Révolution végane par Agnès Figuera-Lenattier, le 3 novembre 2018

Elodie Vieille-Blanchard docteur en sciences sociales, professeur de mathématiques auprès d'adolescents handicapés moteur, est présidente de l'Association végétarienne de France depuis 2013. Elle vient de sortir un livre engagé et très documenté " Révolution végane" aux Editions Dunod, où elle parle d'un monde reposant entièrement sur le véganisme. Serait-ce possible de se passer entièrement de viande et de produits animaux? C'est le pari lancé au sein de cet ouvrage avec à l'appui des études scientifiques poussées et des réflexions philosophiques. Les conséquences et les avantages sont analysés avec sérieux et il semblerait que ce soit envisageable…

Vous êtes devenue végane à 35 ans. A quelle occasion?

C'est l'aboutissement d'un long processus de réflexion, de transformation. J'étais déjà végétarienne, et sensibilisée au véganisme depuis une bonne dizaine d'années. Selon moi, le fait de devenir végane s'impose naturellement lorsque les questions éthiques commencent à peser plus lourd dans la balance que les questions pratiques. J'avais le sentiment que cet enjeu éthique était si important que je ne pouvais plus l'ignorer. De plus, la société s'était déjà transformée, et les offres véganes étaient beaucoup plus importantes notamment à Paris. Cela dit, le déclic, l'étincelle sont venus de ma rencontre avec Mélanie Joy une psychologue américaine venue présenter son livre à Paris intitulé " Why we love dogs, eat pigs, and wear coqs". Sa présentation m'a convaincue et à l'issue de cette conférence, je me suis dit " Maintenant c'est terminé, je fais le choix à partir d'aujourd'hui d'être complètement végane en toutes circonstances. J'assume totalement ce positionnement qui est juste, et même s'il est difficilement compris par mon entourage, je ferai des efforts de pédagogie."

Vous êtes présidente de L'AVF (Association végétarienne de France). Quel est votre rôle?

Un rôle qui évolue beaucoup à mesure que l'association se transforme. Quand je suis devenue présidente, c'était une association comprenant des bénévoles et qui n'avait pas de structure professionnelle. A l'époque, je gérais beaucoup l'opérationnel. Aujourd'hui, l'association englobe sept salariés et se développe énormément. Ma mission est une mission de coordination du travail de l'équipe salariée et je fais le lien avec le conseil d'administration qui est décisionnaire. Je suis aussi la porte-parole de l'association dans les médias. C'est moi qui représente les opinions de l'association. Celle-ci est autant que possible végane avec pour but de faire avancer au maximum le véganisme . Et dans certaines situations le végétarisme. Mais nous ne défendons pas l'ovo-lacto-végétarisme comme mode d'alimentation.

Il existe un journal trimestriel au sein de l'AVF " Alternatives végétariennes". Comment est-il conçu?

C'est une revue qui parle de la transition alimentaire du véganisme et qui en aborde tous les aspects. Cela touche des domaines comme la nutrition, la santé, l'écologie, l'éthique, la cuisine. Par exemple, le dernier numéro parle de la viande cellulaire qui se développe aux Etats-Unis : la culture de cellules pour produire de la viande. Le prochain dossier sera sur la cuisine de fête, et le numéro de mars 2009 évoquera le lait avec ses dimensions économiques, agricoles, écologiques et anthropologiques. La rubrique santé est très étoffée, puisqu'au sein de l'AVF, nous avons une commission nutrition santé qui travaille sur le sujet. La rubrique écologie est très riche aussi. Côté culture, nous traitons de toutes les publications, nous avons des rubriques plus humoristiques, et nous passons aussi en revue ce qui a trait à l'international et aux enjeux politiques.

Récemment, vous avez écrit un livre intitulé " Révolution végane". Quel est le but?

C'est de réfléchir à la possibilité d'un monde complètement végane. Jusqu'ici, beaucoup de publications envisageaient le véganisme comme un choix strictement individuel, ce qui peut être le cas dans une certaine mesure. Mais ce qui m'intéresse c'est de me demander s'il est possible que le monde devienne végane.

Et la conclusion est oui!

En effet. Dans les pays industrialisés comme la France, rien ne s'oppose à ce que la société aille vers un monde végane. Je ne prétends pas répondre pour les pays où l'on trouve beaucoup de bergers nomades. Des individus qui dépendent vraiment de l'élevage pour leur subsistance. Mais, en France et dans la plupart des pays industrialisés, ce n'est pas le cas, et l'on peut donc tout à fait envisager cette transition. Bien sûr, il ne faut pas minimiser les aspects liés à l'emploi, à l'économie, à la culture, à l'occupation des sols. Je ne dis pas que c'est simple, mais l'on se rend compte qu'un tel monde ferait naître de nombreux bénéfices…

Justement lorsqu'on lit votre livre, on a le sentiment qu'un monde végane n'aurait que des avantages!

