Psychanalyse du sportif d'endurance par Agnes Figueras-Lenattier, le 28 décembre 2019
Guy Lesoeurs pychanalyste, psychothérapeute, sexothérapeute dit dans la préface que lorsquevous courez, vous accomplissez votre désir du moi idéal et d'idéal du moi. Pourriez-vous expliquer?
Le désir du moi idéal c'est le moi de l'enfance, du moi infantile. Celui-ci se retrouve dans cette capacité à appréhender son corps dans l'exercice physique puisque le nourrisson perçoit le monde à travers son corps. Et c'est vrai que dans le sport et notamment dans le sport d'endurance, on obtient un contact particulier avec les éléments dans ce mouvement du corps. Quant à l'idéal du moi, c'est par le biais de la compétition que l'on va chercher des valeurs qui nous sont chères comme par exemple le dépassement de soi. C'est à la fois quelque chose de très enfantin dans le rapport au corps et quelque chose qui va se diriger vers l'accomplissement de soi qui pourrait constituer l'idéal d'une valeur que l'on va rechercher.
Quelle est pour vous la différence entre un sport d'endurance et un sport qui ne l'est pas?
Je pratique le fitness et je ne retrouve pas du tout les mêmes sensations. Dans le sport d'endurance, on laisse filer la pensée sans se préoccuper du mouvement et l'on arrive à une sensation de bien-être. Côté fitness, on est davantage axé sur un travail du corps et l'on n'a pas la symbiose du corps et de la pensée comme il existe dans un sport d'endurance. Dans mon livre, j'ai interviewé des sportifs, anciens pratiquants de sports d'opposition, notamment le football. Ils font la comparaison entre ces sports finalement très frontaux où l'on se blesse, et où l'on ne trouve pas un véritable plaisir comme lorsque l'on court ou que l'on nage.
Vous parlez dans votre livre d'une expérience sport en général et psychiatrie. Quelle est-elle?
D'après ce que j'ai lu, le sport est de plus en plus présent au sein du milieu psychiatrique et également en ESAT (établissement spécialisé dans l'aide au travail). Cela permet aux personnes atteintes de troubles psychiatriques de pouvoir ressentir les contours de leur corps, ce qui est leur moi et pas leur moi. Cela leur permet aussi d'utiliser les mécanismes de la défense de la décharge qui n'est pas forcément un mécanisme utilisé par tous.
Est-ce que cela permet de réduire les médicaments?
Il me semble que la sécurité sociale avait fait une étude à ce sujet. Il existe également des études anglo-saxonnes qui démontrent que sur un public atteint d'une dépression modérée, le sport quel qu'il soit améliore nettement les symptômes dépressifs et l'estime de soi à partir du moment où la pratique est régulière. Selon votre pathologie, le sport sera un bon soutien aux médicaments sans s'y substituer pour autant, mais pouvant permettre une diminution. Tout en s'aidant d'une thérapie et d'une prise en charge globale. La compétition qui implique le regard de l'autre apporte aussi un regard valorisant et porté vers le narcissisme…
Vous dites que le sport d'endurance conduit à l'auto-érotisme!
Oui, le temps d'endurance représente un plaisir de soi sur soi. Comme le nourrisson va se faire plaisir en tétant son pouce. Un sportif d'endurance n'a pas besoin d'autre chose que de son propre corps pour arriver à se faire plaisir. Et c'est la raison pour laquelle il est dans l'auto-érotisme. Mais il faut déjà une certaine pratique car si l'on est débutant, l'auto-érotisme sera absent et sera remplacée par la contrainte. Mais une fois que l'on a dépassé cette contrainte et que l'habitude s'installe avec un corps formé et entraîné, l'on va pouvoir accéder au principe de plaisir… On est en accord avec l'environnement, et comme je le dis, on devient la pluie, le vent, le soleil. On démarre avec le froid, on le subit, et puis rapidement on fait partie de cet environnement, et on s'y intègre totalement. C'est typique du bébé qui considère que le monde qui l'entoure c'est lui…
Ce plaisir que l'on éprouve peut conduire à une dépendance!
Effectivement si la personne a plutôt un profil dépendant, elle va rapidement tomber dans le besoin et non plus dans l'envie de faire du sport. Parmi les sportifs interrogés dans mon livre, certains malgré le fait qu'ils soient blessés continuent et peuvent se mettre en danger.
Le sport d'endurance peut combler un manque sexuel
Oui car cela va constituer une décharge partielle qui ne va pas être dirigée vers un objet sexuel ni vers l'orgasme mais vers une libération momentanée. Cela peut servir de palliatif mais il va rester un reliquat qui est la frustration.
