il une part d'autobiographie dans ce roman ?
Le fantasmeur, sûrement. La région, le Brabant, c’est plutôt une pichenette humoristique parce qu’un chômeur à Lasnes & qui est une des communes au plus haut revenu cadastral de Belgique – ça doit être quasiment perle rare. Mais j'aime bien le Brabant. En tout cas ce n’est pas autobiographique. Mais pour le fantasmeur, oui, je revendique, je revendique à fond ! Mais c'est une fiction, ce n'est pas autobiographique.

Mais ce personnage correspond plus ou moins à votre personnalité ?
Sous cet aspect-là, oui. Parce que j’aime l'errance, philosophiquement parlant, donc je ne me sens pas figé dans ma personnalité. Sur dix ans, je peux changer.

On a l’impression qu’Alexandre est un personnage qui se complaît un peu dans son monde, qui a du mal à se faire comprendre par les autres, mais qui en même temps n'a peut-être pas envie d'en sortir.
Oui, il y a un côté philosophe chez lui. Il y a une phrase qui le résume lorsqu’il dit : " Le must, ce n'est pas de rater sa vie, c’est de la rater de peu. " ‚a résume un peu le personnage, ça. C’est un chômeur, mais il n’est pas impitoyable ni impitoyé. Il n’est pas du tout en train de pleurer sur son sort. En même temps, on sent qu’il n'est pas vraiment chômeur, on sent qu’il ne va pas le rester, c’est un passage.

Une phrase qui m’a intrigué, c’est " L’imagination mène à tout, à condition d'en sortir ".
C’est bien d'avoir relevé ça. Justement, au bout de tout ça, il commence à se dire " Bon, c’est bien de fantasmer, mais il faut en sortir. À force de fantasmer sur les autres femmes, la mienne n'est pas devenue soudainement moche. Si je continue, elle va partir, je vais la perdre ". Alors il revient sur terre. Je pense que de la page 0 à la dernière, il commence à grandir. Et à la fin du bouquin, il a un peu appris sur lui-même.

Comment est né ce personnage ?
Avant l'interview, on parlait de légèreté. Au départ, je me souviens, je n’avais pas de plan, j'avais la page blanche, et je me suis dit ÒAmuse-toiÓ. Et j’ai voulu distraire, mais je trouve que dans le mot “distraireî il y a beaucoup de noblesse, et dans la légèreté il n'y a pas de la béatitude, il peut y avoir de la profondeur, il peut y avoir de la philosophie. J'ai voulu distraire et cette histoire de fantasmeur me permettait de développer l’écriture, comme si l'écriture saisissait la balle au bond ; elle pouvait déconner en même temps que lui. Cette idée de fantasmeur me plaisait mais. l’aspect ludique m'a attiré dans l'idée.

Quand vous écrivez, c’est spontané ?
Dans celui-ci, c’est totalement spontané, je ne savais pas du tout où j'allais. C'était carrément de l’impro. Tandis que dans mon premier roman, là, j’avais un plan, j'ai travaillé très classiquement.

Peut-on dire que vous êtes inspiré par un style ou par un auteur particulier ?
J’aime l'humour et le second degré. Disons que l'excès de sérieux ne m'attire pas philosophiquement. Donc je vais vers des gens comme Beigbeder. Nicolas Ancion, j'aime bien, c’est un des auteurs de l’Embarcadère.

La Ligne Blanche (c’est ainsi que s’intitulent votre roman et le chapitre qui le clôture), qu’est-ce que c'est ? Vous parlez d'une limite à ne pas franchir…
Quand on est vraiment amoureux d’une femme, et qu'on est un grand fantasmeur ; et qu’à côté de cette femme il y a toute une série de copines et une meilleure amie qui tournent, hé bien… on joue. on joue avec la ligne blanche. Le jeu du fantasmeur, c'est de franchir la ligne blanche un peu, pas trop mais… c'est difficile, c’est un jeu dangereux.

Vous avez d'autres projets pour l'avenir, un autre roman… ?
Oui, j’en ai un troisième qui est terminé, là, mais je le laisse décanter.
Cette fois, c'est une histoire vécue…

Quels sont le moment et le lieu que vous préférez pour lire ?
Le soir… mais je n'ai pas de problèmes avec le bruit ou l’endroit. Je peux aussi bien lire en ville, ou écrire en ville. Mais je voyage beaucoup. Je pars souvent en Grèce, ou en Toscane. Là, je vais partir en Provence. Ce sont des endroits où je peux m'isoler.

Vous l'avez dit tantôt, vous aimez Nicolas Ancion. Il y a d’autres auteurs que vous aimez particulièrement ?
J'aime bien Beigbeder. Je lis beaucoup, en fait. J’aime bien aussi Alessandro Barrico, mais là c’est beaucoup plus profond. Un Italien qui a publié Soie, Novecente Pianiste.

Mais vous ne vous en inspirez pas pour autant ?
Non, non. je bouge. C’est comme en musique, je peux passer du rap à un requiem ou au jazz. Là, j'écoutais la musique d'Amélie Poulain dans la voiture.

Justement, je sais que vous aimez le cinéma…
Oui. Amélie Poulain, c’est un exemple récent mais. j’aime bien Poelvoorde. D’ailleurs je viens de recevoir un courrier de son scénariste. On va se rencontrer en septembre. Il a lu La Ligne Blanche. On verra ce que ça va donner. Je suis très content d’être contacté par lui parce que c’est un univers où je me retrouve en partie ; c'est un mélange d’agressivité et de tendresse. Sinon j'ai bien aimé Shine, ou le dernier David Lynch, Une histoire vraie, j’ai beaucoup aimé ça. Il y a une sobriété très très zen. Je suis attiré aussi par l'aspect dépouillé des choses. En même temps, j'ai une écriture baroque, mais je n’aime pas me figer, de toute façon… j'aime bouger. La Ligne Blanche, c’est beaucoup d'images en pagaille, mais en même temps j’aime bien le côté dépouillé des choses. J’ai les deux, je pense…

Que pensez-vous du site de CritiquesLibres.com et de son principe ?
Je ne connais pas bien, mais j'aime bien. ‚a me semble très ouvert en tout cas, et je pense que ça va encore monter.

L’idée que chacun donne son avis sur un livre…
«a ne me gêne pas. Et de toute façon… je suis désolé, mais il y a une carence au niveau du métier de critiques littéraires en Belgique. Il n’a y rien à faire, c’est une petite famille de gens qui ont une vision un peu ringarde, un peu guidée. Je pense au Mad particulièrement. mais ça fait six ou sept personnes.

Vous pensez qu'il y a un " monopole " des critiques littéraires…
Voilà, tout simplement. Si vous n'êtes pas dans les dix copains ou si vous n’entrez pas dans ce cercle très fermé, on ne parle pas de vous. C'est grave !. D'où l’intérêt de CritiquesLibres.com et ses initiatives qui permettent de décloisonner. Je ne veux pas être prisonnier comme ça de cette petite… " cour " de journalistes très courtisés avec leurs petits devoirs. je trouve ça complètement nul.

Y a-t-il un livre que vous aimeriez voir critiqué sur le site, ou y a-t-il un livre dont vous êtes satisfait de voir critiqué ?
Hé bien j’ai vu par exemple Barrico, dont on parlait tout à l’heure. J'ai tout de suite été voir. Il y a une palette très large dans ce site, c’est très bien, ça, c'est un bon point. C'est pas belgo-belge ou franco-français, c'est ouvert à tout, c’est bien.


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