Olivier Hanne par Agnès Figueras-Lenattier, le 2 septembre 2015
Vous avez fait dix années d'aumônerie dans trois établissements. Dans votre livre vous ne citez que la grande maison d'arrêt de Luynes..
Je mélange systématiquement les trois maisons d'arrêt pour éviter que l'on reconnaisse des cas précis. Un exemple viendra de Luynes, un autre d'une prison différente. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas donné le nom des deux autres établissements…
En écrivant ce livre quel était votre but?
C'était il y a à peu près un an, moment où je rendais ma charge. A la fois pour cause de déménagement, et parce que je devais changer de métier. Je ne pouvais plus assumer en raison de la surcharge de travail. Puis comme on le devine quelque peu dans le livre, il existe des métiers qu'il ne faut pas garder trop longtemps. Ainsi le travail d'aumônier m'est-il apparu un peu lourd en fin de parcours. Mais pendant dix ans, j'ai accumulé toute une série d'idées, de réflexions, j'ai noté de nombreuses anecdotes, et ai été en contact avec de nombreux visages et personnes. Et comme je suis écrivain, je me suis dit que ce serait sûrement une bonne initiative de faire part de mon expérience. Avec simplicité, et en me basant sur des faits vécus et des rencontres.
Pourquoi cette charge a t-elle fini par vous peser ?
J'ai trouvé que le plus lourd était l'absence du sens des responsabilités de la plupart des détenus. La mission d'aumônier de prison qui est une mission de libération spirituelle a du mal à se passer d'une libération d'ordre psychologique et même juridique. Or pour être libéré, et en phase à la fois avec Dieu, avec soi-même et avec les autres, il me semble que le détenu à un moment ou un autre doit avoir conscience de ce qui s'est passé. Et cette conscience je l'ai tellement peu rencontrée qu'à un moment je me suis demandé à quoi servait tout ceci..
Si les prisonniers n'assument pas leurs actes quel genre de discours tiennent-t-ils ?
Il règne beaucoup de manipulation de leur part. Ils essaient de présenter les faits de telle manière que les raisons les ayant poussés au délit justifient leurs actes. Enfance malheureuse, problèmes d'entourage, etc.. Ce sont d'ailleurs de vraies circonstances atténuantes, mais qui n'enlèvent pas la faute en elle-même. Certains détenus dans leur manière de raconter dédramatisent la situation. Ainsi, j'avais rencontré un détenu qui avait frappé sa femme vraiment très fort. Et il m'avait dit : " Je suis ici parce que ma femme s'est fait mal. Ou bien elle s'est cassée le nez. Il ne disait pas qu'il ne l'avait pas fait, mais il minimisait sa responsabilité.
En 10 ans, vous n'avez jamais rencontré de détenus reconnaissant leurs délits !
Si quelques-uns acceptaient tout à fait ce qu'ils avaient fait. C'était d'ailleurs assez beau car dans ces moments là j'avais le sentiment de gens capables de se relever, de demander pardon à eux-mêmes, aux autres et à Dieu. Mais c'est très rare.
En tant qu'aumônier quel était exactement votre mission ?
J'étais là pour manifester la présence de Dieu auprès de ces prisonniers. Un Dieu qui aime et qui pardonne. La plupart sont d'ailleurs assez réceptifs aux visites des aumôniers. Beaucoup même vont à la messe, communient. Mais ce serait beaucoup dire qu'ils prient. Très souvent quand je proposais une prière au sein des cellules, ce n'était pas systématiquement rejeté. En fait, l'aumônier est bien accueilli surtout pour parler, passer un bon moment avec quelqu'un qui ne fait pas partie de la prison. Qui n'est ni juge, ni détenu, ni surveillant, ce qui fait naître un climat de confiance. Dans la mission de l'aumônier en dehors de la prière, de la rencontre conviviale, des confidences, il existe à un moment ou un autre, la nécessité de faire prendre conscience de ce qui a été fait. Même si on n'insiste pas à chaque instant, c'est quand même sous-jacent et sous-entendu. L'espérance que l'on apporte, c'est le pardon de Dieu. Mais il faut savoir se retourner vers lui comme un homme debout, reconnaissant ses actes, de sorte que l'on puisse se libérer de soi-même.
Comment tous ces détenus parlent-ils de Dieu ?
