Les Origines du conflit israélo-arabe (1870-1950) de Georges Bensoussan
Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Histoire
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Une remarquable synthèse sur les prémices et le déclenchement d'un conflit meurtrier, singulier et complexe, qui dure depuis plus d'un siècle
Même si le titre semble se focaliser sur le conflit israélo-palestinien, ce petit ouvrage tente – et réussit remarquablement ! - la gageure de présenter en une centaine de pages l’histoire de la création de l’Etat d’Israël, émaillée de crises violentes et de conflits non seulement avec les populations arabes mais aussi avec l’Angleterre, qui exerçait un protectorat sur la région.
L’approche est historique, concentrée sur la période 1870-1950, mais elle ne se contente pas d’une énumération factuelle et chronologique des événements survenus en Palestine. Les causes, les motivations et les intérêts des acteurs sont développés et mis en perspective, ce qui entraîne parfois quelques redites mais la lecture reste aisée et agréable. En fait, le plus difficile pour le lecteur – même averti - reste de comprendre, sans se perdre dans la multiplicité des noms, la complexité des relations entre populations juives et populations arabes (majoritairement musulmanes mais les minorités chrétiennes sont également impliquées) ainsi qu'entre l’empire ottoman, l’Angleterre, la France, les USA, l’URSS, Israël et les Etats arabes…
Je ne vais pas tenter de résumer cet ouvrage, qui est déjà très condensé, mais simplement reprendre les grandes étapes de la création d’Israël et des conflits entre deux populations imbriquées mais, dès le départ, hostiles l’une à l’autre. Cette lecture a été très enrichissante car j’avoue que je n’avais pas connaissance et conscience de l’enchevêtrement des rapports de forces, complexes et mouvants. Mon seul regret porte sur les lacunes induites par l’approche historique à partir de 1870, qui provoque l’omission des causes idéologiques et de l’intégrisme religieux sur lesquels Israël fonde sa légitimité de peuple élu prenant possession de la Terre promise par Dieu aux descendants d’Abraham formant le peuple juif.
A la fin du 19ème siècle, la plupart des juifs vivent sous la tutelle de l’empire russe et c’est en tant que minorité de l’empire russe que les juifs, de même que d’autres minorités en Europe, s’éveillent à l’idée de nation et amorcent un mouvement migratoire vers la Palestine qui, à l’époque, était sous domination ottomane. Il y avait déjà des juifs en Palestine mais ceux-ci étaient peu nombreux et aussi pauvres que le reste de la population. Les juifs immigrés disposent, eux, des moyens financiers pour acheter des terres à la population arabe, souvent très pauvre et divisée en structures claniques, ce qui profite aux juifs qui parviennent toujours à trouver des vendeurs malgré l'interdiction des autorités arabes de leur céder des terres. Très rapidement, les arabes s’opposent avec force à l’immigration, de plus en plus massive, d’une population juive qui ne cache pas son intention finale de créer un Etat-nation. Les tensions dégénèrent parfois en violences, d’autant que les juifs ayant acquis des terres les organisent en fermes agricoles accueillant de nouveaux immigrés juifs au détriment de la main d'oeuvre arabe. La situation s'aggrave pendant la 1ère guerre mondiale, durant laquelle les Anglais incitent les populations arabes à se soulever contre l’empire ottoman, avec la promesse de leur donner une souveraineté sur les terres libérées. Cette politique provoque des actions répressives de l’empire ottoman envers toutes ses minorités, notamment juives et chrétiennes. En même temps, les Anglais, qui tentent de maintenir la Russie comme allié dans le conflit ou de s’attirer de nouveaux alliés et surestiment le poids des minorités juives, mais aussi en raison d’un lobbying efficace des juifs britanniques (notamment de la famille Rothschild), font des déclarations favorables aux juifs de Palestine, qui culminent en 1917 avec la déclaration écrite du premier ministre, Lord Balfour, à Lord Rothschild, lui promettant son soutien à l’établissement d’un « foyer national juif ». La déclaration suscite l’ire des populations arabes, qui considèrent que la Palestine est une terre musulmane où les juifs peuvent immigrer sous réserve de rester une minorité protégée sous le statut de dhimmi.