Le manque de sport d'endurance peut aussi avoir un impact négatif au niveau psychique. Le cas de Géraldine que vous citez en est un exemple! Elle déclare : " Quand je ne courais pas, je devenais folle dans ma tête, m'énervais beaucoup plus vite, gambergeais, cherchais des problèmes là où il n'y en a pas."
Quand la personne possède un profil addictif, cela peut aboutir à la mise en danger de soi et la privation due à la blessure peut provoquer un grand sentiment de manque voir un état dépressif. L'exemple de Géraldine démontre que l'on n'est pas loin d'une pratique addictive, ce sont les premiers signes. On n'est plus sur l'envie, mais dans le besoin de courir…
Le sport favorise également la libido!
Oui, car le rapport au corps est un peu différent, non seulement dans la manière de l'appréhender mais également dans la vision que l'on en a. Avec le sport, le corps se transforme et l'on peut à ce moment là parvenir à un idéal de l'image que l'on perçoit de son corps qui incite au plaisir sexuel. L'activité physique permet aussi d'apaiser une certaine tension et d'être plus enclin à se tourner vers l'autre.
Il existe une différence dans la manière d'appréhender le sport entre les sportifs amateurs et les sportifs professionnels!
Le sportif professionnel va être dans l'obligation de la compétition car c'est son outil de travail. Il se trouve dans un cadre surmoïque. Il doit pratiquer et gagner avec l'appui des fédérations et représente son pays. Le sportif amateur au contraire peut tout à fait fonctionner uniquement à l'envie, et prendra comme figure d'identification le sportif professionnel.
Dans le rapport avec l'entraîneur il existe un transfert!
Je dirais que dans toute relation existe un transfert dans un sens comme dans l'autre mais les entraîneurs ne sont pas forcément conscients de ce transfert qui peut survenir soit de l'athlète sur l'entraîneur, soit de l'entraîneur sur l'athlète.
C'est la différence avec la psychanalyse où l'analyste est conscient de ce transfert!
Oui, et c'est justement à partir de ce transfert que l'on peut travailler… On a un cadre dont on s'inspire en fonction de ce transfert.
Ce transfert peut sûrement parfois se révéler dangereux car entraînant une dépendance!
On peut effectivement avoir un transfert négatif en psychanalyse et quelquefois c'est le signe d'une décharge des pulsions de mort. Ce n'est pas forcément adressé au psychanalyste en réalité, mais c'est lui qui va pouvoir le recevoir car ces sensations ne pourront pas s'exprimer ailleurs.
Qu'entendez-vous par pulsion de mort?
En psychanalyse on a deux sortes de pulsion. La première, la pulsion de vie ou pulsion sexuelle va dans le sens de tout ce qui est plaisir et la pulsion de mort au contraire est basée sur tout ce qui est agressivité, destruction. On est tous traversé par les deux, et l'important c'est que les deux soient impliqués. On a besoin dans certaines situations d'être agressif, combatif et quand cette pulsion de mort est au service de la pulsion de vie, cela donne un formidable moteur…
Côté compétition, il y a l'avant, pendant et l'après!
Avant la compétition, l' on va avoir globalement deux profils de compétiteurs. Ceux qui vont être habités par une véritable angoisse la veille. Cela va se manifester par des insomnies, la peur de ne pas y arriver et une inhibition avec le sentiment de perdre ses moyens. C'est la pulsion de mort. D'autres vont être victimes d'une peur très imbriquée avec la pulsion de vie, avec cette capacité que l'on va s'octroyer à soi-même de pouvoir le faire. Ceux qui ne subissent pas l'angoisse, sont des individus dotés d'un moi suffisamment solide. Ils vont sublimer l'angoisse durant la compétition. Ils ont une sorte d'excitation avec l'envie d'en découdre, d'y aller. Pendant l'épreuve c'est presque l'acte libérateur quelque que soit le profil de la personne. Pour le compétiteur angoissé, le passage à l'acte va lui permettre d'exprimer la pulsion de mort avec une implication de la pulsion de vie à travers le mouvement du corps. C'est le moment pour les uns et les autres de pouvoir adresser ces pulsions de mort à des adversaires réels ou imaginaires. On court tous dans le même sens mais l'on peut tout à fait s'imaginer que l'on va dépasser la personne se trouvant à 1O mètres devant soi. Cela va être un adversaire que l'on s'attribue à soi. A ce moment là, l'agressivité va être dirigée vers l'autre. Dans ce temps là de la compétition, existe également l'idée de pouvoir être en rivalité avec soi-même. Comme le dit Albin dans mon livre " Je cours avec moi et contre moi même. Il y a ce qu'il sait faire d'une part et d'autre part ce désir de dépasser ce qu'il sait faire et ce qu'il a pu faire. On est à la fois sujet de sa pratique sportive puisque l'on va agir pour et on est à la fois objet puisque l'on se prend soi-même pour un objet à dépasser. Quant à l'après compétition, c'est le moment de la verbalisation. On est dans le mouvement, dans le dire de ce que l'on a fait. Ce discours est adressé à un autre qui peut être l'entraîneur, un proche, des amis qui viennent toujours fantasmatiquement prendre la place du grand autre, la mère, qui représente un petit peu le premier admirateur de l'enfant. Et le premier être à qui l'on va montrer ce que l'on sait faire.