C'est très étonnant de constater que Dieu possède tous les visages possibles et inimaginables. Pour une toute petite minorité Dieu représente le Dieu chrétien père, fils, saint esprit. Pour beaucoup d'autres c'est une espèce d'énergie, un bon moment passé en famille. Dieu signifie les derniers jours où les parents étaient ensemble avant de divorcer. Dieu peut incarner de nombreux souvenirs liés au bonheur, à ce qui était pur avant le crime, le délit. Et la mission de l'aumônier en prison c'est d'essayer de diriger les prisonniers vers ce qui était beau dans leur histoire. Ceci, afin qu'ils ne se focalisent pas uniquement vers la laideur de la prison et des détenus. Ils doivent pouvoir se raccrocher à du beau, du bon..
Il doit y avoir aussi des psychologues !
Oui contrairement à ce que l'on dit dans les médias, ceux qui veulent consulter un psychologue peuvent le faire. Pas forcément toutes les semaines, mais au moins une fois par mois. C'est plus compliqué dans les très grosses structures, mais dans les structures intermédiaires un suivi est possible. Encore faut-il le demander, et malheureusement tous les détenus ne le font pas. L'aumônier a un énorme avantage par rapport à tous les autres intervenants c'est qu'il passe dans les cellules. En principe, il a les clés même si pour des raisons de sécurité, ce n'était pas mon cas. Il demande au détenu sur le seuil de la porte, s'il veut le rencontrer. La réponse est positive ou négative, mais ce système incite beaucoup plus à la discussion que s'il faut s'inscrire une semaine à l'avance et respecter un horaire.
Avez-vous l'impression d'avoir joué un peu le rôle d'un psychologue ?
Même si les rôles ne sont pas tout à fait les mêmes, il est clair que les buts se rejoignent. Redresser la personne, l'aider à repenser à l'avenir, pacifier son rapport au passé. Quand je rencontrais les psychologues, ou les assistances sociales, de temps en temps les chemins empruntés étaient un peu similaires…
Il y a aussi des prêtres !
Oui d'ailleurs la plupart du temps, les aumôniers sont surtout des prêtres. Mais à l'heure actuelle on en manque et à mon avis on est passé à 50% de prêtres et 50% de laïques mariés. Après que ce soit un homme marié ou un prêtre, je pense que les deux sont intéressants. Certains détenus se confient aux prêtres, et d'autres aux aumôniers laïques. Il n'y a pas de règles. Certains préféreront discuter avec un homme marié qui a des enfants, et avec qui ils pourront parler de leurs gamins. D'autres préféreront un prêtre à cause du côté sacré et un peu mystérieux. Ce côté là est plus propice à certaines discussions. Parfois, ils ne voient pas la différence entre un prêtre et un aumônier, et pour eux un aumônier équivaut à un prêtre. Du coup quand ils voient une alliance ou qu'au cours d'une conversation on parle des enfants, certains sont surpris : "Vous êtes marié comment cela se fait-il, l'église a changé?" Parfois c'est rigolo…
Vous avez animé des groupes de paroles pour détenus, et également fait un travail individuel. Quelle est la différence ?
La différence est fondamentale. Les détenus ne sont pas du tout les mêmes en groupe et en individuel. Ils ne disent pas la même chose, et lorsqu'on est seul avec eux tout ce qu'ils ont vécu ressort beaucoup plus. Ils sont capables de dire ce qui s'est passé, de parler de la famille, de leur femme, des enfants. En groupe il règne beaucoup plus un jeu de pouvoir, de différences entre le caïd, le drogué, le dealer. En groupe, celui qui est enfermé pour affaire de mœurs aura énormément de mal à trouver sa place. Certains pourront même se débrouiller pour qu'il ne vienne pas. Ou alors si au sein d'une lecture biblique, deux détenus pour affaire de mœurs se présentent, les autres fuiront. Le travail en groupe est utile car il permet de créer une atmosphère de prière collective où les détenus apprennent à parler ensemble, collectivement. La prison est un milieu très violent, où règne constamment un rapport de force. Et la présence de l'aumônier oblige les détenus à parler à peu près correctement.
N'ayant pas les clés, vous dépendiez donc de la bonne volonté des surveillants. Cela vous est-il arrivé d'être coincé dans une cellule et d'avoir peur ?
J'ai été directement menacé une fois. Lorsque j'ai sonné à l'interphone, le surveillant n'est arrivé qu'une heure après. Or le détenu avec lequel j'étais enfermé n'avait pas du tout envie de me voir. Il voulait que je parte, et je ne pouvais pas. Il a commencé à taper sur les murs, à m'insulter, et j'ai vu le moment où j'allais m'en prendre une. J'ai réussi à le calmer, mais c'était vraiment un coup de bol..