Oui, pour moi il n'existe que des avantages, sans bien sûr minimiser les freins relevant de la culture et de l'habitude . Un monde végane est un monde qui remettrait en question notre rapport aux animaux, notre politique agricole et économique. En ce sens, on peut considérer que ce sont des désavantages si l'on estime que l'on doit s'opposer aux changements. Il peut y avoir de vraies difficultés dans la transition professionnelle. Mais on se pose exactement les mêmes questions quand on réfléchit à la transition écologique et que l'on se dit qu'il faut sortir de l'économie du pétrole. On se heurte aux mêmes problématiques : Que vont devenir les gens qui travaillent dans l'industrie automobile ou dans l'extraction du pétrole? Mais pour le reste que ce soit du point de vue de la santé, de l'écologie, de l'éthique, je ne perçois que des avantages.

Vous faites un parallèle avec la disparition de l'esclavage auquel personne ne croyait à l'époque!

C'est un parallèle historique intéressant qui peut choquer les gens non sensibilisés à la question de l'exploitation animale. Mais c'est un fait qu'il existe beaucoup de points communs et l'on est effectivement sortis de l'esclavage plus vite que l'on ne pensait. Avec notamment des éléments économiques qui ont favorisé la sortie de l'esclavage.

Vous dites que la production mondiale de viande a été multipliée par cinq entre 1950 et 2000. Pouvez-vous expliquer la raison?

Pendant cette période, la population mondiale s'est accrue, mais on a surtout complètement changé de modèle agricole après la seconde guerre mondiale. On est entrés dans les décennies du développement avec la révolution verte. On a transformé les méthodes de production agricole que ce soit pour les végétaux ou pour les animaux. Cela a commencé aux Etats-Unis avec un changement complet du mode de vie et l'avènement de la société de consommation. On s'est mis à consommer beaucoup plus de viande, de produits laitiers et cette transformation s'est ensuite diffusée en Europe et à l'ensemble du monde industrialisé. Aujourd'hui, on se rend compte que les pays en développement comme la Chine suivent aussi notre exemple et vont vers des modèles beaucoup plus riches en protéine animale. Même l'Inde s'y met aussi. Une partie importante des classes favorisées se mettent à consommer de la viande. 25 à 40% de la population indienne est végétarienne mais une imitation du comportement des pays industrialisés se fait de plus en plus sentir.

Le pic en France est passé!

Il a été atteint il y a une vingtaine d'années et la consommation de produits animaux est en décroissance depuis cette date. Une dynamique est amorcée et l'on ne peut plus revenir en arrière.

Manger végane n'est pas à la portée de toutes les bourses. Par exemple dans l'épicerie "Un monde végane", les produits sont chers…!

Oui si vous voulez manger des produits transformés. Dans cette épicerie, ce sont souvent des produits importés et c'est vrai que cela coûte cher car de nombreux produits sont bio. C'est un fait que si vous achetez des crèmes glacées végane, du fromage végane c'est coûteux car c'est produit en petite quantité et non subventionné. Mais l'alimentation végane en elle-même n'est pas chère. Si on remplace la viande par des lentilles, c'est plutôt moins cher que plus cher. Il existe de nombreuses façons de se nourrir. Par exemple avec des produits bruts que sont les céréales, les légumineuses, les légumes, les fruits.

Que répondez-vous aux critiques suivantes : les carences, les plantes qui souffrent aussi et le fait de se soucier d'abord des humains?

