125 et des milliers: 125 personnalités racontent 125 victimes de féminicides de Sarah Barukh

125 et des milliers: 125 personnalités racontent 125 victimes de féminicides de Sarah Barukh

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités

Critiqué par Eric Eliès, le 14 septembre 2024 (Inscrit le 22 décembre 2011, 50 ans)
La note : 8 étoiles
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Ouvrage collectif, au ton souvent personnel et poignant, témoignant des violences faites aux femmes et de l'insuffisance des dispositions prises pour les endiguer

Ce livre, très engagé et au ton souvent poignant, témoigne des violences faites aux femmes. Il commence par énoncer quelques chiffres, qui méritent d’être mieux connus. Ainsi, en France, 1 femme est tué par son compagnon (ou ex-compagnon) tous les 2,5 jours (dont 10 % battues à mort et 3 % brûlées vives !). Au niveau mondial, le chiffre est affolant : une femme, toutes les 11 minutes, est tuée par un proche (compagnon ou famille). Presque aussi choquant, 1 sur femme 2 en France déclare avoir subi au moins une fois, la plupart du temps par un proche (famille, ami, etc.) une agression sexuelle alors que la statistique mondiale (même si elle est peut-être peu fiable car le livre ne précise pas comment elle a été établie) est de 1 femme sur 3. Une femme sur 6 déclare également (en France) que son premier rapport sexuel n’était pas consenti (mais l’auteure n’emploie toutefois pas le mot viol).

L’ouvrage a été pensé et conçu par Sarah Barukh, écrivaine et militante contre les violences familiales, qui a elle-même subi l’emprise et les coups d'un compagnon violent, qu'elle a réussi à quitter. Elle a consacré deux ans de sa vie à rencontrer les familles de victimes de féminicides, à recueillir et enregistrer leurs témoignages pour ensuite composer un ouvrage collectif en associant d’autres femmes. La méthode est originale : elle a envoyé à des femmes (majoritairement des écrivaines et des artistes) le dossier du meurtre et l’enregistrement de l’entretien avec leur proche et leur a demandé de donner voix à la victime, en 2 ou 3 pages, et de lui rendre un ultime hommage en s'adressant directement à elle. Les 125 crimes sont donc précisément décrits, parfois avec des détails atroces et insoutenables, mais le ton n’est jamais celui du récit journalistique. Au contraire, tous les textes, au ton de lettres ou de confidences, s’efforcent, en instaurant une forme de dialogue, de ressusciter la présence de la femme tuée, et de susciter un lien d’empathie avec la victime. Il en résulte parfois le sentiment d'un ressassement de l'horreur dans une litanie de drames, horreur accentuée dans certains textes qui donnent l'impression d’une douleur un peu surjouée et d'un drame mis en scène. Néanmoins, on ne peut que louer Sarah Barukh d’avoir voulu mettre en avant la dimension humaine du drame et à tout prix éviter la froideur clinique du style analytique d'un essai ou journalistique des « fait-divers » (quel mot atroce…). Certaines auteures (dont Sarah Barukh elle-même dans sa conclusion) versent aussi dans la condamnation un peu facile, car pleine de clichés, de la société machiste et patriarcale. Ces défauts n'altèrent pas l'intérêt du recueil, ni sa force qui réside dans sa capacité à faire ressentir au lecteur toute la violence et la cruauté des souffrances endurées, parfois pendant des années, car le meurtre commis n’est souvent que l’aboutissement d’un long enchaînement de violences physiques et psychologiques. La lecture est assez difficile car, souvent, ces histoires sont atroces et révoltantes, et d’autant plus insupportables qu’elles semblent se produire dans la quasi-indifférence des proches et de la justice qui prononce des peines et des mesures (éloignement, etc.) qu’elle est incapable de faire appliquer. Et quand elle les fait appliquer, c’est bien souvent trop tard pour enrayer l’engrenage des violences voire accentue les violences en déclenchant des effets de vengeance…

Sarah Barukh, dont l'engagement et la sincérité sont admirables (l'écriture de ce livre semble avoir eu pour elle un rôle de catharsis), émaille l’ouvrage de quelques entretiens avec des psychologues, des magistrats, des avocats et une policière. Celle-ci (une brigadière, la seule qui ait accepté de répondre aux sollicitations de l'auteure), témoigne sous anonymat et présente les dispositions prises ou à l’étude, en soulignant leurs insuffisantes et les dysfonctionnements, comme des numéros d’appel d’urgence qui sonnent très longtemps dans le vide (parfois 15 minutes de message d'attente) avant que quelqu’un ne décroche... Néanmoins, l’entretien le plus irritant pour moi est celui avec une juge qui, globalement, cherche à couvrir son ministère, à démontrer la pleine implication des magistrats et qui justifie la lenteur de la justice en expliquant que le temps de la justice est celui de l’instruction contradictoire, de l’analyse des témoignages, de la vérification des preuves, etc. Il est dommage que l’auteure n’ait pas cherché à davantage « bousculer » son interlocutrice (vice-présidente du tribunal judiciaire de paris) en l’interrogeant par exemple sur un cas concret détaillé dans le livre, où l’Etat français a été condamné pour faute lourde suite à l’assassinat d’Isabelle, de Marguerite et Rolland Thomas (la justice ayant été incapable d’assurer la sécurité d’une femme agressée puis harcelée par son ex-conjoint qui, la veille de son procès où il comparaissait libre, l’a finalement tuée avec ses parents, après avoir pris la peine de d’abord tuer ses parents devant elle avant de la tuer, scène enregistrée sur la messagerie du 15 que la femme avait composé en voyant surgir son ex-conjoint, muni d'une arme). Dixit l’avocate (Isabelle Steyer), la France a été condamnée le 20 mars 2020 pour faute lourde alors que l’Etat refusait d’assumer sa responsabilité, considérant que la justice avait fonctionné conformément aux procédures prévues. Il est dommage qu'on n'en ait pas entendu parler... Par ailleurs, je suis aussi irrité que la responsabilité personnelle des magistrats impliqués (procureur, juge des libertés, etc.) ait été couverte par l'Etat alors que celle d'un policier est systématiquement engagée pour la moindre faute commise...

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Les éditions

  • 125 et des milliers [Texte imprimé] collectif pensé et conçu par Sarah Barukh
    de Barukh, Sarah (Directeur de publication)
    HarperCollins
    ISBN : 9791033912873 ; 20,00 € ; 08/03/2023 ; 528 p. ; Broché
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