Selon vous les détenus les plus dangereux ?
Je n'en ai pas rencontré beaucoup qui étaient dangereux à part un cannibale avec lequel d'ailleurs je n'ai pas pu discuter. Les détenus sont rarement dangereux avec les aumôniers. J'ai fréquenté des détenus prêts à tuer sans sourciller, à faire subir les pires choses à leurs ennemis, et qui avec moi étaient extrêmement gentils. Peu ont été dangereux, mais potentiellement à l'extérieur oui… Le fait qu'ils n'aient rien à négocier avec nous joue en notre faveur. Ils savent très bien que ce n'est pas en accueillant un aumônier qu'ils auront une sortie, que le juge sera plus clément. Autrefois les aumôniers distribuaient énormément de tabac, et les prisonniers savaient qu'ils pouvaient négocier un paquet de cigarettes. Aujourd'hui c'est interdit donc il ne reste plus rien à négocier. Nous sommes les seuls avec qui les détenus peuvent discuter sans rien attendre. Ce sont les premières choses qui m'ont marqué. La plupart du temps on est très bien accueilli. Un peu comme le sentiment de prendre un pot chez un collègue. Un moment de détente pour eux comme pour moi.
Vous citez quand même quelques cas de tentatives de soudoyer !
Certains essaient. C'est d'ailleurs tellement gros que c'en est ridicule. On ne prend pas beaucoup de risques à ce jeu là. Mais quand même chaque année un ou deux aumôniers catholiques ou protestants sont virés par l'administration après avoir fait de monumentales bourdes. Ils ont passé de l'argent ou téléphoné à untel pour laisser un message. .. J'ai connu un aumônier exerçant dans une petite ville, une petite prison où tout le monde se connaissait. Un jour, un détenu sortant est carrément allé chez lui. C'est devenu très problématique.
Et vous avez-vous eu des ennuis ?
Un détenu je n'ai jamais compris comment il avait fait avait récupéré mon numéro de téléphone. Il m'a appelé à 2 heures du matin pour essayer d'avoir de l'argent. Ce fut un mauvais moment à passer. Dans ces cas là, on ne peut pas faire grand chose. Surtout que ce type là était sorti de prison. Donc à moins d'aller porter plainte directement. Et encore j'ai quelques doutes sur ce que peut faire la police… Mais à part ce coup de fil en pleine nuit qui m'a fait un peu peur sur le moment, il ne m'est rien arrivé de gênant.
Vous avez du rencontrer des détenus charmants en prison et qui n'étaient plus les mêmes à l'extérieur !
Oui ça m'a frappé. .. Il y a beaucoup de détenus avec lesquels on peut parler agréablement et avoir des relations très conviviales. Je pense à un détenu musulman qui allait de temps en temps à la messe, au groupe de parole. Quand j'entrais dans sa cellule, on avait de très longues conversations qui n'étaient pas rigoristes du tout. Une fois sorti de prison, cet homme m'avait invité dans sa cité. Et c'était redevenu un garçon violent, à moitié drogué. On ne pouvait plus parler comme avant. C'était très curieux. Le passage à la liberté était tellement déstabilisant pour lui, qu'il retrouvait toutes ces espèces de mauvaises habitudes. Et malheureusement au bout de quelques mois il y retournait.
A ce propos pourriez-vous évoquer selon vous les causes des récidives ?
Pour moi la récidive n'est pas tellement liée à la prison. Elle peut l'être mais dans de nombreux cas auxquels je me suis confronté, même une prison idéale je ne sais pas très bien ce qu'elle aurait pu faire pour eux. Certains en prison pour affaires de mœurs, avaient la perversion en eux. Evidemment, on peut les aider par la psychothérapie. Mais à un moment donné ce me semble t-il, des choix doivent être faits, pour lesquels la société ne peut pas faire grand chose. Elle peut les aider à se remettre debout, mais à un moment donné c'est quand même une décision personnelle. Les types qui reviennent tous les 6 mois parce qu'ils ont tabassé leur femme qu'est-ce que la société peut faire pour eux? Je ne sais pas..
Vous parlez dans votre livre des rappels de morale que personne n'ose assumer !
De temps en temps, je me permettais d'en faire mais en vain. Je rappelai à un détenu qu'il ne faut pas frapper sa femme, et il m'affirmait qu'il ne le ferait plus. Mais 6 mois plus tard, il retournait en prison pour les mêmes raisons. Que faire ?
