"Pourquoi je suis écologiste" Christian Grégoire par Agnès Figueras-Lenattier, le 19 août 2019
Vous êtes directeur de la collection intitulée "Pourquoi je suis"? En quoi consiste t-elle?
C'est une collection qui aborde un thème spécifique. En plus d'une étude approfondie sur le sujet choisi, quatre à cinq personnalités à qui l'on pose les mêmes questions interviennent précisément à l'intérieur du livre en expliquant leurs activités et pourquoi ils sont là. Il faut interroger des intervenants différents qui ne soient pas tous de la même chapelle ou de la même formation. C'est important pour distinguer les visions de chacun et leurs approches.
Pour le livre " Pourquoi je suis syndicaliste", que vous avez publié avant " Pourquoi je suis écologiste", qui aviez-vous interviewé?
Les quatre leaders des quatre principaux syndicats : CGT, CFDT, FORCE OUVRIERE et CFECGC. Je ne pouvais pas faire mieux puisque par rapport aux mêmes questions et aux mêmes champs d'applications les positionnements étaient bien distincts.
Dans " Pourquoi je suis écologiste", vous dressez un tableau assez noir en mettant l'accent sur la quête du profit qui gâche la sauvegarde de l'environnement et donc de l'homme!
C'est inévitable car l'un ne va pas sans l'autre. A partir du moment où l'on développe une économie mondialisée en faisant venir des produits du bout du monde, il existe forcément des traces de transport, des traces carbones comme disent tous les spécialistes. A partir du moment où l'on n'essaye pas de mettre en place une politique écologiste qui respecte le territoire et l'environnement, on rentre dans un système qui détruit de plus en plus ce qui se rapporte à la nature. Ce livre est assez pessimiste effectivement, mais je dis aussi que la nature rebondit constamment. Elle a connu des périodes catastrophiques et elle s'en est remise à chaque fois. Ce sont les humains qui ne sont pas sûrs de s'en sortir. On peut déjà constater la disparition de la biodiversité, des animaux, les impacts sur les plantes. Et la prochaine espèce qui risque d'être concernée c'est l'homme.
C'est l'écosystème qui est visé en premier!
Oui mais aussi la santé car tout s'entremêle. Il est fort probable qu'il va y avoir des régions entières où les gens ne pourront plus se nourrir, et où il n'y aura plus d'eau. Un nouveau type d'immigration va survenir ce qui engendrera des problèmes politiques et pourra faire naître des conflits. On est en train de détruire totalement certaines régions du monde, de détruire les terres cultivables pour pouvoir fabriquer des produits à base de soja ou autre. On s'en aperçoit avec tout ce que l'on met dans les fruits, les légumes, la viande n'en parlons pas… Des actions aberrantes se produisent comme donner de la farine animale à des vaches qui sont des herbicides. Après l'on s'étonne que l'on ait des problèmes de santé.
Actuellement, l'homme est pris à son propre piège. Il veut tellement dominer la nature qu'il ne s'arrête plus!
Oui, exactement. L'on est parti du principe que l'homme est très intelligent et qu'il doit dominer. Effectivement, il a dominé les plantes, les animaux et il veut prendre l'ascendant même sur le cycle, donc sur le fonctionnement de la planète. Maintenant par exemple, l'on détourne des rivières pour protéger un parc de loisirs à côté. Ce qui va à l'encontre même de la façon dont la nature a agi, car elle a creusé dans des sédiments et des lieux précis. On utilise la nature comme bon nous semble mais il arrive un moment où cela va craquer…
On prend également de plus en plus conscience de la manière dont on traite et exploite les animaux! Mais n'est-ce pas un peu tard?
Le problème effectivement c'est que cela s'est déroulé de manière trop rapide. Les actions ont été menées de façon tellement radicale que les personnes à qui l'on a montré des images de maltraitances d'animaux, n'ont pas eu le recul pédagogique pour comprendre. Tout de suite, n'ayant pas été éduqués auparavant, ils ont évoqué la violence des gestes découlant des "anti-viande". Cela commence à changer un peu, et grâce au développement d'actions, d'informations, la population réalise petit à petit que l'on ne peut se servir ainsi des animaux, que ce ne sont pas des objets. On en aura toujours un peu besoin, ne serait-ce que pour certains médicaments, mais l'on n'est pas obligé de détruire comme l'on détruit. La chasse c'est la même chose et ce ne serait pas difficile d'y mettre un terme puisqu'on l'interdit certains mois de l'année.
Le problème c'est qu'Emmanuel Macron y est favorable!