Concernant les carences, il faut différencier les carences théoriques des carences réelles. Dans l'alimentation végane, on trouve tous les nutriments sauf la vitamine B12. Le risque de carence se trouve là, et il faut faire attention. Après, tout dépend comment la population se nourrit. Il faut l'encourager à faire attention par exemple à sa consommation d'iode ou à sa consommation de calcium. Pour ma part, j'ai fait des analyses complètes et je n'ai aucune carence que ce soit en fer, en calcium, en zinc. Le risque de carences existe dans toutes les alimentations. Ainsi, une grande partie de la population française est carencée en vitamines D3 car on ne va pas assez au soleil. Les carences en vitamines C existent également. Pour ce qui a trait aux plantes, l'on sait que les plantes ne possèdent pas de système nerveux central qui permet de réagir si l'on est blessé. Ou si l'on est un animal et qu'un autre animal nous mord et que l'on possède un signal qui nous avertit qu'il faut s'enfuir. C'est vrai qu'aujourd'hui, on parle de la communication des plantes, de ce que l'on appelle l'intelligence des plantes. Je ne sais pas si c'est une intelligence réelle ou si c'est une forme d'adaptation à la réalité qui n'implique pas d'avoir une conscience affective. Ce que l'on met souvent en avant c'est le fait que si l'on mange végane, on consomme indirectement moins de plantes que si on a une alimentation carnée. Il faut faire pousser beaucoup de plantes pour nourrir les animaux. Quant à la troisième critique, se soucier d'abord des humains, il suffit de se référer au dérèglement climatique du en grande partie à notre modèle agricole. Donc devenir végane, c'est libérer notre emprise sur les terres agricoles. Cela permettrait à toute la planète d'avoir une souveraineté alimentaire. Notre impact climatique serait réduit, tout en sachant que le changement climatique deviendra vraisemblablement une très grande cause de misère humaine, peut-être de guerre, de migration, de destruction d'habitat etc.. Et puis des études de psychologie cognitive montrent que statistiquement, lorsque l'on est végane, on est moins raciste, on est moins dans la discrimination ce qui n'est donc pas du tout contradictoire avec le fait de se soucier des humains. De nombreuses citations vont dans ce sens. Citons Lamartine : " On n'a pas un cœur pour les animaux et un cœur pour les humains, on a un cœur ou pas du tout"…

Que peut-il se passer si l'on ne prend pas de vitamine B12?

C'est une vitamine utile au bon fonctionnement du système nerveux et l'on peut avoir des problèmes de ce côté là. C'est un principe de précaution. Mais j'ai déjà rencontré des gens qui avaient une vingtaine d'années, qui étaient véganes de naissance, qui ne s'étaient jamais supplémentés et qui allaient très bien. On n'a pas encore de données vraiment précises sur les mécanismes d'absorption, de production de cette vitamine mais en manquer peut être très grave. Mieux vaut faire attention.

Il semblerait d'après votre livre que la plupart des animaux contrairement aux plantes seraient sentients, c'est à dire qu'ils possèderaient une conscience affective…

Oui. On a même des éléments qui laissent penser que les insectes le seraient. Certains mollusques notamment les lamellibranches, moules et huitres échapperaient à la règle. Or qu'est-ce qui fait que l'on décide de tuer les animaux ou pas c'est cette capacité ou non à souffrir.

Vous parlez aussi de supprimer l'élevage!

Actuellement, l'élevage occupe 75% des surfaces agricoles de la planète que ce soit pour le pâturage ou pour produire de la nourriture pour les animaux d'élevage. Si on l'arrête ou si on le réduit, on peut arriver au rewilding ou réensauvagement ce qui veut dire laisser la nature reprendre ses droits sur des territoires plus ou moins importants. Les bénéfices surviendraient en terme de biodiversité mais aussi en terme de dérèglement climatique puisque cela pourrait permettre de créer de vrais puits de carbone. Ce que l'on peut dire aussi c'est que l'élevage contribue à au moins environ 15% des gaz à effets de serre. Ce pourcentage représente davantage que les émissions du secteur des transports. Et cela pourrait s'aggraver si l'on continue ainsi avec la production de méthane ou de protoxyde d'azote.

Israël semble être le pays englobant le plus de véganes. Pourquoi selon vous?

Déjà c'est un pays très développé. Tel Aviv par exemple est une ville très jeune, très branchée et très végane. Il existe souvent une corrélation entre le niveau d'urbanisation ; le niveau d'études de la population et son degré de végétarisme ou de véganisme. Et puis il existe un lien très intéressant entre le judaïsme et le véganisme. Renan Larue en parle très bien dans son livre historique " Le végétarisme et ses ennemis". Il montre que théoriquement le judaïsme est plus soucieux des animaux que le christianisme. On sait aussi que des anciennes victimes de la Shoah ou des gens issus d'une famille victime de la Shoah font le lien entre l'exploitation animale et l'holocauste. C'est le cas d'Isaac Bashevis Singer un écrivain juif américain. Charles Patterson un historien a écrit un livre " Un éternel trebrinka" avec de nombreux documents.

Quand on est végane, il semblerait que l'humeur soit plus joyeuse.

De nombreux philosophes par exemple Pythagore considéraient que les nourritures carnées n'étaient pas bonnes pour philosopher car elles obscurcissaient l'esprit. Dans l'hindouisme, on pense aussi que le végétarisme est une bonne alimentation pour faire de la méditation. Cela va dans le même sens…

Que ce serait bon également pour l'asthme et la lutte contre le diabète de type 2.