Ce ne devait pas être évident de toujours trouver les mots justes !
En fait ça dépendait des jours. Parfois on y arrive, d'autres non. Parfois également, les détenus ne voulaient pas me voir. Dans ces cas là, je restais dehors et repartais…
Le métier d'aumônier peut parfois poser des problèmes de conscience. Vous évoquez dans votre livre un prisonnier qui vous a confié un crime non élucidé !
C'est très problématique quand quelqu'un vous confie sous le sceau du secret (non seulement autorisé par l'Eglise, mais aussi par la justice) un délit qui n'a pas été puni par la loi. Et qui donc n'a pas fait l'objet d'une demande de pardon ou d'un chemin de reconnaissance. C'est le cas le plus lourd que j'ai connu. Qu'est-ce que je dis, que dois-je faire? La loi me protège, et même si j'ai très envie de dénoncer ce crime, je n'ai pas sur le plan légal à le faire. Mais c'était quand même un cas très lourd (mise en prostitution d'une fille et passage à tabac d'un type laissé carrément pour mort), et je me disais est-ce que j'ai le droit sur un plan moral de garder cela pour moi? J'avais tout ce qu'il fallait pour me taire, mais j'étais hyper mal à l'aise. Cela suscite parfois de vrais problèmes moraux...
Vous dites dans votre livre que l'église est la dernière grande institution qui confond confidentialité et omerta.
L'église dans son institution est parfois maladroite. En effet, pour certains prêtres que j'ai rencontrés il ne faut rien dire en cas de problèmes. Il faut serre les dents, noyer la difficulté et laisser passer. Or quand des difficultés se présentent, il ne faut pas hésiter à les dénoncer. Malheureusement dans une des équipes où je me trouvais, tout le monde faisait confiance à tout le monde, et tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Or c'est une mission où il règne des problèmes, des ambiguïtés, et il faut pouvoir en parler. Ce silence était ridicule. Par exemple, un aumônier était dépendant de l'alcool. Je ne dis pas qu'il faut dénoncer, mais il faut aider ces gens là. Cet aumônier visitait des détenus, et se shootait à l'alcool. Cette réalité finissait par être problématique surtout quand cette dépendance commence à 8 h du matin. Et quand les surveillants eux-mêmes se rendent compte de cette addiction, la prise de conscience commence à être lourde. Et justement dans cette équipe ça n'allait pas très bien parce qu'on ne disait rien. L'aumônier est bourré, mais tout va bien. J'avais voulu essayer d'alerter les autorités ecclésiastiques et on m'a dit qu'on allait s'en occuper. Mais personne n'est intervenu. C'est étonnant de constater que les aumôniers sont parfois faits de bric et de broc. Cela les rend sympathiques mais aussi parfois fragiles.
Vous évoquez le manque de discipline.
Oui, le cadre disciplinaire de la prison depuis une trentaine d'années n'impose pas de règles de vie quotidienne. Règles qui à force d'être répétées permettraient ou faciliteraient le fait de se remettre debout dans tous les sens du terme. Quand vous arrivez à 10, 11 h du matin, les types dorment encore. Ils ont également le droit de rester en slip toute la journée, de ne pas se laver pendant plusieurs jours, voir une semaine. Ce laisser-aller n'aide pas du tout à se reconsidérer en tant qu' homme ou femme. Obliger les gens à se lever à 8 h, allez 9 h soyons fous fait partie des choses qui me paraissent fondamentales. Même chose pour les détenus qui ont rendez-vous avec une assistante sociale ou un avocat et qui n'y vont pas. Cela me semblerait éducatif de les obliger à respecter les inscriptions qu'ils ont eux-mêmes faites. Plein de petits détails de ce genre. On n'accepterait pas d'un enfant les règles que l'on tolère pour ces gens là. Après on va nous parler dans les médias de donner plus de moyens, plus de surveillants, d'accompagnants. Mais la base ne commence pas en donnant plus d'argent. Elle commence par dire aux gens "Vous êtes inscrits, tenez votre engagement" etc..
Que pensez-vous de l'école carcérale ?
