Dominique Bona par Jules, le 27 février 2001

Madame Dominique Bona nous donne une superbe biographie de Berthe Morisot. Ceci n'a rien d’étonnant quand on sait qu’elle a déjà écrit " Les Yeux noirs ", un " Stefan Zweig " et le " Manuscrit de Port-Ebène " qui a obtenu le Prix Renaudot en 1998.

En lisant son livre, on sentait déjà son attachement à son personnage mais, en l’écoutant en parler, on devine peut-être autre chose : une volonté égale à celle de Berthe Morisot de faire passer une émotion par son texte. Et elle y a merveilleusement bien réussit. Ce livre, bien que parfaitement documenté, reste un ouvrage de romancier et n’a donc pas une certaine sécheresse que, parfois, les biographies peuvent avoir. Dominique Bona m'a semblé d’autant plus agréable à interviewer qu’elle aime parler de Berthe Morisot, qu'elle est pénétrée par le destin et la vie de cette femme.
Pourquoi avoir choisi de faire une biographie de Berthe Morisot ? Un goût particulier pour la peinture, dont vous parlez si bien ?
Non, surtout pour la personnalité de cette femme, sa volonté de tout faire pour atteindre son objectif. Berthe Morisot va consacrer sa vie à la peinture et ne renoncera jamais. Elle a fait plus de six cents tableaux, sans compter les dessins et les aquarelles ! À cette époque, cela n’était vraiment pas évident ! Les Beaux-Arts étaient interdits aux femmes, la peinture était essentiellement une affaire d’homme et réussir dans ce domaine n'a pas été facile pour elle. Même ses amis peintres ne la prenaient pas tout à fait au sérieux. Ils pensaient qu'elle peignait très bien, mais arrêterait un jour pour se marier et faire des enfants. C'est d'ailleurs ce que fera sa sÏur Edma, bien que peut-être plus douée encore. Corot avait en tout cas une préférence pour le travail d'Edma par rapport à celui de Berthe.

Il est aussi étonnant de voir que les parents des deux sÏurs aient accepté leur choix de suivre des cours de peinture.
Tout à fait, mais cela vient du fait que le père, comme la mère, avaient un côté artiste en eux qu’ils n’avaient pas pu réaliser. Même si à une certaine époque ils se sont inquiétés pour l’avenir de Berthe qui ne se mariait pas, alors qu'elle avait déjà trente ans, elle a toujours été soutenue et entourée d’amour. Après le décès du père, sa mère et sa sÏur Edma étaient toujours à ses côtés, et cela même cette dernière déjà mariée. Camille Claudel n’a pas eu la même chance. Pour réussir elle dû aller jusqu’à rompre totalement avec ses parents.

Elle a également eu la chance d’être très vite entourée de grands artistes.
Oui. Elle était entourée de nombreux peintres comme Manet, Fantin-Latour, Alfred Stevens, Degas, Renoir, Puvis de Chavanne, mais fréquentait aussi Charles Cros, Zacharie Astruc, Emmanuel Chabrier. Il est évident que de fréquenter ces gens ne pouvait que l'aider, mais elle était aussi terriblement attachée à garder sa propre voie. Elle refusait toute tentative d'une influence quelconque. Elle voulait à tout prix rester elle-même, exprimer ses émotions et à sa façon ! Vous constaterez que dans son Ïuvre il n'y a quasiment jamais d’hommes présents. C'est une peinture à la sensibilité essentiellement féminine. Berthe Morisot poursuivait, à travers sa peinture, la fuite du temps par laquelle elle était obsédée. Au fur et à mesure de son évolution, elle s'est dirigée vers une peinture qui avait pour objectif premier de capter la lumière, d'insister le moins possible sur son sujet, d'alléger son trait et de rejeter les couleurs fortes. Si Manet était un très grand spécialiste du noir, elle le sera pour le blanc. Vers la fin de sa vie, elle évoluait presque vers l’abstraction.

Il y a chez Berthe Morisot une certaine tension intérieure, presque une frustration. Est-ce dû à sa crainte de ne pas réussir à exprimer ce qu'elle voulait par sa peinture, ou est-ce dû au fait qu'elle était amoureuse de Manet et qu'il n’était pas libre ?
Il est certain qu’elle était amoureuse de Manet et que c'était celui qu’elle admirait le plus de tout son entourage. Y a-t-il eu quelque chose entre eux ou non, rien ne nous permet de le dire, même pas la correspondance qu'on a trouvée plus tard. Il est aussi certain qu'Eugène Manet était profondément amoureux d’elle mais que, de son côté à elle, cela n’a pas été un mariage d'amour. Par contre, avec le temps, elle a tenu de plus en plus à son mari qui était pour elle un indiscutable soutien. Quand celui-ci est mort, Berthe Morisot était très sincèrement une épouse éplorée. Elle a aussi été une mère très attentive et a eu énormément de plaisir de sa fille.

Au début de votre livre, vous nous la décrivez comme une jeune fille qui n’était pas très facile. Elle avait énormément de personnalité, n’hésitait pas à s'opposer à son père s’il le fallait et ne pensait qu'à devenir un vrai peintre. Cette tension aurait pu venir d’une crainte de ne pas y réussir…
C'est exact. Il est en tout cas certain qu’elle a été inquiète à ce sujet. Elle voulait à tout prix être elle-même et réussir comme cela. Ce n’est pas toujours évident de vivre avec une telle pensée. Ce qui est frappant, c’est que cette femme a peint, la plupart du temps, des tableaux qui rendent superbement bien une certaine quiétude de vivre, la douceur d'un moment privilégié, alors que dans le fond d’elle-même il est exact qu’elle est tendue, un peu en recul de ce bonheur.


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