Oui, car les chasseurs sont avant tout des électeurs!... A part les secteurs vraiment liés à des conditions technologiques ou techniques, la plupart des décisions sont purement politiques. Quand dans les petits villages, les camions traversent et polluent, il suffirait d'un décret pour les interdire à cet endroit là. Mais on ne le fait pas, de peur de provoquer la colère des entrepreneurs routiers du coin. Le phénomène du chantage rentre beaucoup en ligne de compte.
Vous dites dans votre livre " Il faudrait pouvoir enseigner notre lien à la terre notre mère nature." Comment imaginez-vous cette démarche?.
Par exemple l'enseignement n'est pas du tout basé sur l'environnement et sa constitution. Avant, on faisait des sciences naturelles, et l'on allait souvent sur le terrain voir des arbres, des fleurs. On nous expliquait des choses. Je ne dis pas que c'était mieux avant mais à l'heure actuelle on n'apprend plus rien, on ne sait plus rien. Je suis sûr que les jeunes ne savent même pas comment fonctionne la chaîne alimentaire de l'économie, comment cela se met en conditionnement lorsque les agriculteurs font du lait. Pareil pour la viande. Comment on élève les bêtes et comment on les abat ensuite. D'ailleurs parmi les gens que j'ai interviewés, un ou deux y font allusion. Quand vous évoquez le problème au Ministère, il parle du coût de cette démarche avec la formation de professeurs spécialisés, le recrutement et l'ajout des heures. C'est toujours le même problème, celui de l'économie.. Et puis l'on préfère enseigner les maths plutôt que la science de l'environnement…
D'un autre côté ce sont quand même les jeunes qui se battent le plus pour tout ce qui a trait à l'écologie!.
On ne leur a pas appris à l'école mais ils sont tout de même au courant. Quand ils écoutent les gens, ils se rendent compte que la génération concernée ce sont eux et leurs enfants. Or, ceux qui s'en occupent actuellement ne vont pas plus loin que leur génération. " Nos enfants ça ira, après moi le déluge…" Quant aux jeunes qui se mobilisent, cela provient souvent du milieu associatif et non pas du milieu scolaire. Mais j'ai espoir que l'enseignement scolaire s'y mette.
Vous préconisez l'agro-écologie!
Oui, il faut le plus possible produire chez soi et vendre sur son terrain avec des modes d'élevage en plein air pour les animaux, et l'eau de pluie que l'on récupère pour l'arrosage. Ceci au lieu de prendre de l'eau dans les rivières pour éviter la nappe phréatique. Par exemple, certaines personnes qui ont des mauvaises herbes louent des moutons, ce qui évite les engrais…
Que pensez-vous de la puissance nucléaire?
Je suis contre et pour commencer, on nous vend deux fausses idées à ce sujet. Premièrement l'indépendance nucléaire qui est une fausse information car pour avoir une centrale nucléaire il faut du radium et du radium en France on n'en a pas. C'est un mensonge même si c'est vrai que l'on a l'indépendance énergétique si des problèmes au niveau de l'électricité classique se propagent. Et puis contrairement à ce que l'on raconte, il existe des risques. On l'a vu dans d'autres pays où c'est arrivé. En outre, quand cela survient, les victimes se comptent par centaines. Sans compter les failles. Il faut faire attention et essayer de développer d'autres types d'énergie. Je crois que dans le livre l'un des intervenants le dit. S'il y a 20 ans, on en avait parlé quand on a commencé à le faire, notamment pour tout ce qui est hydroélectricité, éolienne, si l'on avait baissé la part du nucléaire, la situation serait différente. Mais là aussi, il y avait la pression d'EDF, de tous les gens qui fournissaient en sous-traitants. Maintenant on se retrouve avec certaines centrales vieillissantes que l'on aurait du fermer depuis des années comme Fessenheim. C'est vrai que le nucléaire produit beaucoup, mais le problème c'est qu'il faut analyser le rapport qualité, prix et risque. Pour moi, les risques sont plus importants que les avantages mais l'on ne peut s'en passer tant que l'on n'a pas développé le reste. Avec l'aide des spécialistes, on pourrait créer plusieurs centaines de milliers d'emplois avec les nouvelles énergies.
Et le réchauffement climatique?
Même si certains disent qu'il n'existe pas, on voit bien dans les glaciers, dans l'avancée des mers que la glace a fondu. Le problème est le même, l' on en prend conscience seulement maintenant et pourtant certaines personnes évoquent le problème depuis 1990. Des gens du groupe international de l'étude du climat qui tout le temps avertissent et fournissent des rapports accablants depuis des années. Mais les gouvernements restent indifférents, l'ONU prend ces rapports et les met un tiroir… Même si certains disent qu'il n'existe n'existe pas, on voit bien dans les glaciers, dans l'avancée des mers que la glace a fondu. Le problème est le même, l' on en prend conscience seulement maintenant et pourtant certaines personnes évoquent le problème depuis 1990. Des gens du groupe international de l'étude du climat qui tout le temps avertissent et fournissent des rapports accablants depuis des années. Mais les gouvernements restent indifférents, l'ONU prend ces rapports et les met un tiroir…
Le problème c'est que la climatisation accentue le réchauffement climatique. Donc c'est un cercle vicieux!