Je pense que c'est important, ça oblige les prisonniers à sortir de leur cellule. Ils sont en contact avec des professeurs dont l'image est très négative. Or en prison, les professeurs sont de vrais acteurs sociaux ce qui est plutôt positif. Quant à l'efficacité scolaire de l'école, j'ai de gros doutes. Je ne pense pas qu'elle serve à quoi que ce soit. Ainsi les arrivants clandestins que j'ai rencontrés apprenaient le français grâce à la vie en cellule et en prison plus que grâce à l'école. En revanche, à partir du collège, du lycée j'ai trouvé que l'école avait quand même plus d'influence. Pour les gens qui veulent aller jusqu'au brevet voir même jusqu'au bac l'école a une vraie efficacité. C'est douloureux, long, mais ils y arrivent. Ce secteur concerne surtout ceux qui sont en prison pour de longues peines. En effet quand le type est là pour 6 mois, que voulez-vous qu'il apprenne ?
Certains prêtres donnent l'absolution quelques jours après une condamnation pour meurtre. Cela semble vous choquer !
C'est le problème de la confession. Quand quelqu'un demande à être confessé, et avoir l'ensemble de ses fautes pardonné par Dieu à travers le prêtre, aucun n'a le droit de refuser et il doit donner l'absolution. Personne ne peut empêcher quelqu'un de demander pardon à Dieu. Mais je pense à certains mafieux qui se prostituent, qui dealent et qui flinguent à tout va. Lorsqu'ils arrivent en prison au bout de quelques jours, ils demandent à voir l'aumônier pour se confesser. Le problème est de savoir s'il faut confesser un type qui une semaine auparavant prostituait, tuait. Et qui tout d'un coup a l'air d'un enfant de chœur tout gentil tout calme, qui vous annonce qu'il regrette. On est dans une zone un peu mouvante et ambiguë. A la fois, on ne peut pas empêcher quelqu'un de demander le pardon, et en même temps on et bien obligé d'avoir un peu de discernement. Certains ne se rendent pas compte qu'après avoir commis un crime, il faut un peu de temps. On n'obtient pas le pardon aussi facilement. Est-ce que d'abord il a conscience de ce qu'il a fait, est-ce qu'il regrette? Si oui quelles preuves peut-il donner? Le problème vient du fait que l'on n'est pas des juges. Les évangélistes eux font leur rémonie de pardon immédiatement. J'étais un peu réticent. Certains prêtres étaient d'accord avec moi, d'autres affirmaient que c'est normal d'accorder le pardon dès que la personne le demande..
Vous évoquez ce que l'on appelle les sacramentaux. C'est à dire ?
Dans l'église catholique il existe 7 sacrements (communion, confession..) qui constituent vraiment le cœur de l'église. Quand on va à l'église on reçoit le corps du christ, c'est le sacrement. Mais il n'existe pas que les sacrements comme gestes spirituels. On trouve également les sacramentaux qui sont des gestes moins importants. Par exemple une prière, une bénédiction, je vous salue marie. Or beaucoup d'aumôniers laïques interviennent en prison sans avoir le droit de donner l'eucharistie ou de baptiser. Ils sont plutôt en charge des sacramentaux. Malheureusement quand un type vous confie ce qu'il a fait, en principe cela doit rester dans le cadre de la confession, un sacrement que seul le prêtre peut recevoir. J'ai voulu expliquer que souvent nous les aumôniers laïques on est un peu gêné par notre position. On reçoit des confidences qui sont presque des confessions mais qui n'en sont pas car nous ne sommes pas des prêtres. Parfois ça n'en est pas non plus parce que les types ne regrettent pas. On est toujours un peu dans une zone mouvante frontalière..
Vous dites qu'à force de côtoyer ces détenus vous finissiez par leur trouver des circonstances atténuantes !
C'est vrai qu'à force de les entendre parler de leur parcours, de leur enfance, on est bien obligé de trouver des circonstances atténuantes à beaucoup d'entre eux. Le monstre pur et simple dénué de toutes circonstances atténuantes, il en existe très peu. J'ai rencontré effectivement un pervers au sens psychiatrique du terme qui ne regrettait rien des perversions qu'il avait fait subir à des enfants. Or en discutant avec lui, j'ai constaté que rien de vraiment perturbant ne l'avait touché dans son enfance. En tout cas d'après ce qu'il avait bien voulu me dire. Il était parfaitement conscient, et je ne lui ai trouvé aucune excuse. Mais pour la plupart des autres, on trouve toujours quelque chose dans l'enfance qui ne justifie pas le délit, mais qui permet de comprendre. Cela dit, tous ceux qui ont eu une enfance malheureuse ne tuent pas pour autant..
Qu'est-ce qui vous a le plus ému ?