Le lien entre la consommation de produits animaux et le diabète est bien connu et aux Etats-Unis beaucoup de cliniques destinées à soigner le diabète préconisent un régime complètement végétal. On sait qu'un régime végétal protège du diabète et qu'un diabétique se portera beaucoup mieux avec ce genre de nourriture l.

Que conseilleriez-vous aux gros carnivores ?

C'est vrai que le plaisir c'est important. A Paris, il existe de plus en plus de restaurants qui font des burgers végétariens tout à fait savoureux, nourrissants et bien protéinés. C'est bien d'essayer de goûter à des nourritures qui ont le même genre de textures et qui ont du goût. Un changement d'alimentation ne se fait pas du jour au lendemain. Découvrir d'autres plats c'est déjà bien, sans forcément penser " Je vais devenir végane demain". Mais se dire " Y a t-il autre chose que la viande que j'aime manger?" Cela peut être positif également de s'intéresser à la cuisine d'autres pays, de diversifier son alimentation car il existe beaucoup de recettes naturellement basées sur les produits végétaux comme la cuisine indienne, libanaise.

Pour vous faire évoluer les mentalités, relève plus de l'éducation que des discours moralisateurs.

Oui, l'être humain il me semble n'a pas un fonctionnement très rationnel. On n'aime pas être contredit, on aime bien avoir raison. De ce fait, lorsque quelqu'un nous contredit, nous dit que l'on ferait mieux de changer de comportement dans tel ou tel domaine, on a tendance à se défendre, à se justifier. Toutes les approches culpabilisantes ne me semblent pas judicieuses. Personnellement, je sais que j'ai été ralentie dans ma transition vers le véganisme, par des messages pas très positifs et plutôt culpabilisants. On a souvent tendance à confondre le message avec le messager. Si l'on rencontre des véganes pas très sympas, on va se dire " Le véganisme c'est nul, je ne veux pas en entendre parler." Ce qui m'a donné envie de devenir végane, c'était de voir des gens bien dans leur peau, sympas. Plus ma propre réflexion. Je crois surtout à l'éducation, à l'encouragement plutôt qu'à tout ce qui peut mettre mal à l'aise, culpabiliser.

Justement ces véganes qui détruisent des vitrines qu'en pensez-vous?

D'abord ils sont peu nombreux, et seulement douze vitrines ont été cassées, ce qui objectivement est peu. Ce sont des individus isolés, et ce n'est pas revendiqué par une organisation. Mais effectivement ce n'est pas bon parce que l'on arrive derrière, on porte un message positif, constructif et on ne nous entend pas. On doit commencer par dire dix fois de suite que l'on ne cautionne pas ce genre d'agissements, avant d'être écouté. C'est difficile de parler du fond quand de tels comportements impopulaires se produisent.

A quelles stratégies avez-vous vous recours pour convaincre les gens de consommer moins de produits animaux?

On en a plusieurs. On essaye de toucher le grand public, c'est la méthode la plus ancienne et qui marche. Mais c'est plus utile de toucher les institutions. Si l'on peut changer les recommandations nutritionnelles en France et qu'elles soient plus ouvertes au véganisme, cela changerait le discours de milliers de médecins, et le comportement de milliers de patients. On travaille aussi avec les acteurs politiques notamment autour de la question des menus végétariens dans les cantines scolaires. Ce sont des lieux d'apprentissage de la citoyenneté où l'on peut beaucoup agir. On est aussi en relation avec les entreprises, puisqu'à L'AVF on labellise les produits végétariens et végans. Cela nous permet d'être en relation avec de grands groupes comme Carrefour, Inter Marché, la SNCF et de les aider à développer des gammes végétariennes et véganes.

Et le milieu médical?

On a des contacts avec l'ANSES, agence gouvernementale produisant les repères nutritifs, qui ensuite donne les recommandations nutritionnelles. C'est très scientifique, très général et ce sont vraiment des recommandations pratiques pour le grand public. Et puis au sein de l'association, on a une commission nutrition santé comprenant une dizaine de professionnels de santé dont la moitié sont des médecins. Par leur intermédiaire, on espère agir sur la formation des médecins. Ou procurer aux patients de petits documents bien documentés, afin qu'ils expliquent les caractéristiques de l'alimentation végane à leur toubib.

Vous sentez-vous soutenue par la presse?

Elle en parle mais pas toujours d'une manière positive et superficiellement. Je suis très déçue d'être peu sollicitée autour de mon livre que j'estime sérieux. J'ai envie d'en discuter. Or les médias préfèrent parler des méchants véganes qui cassent des vitrines plutôt que de se demander ce qui se passerait si on changeait l'agriculture. Quel impact cela aurait…

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