Après la 1ère guerre mondiale et la chute de l’empire ottoman, la Société des Nations place la Palestine sous mandat britannique tandis que la Syrie est divisée en deux parties, l'une sous mandat britannique et l'autre sous mandat français. Ce partage, décidé en 1920 à la conférence de San Remo qui stipule explicitement le projet de création d'un foyer national juif, met les Anglais dans une situation difficile car les juifs y voient les prémices de leur futur Etat tandis que les arabes, qui se sont soulevés à la demande des Anglais, s’estiment trahis. Dès lors, les Anglais, qui se retrouvent entre deux feux, vont passer leur temps à essayer de ménager la chèvre et le chou et de trouver des compromis qui ne satisfont personne. Les Anglais irritent les juifs en limitant drastiquement l’immigration juive en Palestine et irritent les arabes en tolérant la présence de la minorité juive. Très rapidement, les arabes de Palestine s’unissent, sous le drapeau de l’islam (car c’est le lien le plus fort dans une société très divisée par les structures claniques), et lancent des appels au djihad pour chasser les juifs et les occidentaux. Les attaques contre les juifs, notamment contre les fermes isolées, sont très violentes, souvent accompagnées de viols, d’actes de barbarie et de torture car les arabes espèrent effrayer les juifs au point de les faire partir. Les Anglais tentent de juguler le mécontentement arabe en imposant un mufti qui soit à la fois influent et favorable : il est choisi dans la famille Al-Husseini mais s’avère rapidement incontrôlable car les Allemands et les Italiens financent la contestation arabe et attisent les émeutes afin de nuire à la présence anglaise. Comme les Anglais se contentent d’une répression minimale pour ne pas se fâcher avec la population arabe, les juifs forment des milices d’auto-défense. En même temps, Ben Gourion commence à organiser une administration (parallèle à celle du protectorat anglais), qui constitue les bases du futur Etat. Même entravée par les quotas d’immigration, la minorité juive de Palestine se développe rapidement et domine économiquement la Palestine. Le mécontentement arabe croît au point qu’apparaissent des mouvements de rébellion, souvent sporadiques mais parfois bien organisés comme celui d’Al-Qassam qui appelle à la lutte armée contre les Français, les Anglais et les juifs. Al-Qassam est tué en 1936, mais devient un héros de la cause arabe palestinienne. Il est à noter que, même si l’islam joue un rôle majeur dans l’union des arabes, les arabes chrétiens se joignent aussi à la lutte. En fait, c’est le début d’un sentiment national palestinien qui, avant, n’existait pas car les gens se sentaient d’abord appartenir à une tribu ou une famille (celle des Husseini étant la plus importante). Cette situation radicalise les postures dans les deux camps. Les juifs ont initialement proposé aux arabes des solutions à deux Etats ou à deux nations dans un seul Etat, mais elles ont toutes été refusées. Et, en 1937, quand la commission Peel, déclenchée en Angleterre pour enquêter sur les causes de la révolte de 1936, aboutit à la conclusion que la seule solution viable est le partage du territoire mandataire en deux Etats souverains avec des transferts de populations pour regrouper les communautés nationales, les juifs, de même que les arabes, refusent le plan proposé. En effet, les juifs qui étaient favorables au dialogue ont été progressivement marginalisés au profit des partisans de la ligne dure du projet sioniste et de la lutte armée. Chez les arabes, ceux qui répondent au dialogue sont purement et simplement assassinés, souvent par des jeunes avides d’aller au combat pour éliminer ou expulser les juifs. Dès lors, la rébellion reprend dès 1937, provoquant en 1938 une nouvelle commission d'enquête (dite commission Woodhead) et, en 1939, l'organisation à Londres d'une conférence, qui s'achève sur un échec...