Le rapport de ces hommes à leurs enfants. Quand ils sont papa et que vous êtes seul avec eux en cellule, et que l'on commence à parler un peu des enfants, très vite les gars s'effondrent. Très peu en parlent sans à un moment ou un autre avoir le cœur brisé. C'est très émouvant parce qu'on se dit qu'ils se raccrochent à quelque chose de positif…
Vous êtes spécialiste de l'Islam. Que pourriez-vous dire des prisonniers islamistes ?
La politique n'est pas claire; elle est en train de se clarifier depuis un ou deux ans. Jusqu'à il y a quelques années, les islamistes n'étaient pas forcément regroupés. Ils étaient dans des cellules avec d'autres musulmans très éloignés. Malheureusement par capillarité au bout de quelques mois le musulman s'était rapproché des courants plus rigoristes. C'était vraiment le gros défaut des prisons, il semblerait maintenant que l'on veuille les regrouper. Mais ce n'est pas non plus l'idéal car en les regroupant on les solidarise entre eux. Et celui qui serait tenté d'abandonner la pratique rigoriste, forcément s'il est avec les autres, il risque de la conserver. Il n'existe aucune politique idéale en la matière. Mais à mon sens, ce ne sont pas les imams qui posent un problème. Ceux qui interviennent en prison je ne dis pas qu'ils sont sous surveillance mais on sait très bien le genre de discours qu'ils tiennent. Or souvent dans les médias on entend attention les imams, ce sont eux qui salafisent les gens. Non, ce ne sont pas eux, ce sont les détenus entre eux..
Vous n'évoquez pas de cas féminins !
Les prisons de femmes constituent un métier très particulier pour les aumôniers. Qui d'ailleurs ne sont pas forcément des aumôniers femmes. L'expérience a montré que ce n'est pas forcément l'idéal non plus. Il faut aussi éviter les aumôniers masculins trop jeunes ou sans trop d'expériences. C'est ce que j'ai pu constater en tout cas. Les aumôniers sont soit des prêtres d'un certain âge ou des hommes mariés d'un âge avancé. En effet, peuvent survenir des tas de débordements possible. Les échos que j'ai eus me font dire que c'est quand même très dur. Différent des prisons d'hommes mais pas moins dur.
Différent c'est à dire ?
Dans l'atmosphère, dans l'ambiance. On m'a dit que chez les femmes les groupes de parole étaient beaucoup plus compliqués. Les tensions se révélaient beaucoup plus vite palpables entre les femmes. Le climat peut déraper très vite, et les tentatives de manipulations envers les aumôniers sont très nombreuses…
Que pensez-vous des peines de prison ?
Elles devraient à mon sens être effectives. Qu'on ne donne pas 5 ans à un gars pour qu'après par négociation ou par jeu avec le juge d'application des peines, la peine soit réduite à deux ans. Ou alors on on met 2 ans, et c'est vraiment deux ans. Sinon; une multitude de possibilités de négociation est possible. Et de négociation en dehors d'un cadre de jury populaire. Il existe une justice de façade à la correctionnelle ou en cour pénale et après une justice de négociation avec le juge d'application des peines. Et une dichotomie s'installe qui n'est pas bonne pour la société. Et pas bonne non plus pour le type qui sait qu'il a un jeu à jouer avec le juge... Ce n'est pas tellement de l'ordre juridique, c'est plus de l'ordre éducatif. De même que si l'on donne une punition à un gamin, on la donne vraiment. On ne le prive pas de télé pour ensuite lui permettre de la regarder.. Depuis quelques années, on a mis l'accent sur la réinsertion, mais on a oublié la victime. Celle-ci est la grande absente. Les femmes violées par exemple ont l'impression que ce qu'elles ont vécu, ce qu'elles disent ne compte absolument plus..
Pensez-vous que la longueur de la peine joue un rôle sur la réinsertion ?
Je ne sais pas. J'ai toujours officié dans des maisons d'arrêt. Les détenus que j'ai vus étaient là pour 2 ans…
Pour finir qu'est-ce que cette expérience vous apporté ?
Une très riche expérience humaine et des rencontres incroyables. Mais c'est très décapant et heureusement j'arrivais à faire la coupure en rentrant chez moi. Décapant sur le plan humain, sur le plan spirituel. C'est à dire sur le plan de la prière, de la confiance en Dieu, en l'église, dans les institutions. Mais ça fait grandir. C'est très différent de l'écriture, ce qui permet de voir une autre réalité. C'est donc très positif.