Après existe la gestion du résultat, avec soit la satisfaction, soit la déception!
Je n'ai pas interviewé beaucoup de sportifs qui vivaient la déception comme quelque chose à dépasser. Mais cela permet effectivement de réaliser que l'on n'est pas tout puissant et que l'on a ses propres limites. Cette prise de conscience est salvatrice et permet de revenir à un principe de réalité.
Vous avez interviewé 20 sportifs de 27 à 67 ans, 6 femmes, 14 hommes et fait toute une étude!
Chacun a son motif lié à la pratique sportive; moi-même je ne suis pas du tout issue d'une famille de sportifs. Cela vient souvent d'un manque et l'on va chercher dans les investissements d'objets et dans le sport ce qui semble combler nos failles et nos manques. Albin par exemple, n'était au départ pas très sportif. Il faisait beaucoup la fête et un soir en rentrant de boîte de nuit il a eu un accident de voiture et l'ami qui était à côté de lui est mort. Ce qui lui a peut-être permis de traverser ce drame c'est la course à pied.
Avez-vous interrogé des sportifs qui ont lutté contre une maladie par le biais du sport?
J'ai interviewé deux sportifs atteints d'une maladie dégénérative : la spondylarthrite ankylosante. C'était à mon avis une manière pour eux d'avoir le sentiment de maîtriser un corps qui aujourd'hui est défaillant puisque malade.
Le sport aide à se discipliner et c'est valable pour le combat de la vie de tous les jours!
Oui, il existe à la fois la discipline, la règle de la discipline et la discipline que l'on va s'imposer à soi dans la régularité de la pratique sportive, et dans l'hygiène de vie que l'on va avoir à côté. Celle-ci en fonction dont elle est menée, peut être préjudiciable à la pratique sportive. Cela donne un cadre permettant d'y injecter un fonctionnement et de se fixer des challenges. Même si un sportif ne fait pas de compétition, il peut se donner comme objectif de faire un tour de plus, d'améliorer son temps sur un parcours précis… On réalise que l'on est capable de le faire, et l'estime que l'on se porte augmente. Tout cela représente un cercle vertueux et donne des armes pour mieux affronter les problèmes. Le moi est plus solide.
Vous personnellement avez-vous déjà connu le manque de course à pied?
Non. Je n'ai jamais été blessée car je suis certainement quelqu'un de raisonnable à la fois dans ma pratique et dans sa complémentarité avec du renforcement musculaire pour solidifier l'ensemble du corps et le préparer à de grands marathons. Si je ne pouvais plus courir, je serais sûrement malheureuse mais je m'arrangerais pour remplacer par autre chose. Du vélo, de la natation….
Courir doit vous aider dans votre travail qui consiste à assumer les problèmes des patients!
Cela permet d'être avec soi, d'avoir un temps pour soi et de se reconnecter à soi. C'est vraiment un moment où je me régénère et c'est la raison pour laquelle je parle d'auto-érotisme. On laisse filer les pensées et l'on reste en phase avec ses sensations corporelles; les pieds sur le sol pour voir comment ils se posent. On observe son souffle, ses mouvements…
Est-ce que cela peut vous aider à trouver une solution quand vous avez une difficulté avec un patient?
Oui. Les sportifs interrogés le disent aussi,. On part avec un problème et l'on revient avec une solution. Comme les pensées filent, les choses s'éclaircissent et l'on saisit l'essentiel. Il peut m'arriver sans que ce soit préoccupant de penser à un patient, à une séance et de trouver la clé du problème.
Avez-vous en consultation beaucoup de sportifs!
Non, pas particulièrement et ma clientèle est diversifiée. Toutefois, c'est un domaine qui m'intéresse et je me dirige aujourd'hui vers un diplôme universitaire de préparation mentale pour les sportifs. J'aimerais pouvoir me spécialiser auprès de clubs pour intervenir sur la préparation mentale et travailler aussi sur un plan psychanalytique avec les sportifs.
Est-ce que lorsqu'un patient n'est pas bien psychiquement, vous lui conseillez de faire du sport?
Je pose souvent la question à mes patients s'ils font du sport. Je ne le prescris pas forcément, mais s'il règne une appétence particulière, je vais encourager à réactiver une pratique…