La 2ème guerre mondiale marque un tournant. Les juifs ne pardonnent pas aux Anglais (qui craignaient une bascule des arabes du côté allemand dans le sillage du mufti al-Husseini, fervent partisan d'Hitler qu'il rencontra à plusieurs reprises) d’avoir maintenu des quotas stricts même pendant la guerre, alors que les juifs d’Europe subissaient l’Holocauste. Les juifs de Palestine sont désormais militairement organisés ; ils ont développé la "haganah", autrefois simple milice, en armée officielle qui préfigure Tsahal, ainsi que des groupes paramilitaires, qui organisent des représailles contre les arabes et des attentats contre les Anglais. Les juifs de Palestine, soutenus par les juifs des USA, revendiquent la reconnaissance d’un Etat – Israël - après le départ des Anglais, prévu en 1948. Les pays arabes s’y déclarent fermement opposés et affirment que, dès le départ des Anglais, ils détruiront Israël. Néanmoins, les hostilités démarrent bien avant 1948. Arabes et juifs s’affrontent directement ou indirectement, dressant des embuscades ou organisant des attentats (qui touchent aussi les Anglais). En mai 1948, l’Etat d’Israël est reconnu à l’ONU, dans une configuration à deux Etats, suite à un vote assez serré. En effet, même aux USA, les avis sont partagés car la priorité du gouvernement américain est à l’établissement de bonnes relations avec les pays arabes (notamment l'Arabie Saoudite) afin d’exploiter le pétrole. Quant aux juifs américains, ils craignent que la reconnaissance d’Israël n’entraîne des représailles voire des massacres contre les minorités juives présentes dans les pays arabes, dont les populations sont très vindicatives. Avant même la reconnaissance d’Israël, la guerre éclate. La situation est très tendue pour les juifs car les arabes de Palestine mènent une guérilla efficace, ponctuée de massacres visant à terroriser les esprits, qui parvient à couper les routes et isoler plusieurs villes, dont Jérusalem. En fait, (et j’avoue que je l’ignorais !), c’est l’URSS qui va fournir à Israël l’aide militaire la plus importante, sous forme d’armes lourdes, au nom de son soutien aux guerres de décolonisation. En effet, pour Staline (mais qui le fait peut-être aussi pour nuire aux intérêts de l’Angleterre et des Américains…), la lutte d’Israël s’inscrit dans le cadre des guerres anti-impérialistes contre les protectorats ! En outre, Israël compte parmi sa population et son armée beaucoup d’anciens soldats de la seconde guerre mondiale, expérimentés au combat et radicalisés par le souvenir récent de l’Holocauste. Une grande partie des populations arabes de Palestine fuit les combats, violents et émaillés d’exactions commises par les deux camps contre les populations, en se réfugiant dans les pays voisins (Egypte, Liban, Jordanie, etc.) où elles ne sont pas toujours bienvenues. Les populations arabes qui ne fuient pas sont le plus souvent expulsées de leurs terres, car Israël ne leur fait pas confiance, et tentent ensuite à leur tour de rejoindre les Etats voisins. C’est la « nakba », qui n’a pas été véritablement organisée par Israël (car la plupart des Palestiniens ont fui d’eux-mêmes, comme en France en 1940, quand les gens ont pris la route en fuyant devant l’armée allemande), mais il est indéniable qu'Israël a encouragé l'exode, qui servait ses intérêts. En conséquence, quand les Etats de la ligue arabe constatent qu’ils ne seront pas en mesure de vaincre Tsahal, ils concluent rapidement (sous l'impulsion du roi Abdallah de Jordanie, qui avait mené un dialogue secret avec l'autorité juive) un accord de cessez-le-feu. Néanmoins, et malgré les pressions de la ligue arabe (dont les membres sont divisés) et de l’ONU (dont toutes les missions de médiation ont échoué), Israël n’autorise pas le retour des réfugiés au prétexte qu’ils pourraient constituer une cinquième colonne en cas de reprise des hostilités. En outre, Israël n'entend pas restituer les territoires qu’elle occupe au-delà des limites définies lors du vote à l'ONU, considérant qu’ils constituent un cordon de sécurité vitale.