Oui. Lorsqu'on a des machines climatiques, l'air ressort à l'extérieur donc effectivement cela accentue le réchauffement climatique. La solution ce sont les ventilateurs, les courants d'air. Ce n'est pas un hasard si un des pays les plus pollués ce sont les Etats-Unis avec la clim partout. Sans compter les voitures
Le tri sélectif est-ce vraiment efficace?
Pour qu'il serve à quelque chose, il faudrait trier non seulement ce qui concerne l'alimentaire, mais aussi le plastique, le tissu. 12 poubelles par immeuble seraient utiles. Or le plastique n'est pas recyclable, donc que fait-on? On envoie des containers entiers de nos propres déchets dans des pays étrangers pour qu'ils soient détruits là-bas. On pollue en Indonésie car on considère que les autochtones sont intoxiqués. C'est ce que pensent les pays riches.
Pour ce livre sur l'écologie, vous avez interviewé 4 personnalités. Qui sont-elles?
Jean Jouzel climatologue, qui fait partie du groupement international des études climatiques, François Gemenne un enseignant spécialisé dans ce domaine en Belgique, Jean-François Julliard responsable français de Greenpeace et Alain Bougrain Dubourg président de la ligue de la protection des oiseaux, et journaliste. Ce sont des personnes qui n'ont pas les mêmes positions, pas le même recul mais dont les avis convergent malgré tout sur de nombreux points. Tous les quatre pensent que l'on est en grand danger, si l'on ne réagit pas maintenant. Plus question de tergiverser. Il faut intervenir pour que la température ne monte plus car il y aura un moment où ce ne sera plus viable. Cela fait 4 ans que la COP21 a eu lieu et l'on a prétendu que c'était l'élément déclencheur de la communauté internationale. Or, on attend toujours. Le problème c'est que certains pays s'en fichent totalement, avec notamment la présence des climato-sceptiques. Dans des pays comme les Etats-Unis, le Brésil il règne une vision essentiellement consumériste. Même maintenant dans certains pays en développement, soit on ignore le problème, soit on ne veut pas savoir.. On peut donc faire toutes les réunions et toutes les conférences possibles, cela n'a pas beaucoup d'impact.
Quels sont les points sur lesquels les personnes interrogées dans votre livre divergent?
Sur les domaines d'intervention. Le chercheur du GE est pour un grand plan de développement mondialisé alors que GreenPeace est favorable à la responsabilisation des citoyens. Alain Bougrain Dubourg est très à cheval sur la permissivité qui règne dans certains domaines. Sa bête noire ce sont les chasseurs. L'idée générale est la même, ce sont les moyens qui diffèrent.
Les initiatives citoyennes sont de plus en plus nombreuses!
Oui c'est très bien mais je trouve cela dommage que la plupart des opérations soient lancées par les citoyens. Cela veut dire que sans les associations ,rien ne serait fait, alors que des élus sont nommés pour s'en occuper. C'est également valable dans l'humanitaire. L'association supplée le politique. Les gouvernements sont très contents que ces associations existent, cela leur permet de se défausser. Et peut aussi leur servir d'aiguillon car de temps à autre une association développe une idée qu'ils reprennent à leur compte alors que ce n'est pas eux qui l'ont trouvée. Peuvent aussi se mettre en place avec l'aide de ces associations des tables rondes, des grenelles au cours desquelles l'on promet beaucoup de choses. De temps en temps, ces associations forcent le passage, et certaines personnes par exemple empêchent que l'on détruise tel ou tel endroit. Le cas s'est présenté pour Siemens, Notre Dame des Landes. En France on a de la chance, il existe des droits, des recours même si cela peut prendre du temps. Mais malheureusement, il existe des pays ou des associations luttent, mais on ne les écoute pas. Par exemple au Brésil avec le nouveau gouvernement, L'Amazonie est en train d'être détruite simplement parce qu'ils veulent faire une politique de commerce du bois et la promouvoir de plus en plus. Toutes les populations indigènes qui vivent aux alentours n'ont plus rien.
Le système macroniste n'est pas du tout orienté en faveur de l'écologie!
