Dominique Lapierre par L'équipe de Critiqueslibres.com, le 24 avril 2001

Dominique Lapierre n’a jamais cessé de parcourir la planète à la poursuite des grandes épopées humaines. Il s'est associé à Larry Collins pour écrire divers livres, et en a écrit également tout seul.


Les événements dont vous parlez dans votre livre se passent il y a déjà quelques années. Depuis quand avez-vous l’idée d'en faire un livre ?
Le livre est vraiment le résultat du choc d’une rencontre avec une ville que je ne connaissais pas, qui s’appelle Bhopal, qui est un peu en dehors des circuits touristiques. En 45 ans de vagabondage indien, je n’avais jamais été là. Et j’ai découvert une situation tout à fait tragique, qui est celle des victimes, 17 ans après, d'une catastrophe qui a été la plus grande catastrophe industrielle de l’histoire. Et comme j'ai toute une action humanitaire en Inde avec les droits d'auteur de " la Cité de la joie " et des autres livres, des gens m'ont demandé si je pouvais faire quelque chose pour eux à Bhopal. J’y suis donc allé, et je suis tombé amoureux de cette ville, de ses habitants, et j'ai ouvert une clinique gynécologique pour traiter des femmes très très pauvres qui souffrent de quantité de pathologies consécutives à cette tragédie : des cancers de l’utérus, des désordres hormonaux, etc.

Et puis un jour, je me suis demandé comment cette catastrophe du 2 décembre 1984 avait pu arriver, qu'est-ce qui avait conduit à cette tragédie.


Ce livre est le fruit d'un long travail de recherche ; comment s’est déroulée cette enquête et quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées ?
J'ai appelé un jeune écrivain espagnol, Javier Moro, et je lui ai proposé de faire une enquête mondiale pour découvrir comment un événement de ce genre pouvait se produire. Cela a été trois années absolument stupéfiantes à travers l’Inde et le monde, pour raconter ce qui a commencé comme un conte de fée. C'était un cadeau magnifique de la très haute technologie américaine aux paysans de l'Inde : on leur proposait de construire une usine qui permettrait de fabriquer un pesticide qui soit bon marché, biodégradable et qui soit très efficace, le " Sevin ". Quand on sait que la moitié des récoltes des paysans du monde sont dévorées par les insectes, en particulier en Inde, c’était vraiment un très beau cadeau. Et comment ce conte de fée est devenu un cauchemar, c’est ce que nous avons voulu raconter. Et cela n’avait jamais été raconté.

Au début de l'enquête, nous avons retrouvé l’homme qui avait été le dernier directeur de la sécurité. Il avait pris sa retraite dans le sud de l’Inde, et quand nous sommes arrivés chez lui après trois jours de voyage, il nous a dit que cela faisait quinze ans qu’il nous attendait, et à ce moment il a ouvert des placards pour nous montrer les piles de documents qu'il avait emportés en quittant l'usine, en espérant qu'un jour quelqu’un viendrait étudier ces documents. C’était très émouvant de rencontrer un homme pareil.

Ils vous ont donc tous assez bien reçu, et Union Carbide s'est-elle manifestée lors de votre enquête ?
Nous n’avons effectivement pas pu rencontrer les gens de Carbide qui sont toujours en poste, ni le dernier président parce qu'il a disparu ; il y a un mandat d'Interpol contre lui, on la recherché dans tous les états-Unis, mais malgré ça nous avons quand même pu, avec une foule d’ingénieurs à la retraite, reconstituer minute après minute comment ce Titanic avait commencé sa navigation et comment il avait sombré.

Comment se passe l'accueil de votre livre ? Vous avez déjà eu des réactions ?
En Inde, il y a eu des réactions formidables, aux états-Unis également. En 12 jours, le livre s’est vendu en France à 75 mille exemplaires. On me téléphone du monde entier pour des interviews. Je crois que ça va faire du bruit et c’est d’ailleurs essentiel pour Javier Moro et moi-même qu'on n’oublie jamais Bhopal. D’abord parce que c’est le fruit de la Mégalomanie d'une haute technologie tout à fait sûre d’elle-même, et puis deuxièmement car il a encore aujourd’hui 200 000 personnes qui souffrent dans leur chair tout simplement, et qui n’ont jamais reçu les traitements adéquats, car jamais Union Carbide n'a révélé l’exacte composition du gaz qui a empoisonné les gens cette nuit-là.

Vous semblez avoir un réel coup de cÏur pour l'Inde. Expliquez-nous l’histoire de ce coup de foudre ?
C’est le résultat d’une rencontre que j’ai faite en 1981 avec Mère Térésa qui m’a fait comprendre qu'on ne pouvait pas seulement être un écrivain et un témoin, mais qu’on pouvait être aussi un acteur et qu’on pouvait, avec les revenus de ses livres, aider. Et ça a été la grande aventure de la Cité de la joie à Calcutta, les 9 000 enfants lépreux qu'on a pu guérir, les 541 puits d'eau potable.

Y a-t-il un auteur qui vous a particulièrement marqué ?
J’ai beaucoup aimé un homme qui s’appelle Langza del Vasto qui était l'un des premiers à parler de l'Inde, il y a 50 ans, et cela a été pour moi une façon de me mettre sur les rails de ce pays. C’était un esthète, un saint, qui a écrit un livre " le Pèlerinage aux sources ", et ça m’avait beaucoup marqué.

Quels sont vos projets ?
C’est, bien sûr, de participer au lancement de ce livre. Je reviens d’Espagne où j'ai passé une semaine magnifique de mise sur orbite. Il y a eu un intérêt formidable pour cette histoire parce qu’elle est écrite sans esprit de polémique, pas du tout comme un pamphlet mais comme une grande aventure humaine.


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