Le livre s’achève en 1950 sur un statut quo instable, sans qu’aucune solution n’ait émergé. En 2025, juifs d'Israël et arabes de Palestine sont toujours enlisés dans ce conflit, qui dure maintenant depuis plus d’un siècle… Les massacres n’ont pas cessé, commis par les deux camps, et la situation s’est même aggravée au fil des guerres successives et des années, au point qu’elle semble aujourd'hui inextricable. Je recopie la conclusion de l’auteur, écrite en janvier 2023, donc avant les attentats du 7 octobre et avant le génocide commis en représailles (la guerre permanente constituant aussi sans doute pour B.Netanyahu le moyen de s’accrocher au pouvoir et son meilleur espoir d’éviter les procès et la prison qui l’attendent). Outre son souci d’impartialité, on ressent le pessimisme de l'auteur :
La nature atypique du mouvement national juif a déterminé la singularité de ce conflit, laquelle a favorisé des schémas d’explication voire des simplifications le plus souvent inaptes à en rendre compte. C’est pourquoi il est essentiel d’en décrypter la genèse, d’interroger les certitudes des deux camps et de questionner les enjeux qui sont en cause chez chacun d’entre eux.
Si ce conflit met en scène deux nationalismes qui se disputent une même terre, il oppose aussi deux sociétés séparées par des blocages d’ordre culturel, essentiels mais le plus souvent sous-estimés. De là deux discours qui cheminent parallèlement, animés par des logiques également légitimes, mais qui demeurent encore généralement ignorants l’un de l’autre.
(…)
A les regarder aujourd’hui, on a le sentiment que la guerre de 1948 n’est toujours pas terminée.
Nota 1 : Il est à noter que la récente proposition de Donald Trump de prendre le contrôle de Gaza ressemble au lointain écho – mais lui-même sans doute l’ignore ! – d’une proposition de la SDN (évoquée dans le livre) de remplacer le protectorat anglais par un protectorat américain, à l’époque jugé plus neutre et donc potentiellement plus efficace…
Nota 2: les "Que sais-je ?" sont en général de petits ouvrages de synthèse écrits par des spécialistes et professeurs universitaires, qui brossent objectivement les grands enjeux d'un domaine d'étude ou d'une période historique. Suite à plusieurs échanges sur CL avec des lecteurs informés et attentifs, je signale que l'auteur est un professeur agrégé d'histoire susceptible d'avoir, sur le conflit israélo-arabe, un regard partisan favorable à Israël. Je tiens toutefois à préciser que je ne l'ai pas ressenti à la lecture de l'ouvrage, même si des omissions ou des biais d'interprétation ont pu m'échapper. Ainsi, l'auteur présente une arrivée en Palestine ottomane plutôt pacifique des migrants juifs, qui achètent des terres et sont ouverts au dialogue mais se heurtent à l'hostilité des arabes, alors qu'il semblerait - dixit d'autres sources citant le projet Bluebox qui n'est pas évoqué ici - que le mouvement sioniste ait eu dès le départ une volonté d'appropriation des terres et d'expulsion des populations arabes, comme une sorte de "grand remplacement" savamment planifié et organisé...
Les éditions
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Les origines du conflit israélo-arabe [Texte imprimé], 1870-1950 Georges Bensoussan
de Bensoussan, Georges
Que sais-je ? / Que sais-je ?
ISBN : 9782130794899 ; 10,00 € ; 18/01/2023 ; 128 p. Broché
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