Effectivement, il est totalement antinomique car il défend l'investissement, le consumérisme. On ne peut pas produire plus, vendre plus, sauf si l'on vend uniquement sur son propre territoire. Si certaines personnes proposent cette solution de la proximité, ils sont traités de réactionnaires, de populistes, de nationalistes car ils veulent fermer les frontières. L'Union européenne a signé récemment un accord "Le mercosur" avec tous les pays de l'Amérique latine pour développer les échanges commerciaux. Alors que juste avant les élections, ils prétendaient qu'il fallait absolument faire quelque chose pour l'environnement. Il faudrait imiter certains pays d'Europe du Nord qui interdisent les pesticides. En France c'est flou, et l'on remet toujours au lendemain. Pareil pour l'élevage industriel que l'on pourrait aussi interdire. Ce n'est pas compliqué, ce sont simplement des décrets de loi à mettre en place. Mais on ne le fait pas car les groupes industriels qui sont derrière, produisent et génèrent de l'emploi. Mais ce à quoi les responsables politiques n'ont pas réfléchi, c'est que si l'on développe de nouvelles alternatives environnementales, de l'emploi sera aussi créé. D'autres types de production même sur un plan électrique peuvent être réalisés.
Les politiques ne se bougent pas beaucoup!
Exactement. D'un côté, l'on responsabilise les gens en leur demandant de faire des efforts, et d'un autre côté, on les culpabilise aussi en rejetant la faute sur eux. " Vous achetez des bouteilles en plastique, vous faites ceci, cela…" Or à partir du moment où l'on autorise le déversement de produits toxiques dans les rivières ou la destruction du sol et de ce qui est autour, il est facile de reprocher aux gens leurs agissements se rapportant à des détails. Les actions de la population au quotidien c'est bien, mais tant que l'on n'en prend pas conscience au niveau gouvernemental, on ne peut pas vraiment agir. La preuve: les réunions, les Cop qui s'organisent, mais qui finalement n'aboutissent à rien, car ce n'est pas bientôt fini que tout le monde se désolidarise de ces initiatives. En effet, si l'on persistait, les voitures ne se vendraient plus, et l'on ne prendrait plus l'avion. Tant que seule l'économie comptera, les initiatives seront vaines.
Que pensez-vous de Yannick Jadot?
C'est un arriviste comme Pascal Canfin qui a d'ailleurs failli intervenir dans mon livre. J'ai eu des contacts avec lui assez longtemps, puis finalement il s'est rétracté. Yannick Jadot a accepté de rentrer dans un gouvernement tout en sachant qu' aucune politique autour l'écologie n'est vraiment possible. Mais il aura le titre de Ministre sur sa carte de visite!..On a le droit de trahir ses idées, mais alors on ne revient pas. C'est pourtant ce que font tous ces gens là.
Et de la démission de Nicolas Hulot?
Il a abandonné car à un moment donné, il s'est rendu compte qu'il ne pourrait rien faire. On lui a juste concédé deux, trois petites choses en lui permettant de faire un plan pour le développement des énergies renouvelables. Il a alors proposé d'aider les gens pour mettre l'isolation chez eux. On lui a dit d'accord et puis finalement, cela a été annulé, soi-disant faute de moyens financiers. Ce qui a fait déborder le vase c'est que lors d'une réunion de protection de la race animale et de la biodiversité, en plus du président et du 1er ministre, était présent le représentant des chasseurs avec qui Nicolas Hulot était un peu en froid. A un moment donné il a compris que quoi qu'il dise, rien ne serait fait. Et comme il ne voulait pas être le dindon de la farce, et qu'il a réalisé qu'il était juste un "prête nom" pour masquer une fausse politique écologique, il est parti. Cela faisait 15 ans qu'on lui proposait d'être Ministre ce qu'il avait toujours refusé. Là il avait accepté car il pensait pouvoir agir de l'intérieur. Comme ce n'était ni vraiment un gouvernement de droite ni vraiment un gouvernement de gauche, il s'était dit qu'il n'y aurait pas de lutte interne et qu'il pourrait faire valoir ses idées. Mais il s'est aperçu que c'était exactement pareil aux autres gouvernements.
Pour finir, citons la phrase de Théodore Monod : "Parler de l'homme de la nature revient presque à parler de l'homme contre la nature"!
Oui, car l'homme l'être plus évolué de toutes les créatures créatures, est celui qui détruit le plus son environnement. On pourrait penser qu'il est suffisamment intelligent pour s'en rendre compte mais il est en fait suffisamment intelligent pour ne pas s'en rendre compte. Il sait qu'il détruit mais se dit que ce n'est pas grave et qu'il pourra toujours rattraper le coup. D'ailleurs, certains économistes pensent que la technologie sauvera la situation. Selon eux, il sera toujours possible d'avoir recours à d'autres méthodes comme par exemple un lac artificiel le jour où le lac naturel aura disparu.